Éric Duhaime m’accueille d’une poignée de main au parc Angrignon.
À l’ombre des érables rougissants, une vingtaine de personnes se sont rassemblées en ce samedi après-midi autour de tables de pique-nique. Au menu, bébé carottes, suçons, White Claw et autocollants « Mon char, mon choix » qui s’étalent sous un soleil bienveillant.
Dans ce coin tranquille du parc, le rigodon qui résonne depuis un haut-parleur est interrompu par une voix qui s’élève : « Une batch est prête ! »
Mais qui cuisine du blé d’inde à la mi-octobre?
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Le groupe qui s’anime devant moi arbore fièrement les couleurs de Génération Ambition, un tout nouveau mouvement politique de droite qui aspire à offrir une alternative aux jeunes ne s’identifiant pas au discours dominant, souvent associé à une gauche plus en vogue. « On veut offrir une alternative à cette vision », explique Éloïse Coulombe, co-porte-parole du mouvement. « Génération Ambition, c’est un espace de débat, d’engagement, et surtout, de démonstration qu’une autre voix est possible. »
Né en novembre 2023 lors du congrès du Parti conservateur du Québec (PCQ), le mouvement s’est rapidement émancipé, bien que ses valeurs, centrées sur la liberté et la responsabilité individuelle, demeurent en phase avec celle des troupes d’Éric Duhaime. « On n’a pas encore une ligne de conduite rigide, mais on se définit comme un mouvement transpartisan, où on peut très bien être membre du PQ, du PLQ, voire même de QS », précise l’étudiante en science politique à l’Université Laval.
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Éloïse n’hésite pas à critiquer les ailes jeunesse des autres partis, affirmant : « C’est un peu comme être invité au party, mais relégué à la table des enfants. »
À seulement 21 ans, son visage angélique détonne avec l’image classique de l’entrepreneur beauceron au volant d’un Dodge RAM. Elle a d’ailleurs été candidate pour Éric Duhaime lors des élections de 2022 dans la circonscription de Soulanges, en région métropolitaine, où elle s’est classée troisième avec 12,5 % des voix, devant Québec solidaire et le Parti québécois.
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Bien que Génération Ambition fasse peu de bruit dans les médias traditionnels, le mouvement implante peu à peu son discours sur TikTok, où il rejoint des jeunes de toutes les régions, du Saguenay à Montréal, en passant par le Témiscamingue et la Montérégie. Tous partagent une conviction commune : l’urgence de créer un espace de dialogue pour cette jeunesse conservatrice trop souvent réduite au silence.
En retrait, les premières notes de Tu m’aimes-tu de Richard Desjardins résonnent, sorte d’hymne inattendu pour cette jeunesse en quête de reconnaissance.
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Mais est-ce encore tabou d’être jeune et conservateur aujourd’hui? « Absolument », tranche Joey Aubé, co-porte-parole et cofondateur du mouvement.
Joey s’est fait remarquer en février 2021 lorsqu’il a claqué la porte aux jeunes caquistes pour dénoncer les mesures sanitaires, avant de rejoindre les rangs du PCQ. Depuis, il s’est imposé dans le paysage médiatique, notamment par ses collaborations au balado Ian et Frank et en tant que chroniqueur à CHOI-FM (Radio X).
Pour le jeune homme de 30 ans, Génération Ambition ne se contente pas d’être une pépinière de bénévoles ou un vivier de « candidats poteaux » cantonnés aux marges des débats. « On veut donner une véritable voix aux jeunes de droite », affirme-t-il avec aplomb.
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Il définit le mouvement comme les prémices d’une nouvelle droite émergente : « une jeune pousse qui cherche à s’enraciner et à gagner en notoriété dans le paysage politique québécois. »
La mobilisation reste cependant un défi de taille, concède-t-il. « La gauche est bien plus aguerrie à l’action collective. À droite, on est souvent plus individualistes. » Malgré cela, il croit fermement au potentiel de ce mouvement émergent.
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Joey Aubé défie lui-même les clichés : ouvertement homosexuel, souverainiste, pro-choix et partisan du mariage pour tous, il incarne une droite loin des stéréotypes simplistes. Il s’insurge contre l’amalgame facile qui met dans le même panier des figures comme Pierre Poilievre, Marine Le Pen, Donald Trump et Éric Duhaime. « C’est une caricature, lance-t-il. On peut être conservateur et inclusif. Je me considère comme pragmatique, je crois en une jeunesse entreprenante et ambitieuse, qui ne veut pas que l’État fournisse toutes les solutions. »
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Kaïn prend le relais de La Bottine Souriante. Les sourires et les photos s’enchaînent naturellement parmi la petite foule composée de sympathisants, de parents et de conjoints, qui semblent tous se connaître. Un pot en métal, accompagné d’un terminal de paiement par carte, est installé pour recueillir les dons. De part et d’autre d’un lutrin équipé de micros, deux drapeaux du Québec flottent fièrement, ajoutant une touche solennelle à l’événement. Un dispositif professionnel qui tranche avec le caractère informel de l’épluchette.
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Sacha Thibault, avec ses longs cheveux, son fedora et son foulard en laine tombant négligemment sur un coton ouaté, ressemble davantage à un trotskiste du Quartier latin qu’à l’image classique d’un conservateur. À 34 ans, il est pourtant le vétéran du groupe, un indépendantiste endurci ayant traversé de multiples batailles politiques, entre victoires, désillusions et querelles internes. Après avoir perdu foi dans le Bloc et le PQ, il a trouvé un nouvel élan dans le discours d’Éric Duhaime, convaincu que « la seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien », une citation attribuée à tort à Edmund Burke, père du conservatisme moderne.
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Son souhait? Faire de Génération Ambition une vaste coalition de droite, unissant libertariens, nationalistes, libéraux et conservateurs progressistes, des voix trop souvent privées de tribunes où s’exprimer.
Ce qui les rassemble, selon lui, c’est un désir commun de liberté et un sentiment croissant d’étouffement.
« Il y a une réduction des espaces d’expression qui tue la bravoure. Il faut réhabiliter la diversité d’opinion. »
Malgré les obstacles, Sacha se dit encouragé par les avancées du mouvement, se réjouissant d’une « récolte de financement très satisfaisante » et d’une forte participation à leur épluchette annuelle, sans oublier l’augmentation des adhésions. Pour lui, tout ça n’est que le début de l’aventure.
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Étant le seul journaliste sur place, je m’accorde le droit de goûter à l’un de ces épis de maïs, mais la texture ne fait que confirmer mes doutes : on ne devrait pas en manger à la mi-octobre.
Entre deux bouchées, je me tourne vers Nicolas Massicotte-Jodry, un étudiant de Valleyfield arborant fièrement le macaron du mouvement sur son blouson. Issu d’une famille caquiste, Nicolas avoue se tenir à distance de l’actualité politique, comme beaucoup de ses amis. Pourtant, c’est dans Génération Ambition qu’il a trouvé un espace d’inclusion et de camaraderie. « Ici, on débat, on échange, et surtout, on se sent écouté », me confie-t-il, soulignant avec enthousiasme la diversité d’opinion qui anime le groupe.
Cependant, quelques indices laissent croire qu’il est également le copain d’Éloïse.
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Depuis mon arrivée, le chef du Parti conservateur papillonne de groupe en groupe, vêtu d’un simple hoodie aux couleurs de son parti. Accompagné de son chien Mia, il affiche une bonne humeur manifeste, malgré les sondages qui le placent à 12 % des intentions de vote pour les prochaines élections, soit tout en bas du classement, à peine quelques points derrière l’équipe de Gabriel Nadeau-Dubois.
Éric Duhaime, accueille avec enthousiasme l’initiative de Génération Ambition et l’énergie nouvelle insufflée par ce jeune mouvement. « J’ai commencé la politique à 16 ans, et quand tu attrapes la piqûre jeune, tu ne t’engages pas juste pour une élection, mais pour toute une génération », admet-il avec un sourire complice.
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Pour Duhaime, le véritable enjeu n’est pas auprès de la jeunesse. « Bien que Québec solidaire soit notre principal rival sur le spectre gauche-droite, nous sommes les deux partis qui attirent le plus les jeunes. » Il observe également un changement notable : « Il devient de moins en moins tabou d’être un jeune conservateur, surtout en région. Dans les écoles secondaires, on termine souvent en tête des résultats. »
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Selon lui, les idéaux des jeunes demeurent inchangés, mais c’est la réalité qui a évolué. « Autrefois, l’État représentait une opportunité pour les jeunes. Aujourd’hui, il est perçu comme un fardeau. Il serait anormal que les jeunes continuent de pencher à gauche. Les valeurs n’ont pas changé, mais les temps oui, et l’économie pousse de plus en plus de jeunes vers la droite », ajoute-t-il en caressant Mia.
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Claude Dubois entonne ses plus belles mélodies, tandis que Sacha présente le point d’orgue de la cérémonie : un gâteau fait maison, véritable monstruosité pour les yeux.
« Du gâteau pour tout le monde, sauf pour le journaliste! », plaisante Duhaime tout en servant des parts à sa bande sans l’ombre d’une hésitation devant cette horreur au chocolat.
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En quittant le parc Angrignon sur mon vieux vélo en direction du Plateau, un constat me frappe : ce petit groupe de jeunes conservateurs, à la fois modeste et légèrement brouillon, représente néanmoins une part croissante de la jeunesse québécoise en quête d’un renouveau politique.
Mais avec un si faible nombre de participants à l’épluchette de financement, il paraît évident qu’ils ont un sacré défi à relever pour séduire une audience plus large et se mettre à niveau avec la game, parce qu’après tout, le blé d’inde, c’est bon seulement en août.