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Entrevue : Säye Skye – De l’Iran au Canada, militer pour les droits LGBTQ par le rap

Récit d'un artiste à la mission plus grande que lui-même.

Par
Jehanne Bergé
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Säye Skye a grandi à Téhéran en Iran. Entre combat pour la cause LGBTQ (étant lui-même trans), fuite du régime islamique et parcours artistique, son histoire est incroyable…

En 2009, après la réélection présidentielle de Mahmoud Ahmadinejad, le pouvoir est accusé de fraude électorale. Ils sont des milliers à descendre dans les rues avec au poignet un ruban vert, la couleur de Mir Hossein Moussavi, adversaire principal — et modéré — du président élu. Cette contestation est d’une ampleur jamais vue depuis la révolution iranienne de 1979. Au total, plus de 150 personnes seront tuées par le régime, des milliers vont être arrêtées et torturées.

C’est à cette période que Säye Skye fuit le pays, alors âgé de 19 ans. Sa faute? S’être battu pour la liberté de ceux dont on préfère nier l’existence, la communauté LGBTQ. 10 ans plus tard, Säye Skye vit à Toronto et nous raconte son incroyable combat.

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« En Iran, nous n’avons pas d’homosexuels »

« Grandir à Téhéran en tant que queer, c’était très étrange et terrifiant. J’avais l’impression d’être la seule personne à me sentir comme ça. C’était un sujet tabou. L’homosexualité et la transidentité étaient perçues comme des problèmes. On vivait cachés, on se rencontrait à travers quelqu’un qui connaissait quelqu’un. Il fallait se faire confiance, c’était une question de survie. Il fallait se méfier de tout le monde, de la famille, des voisins, chacun pouvait appeler la police et dire “Hey, il y a deux personnes qui ont des activités étranges”. »

En 2007, Mahmoud Ahmadinejad s’est exprimé devant les étudiants de l’Université Columbia de New York en proclamant : « En Iran, nous n’avons pas d’homosexuels. Nous n’avons pas ce phénomène, je ne sais pas qui vous a dit que cela existait chez nous. » Une déclaration qui enrage alors Säye Skye. « En entendant ça, j’étais vraiment en colère. Je n’en pouvais plus de cette haine systématique contre nous. On ne faisait pas seulement partie d’une minorité, il s’agissait de nous invisibiliser. »

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En 2009, il enregistre et sort son premier single en Iran, Säye Yek Zane Irani (L’ombre d’une femme iranienne). « J’ai enregistré mon morceau sur place, c’était très compliqué. Même les studios de rap underground de Téhéran ne voulaient pas accepter une fille (à l’époque, je m’identifiais comme femme). On me disait “Tu veux parler du droit des homos? Dégage!” »

Une chanson-révolution

La diffusion illégale de ce premier morceau changera la vie de l’artiste à jamais. Très vite, les autorités le prennent pour cible. « À cette époque-là, j’avais une copine au Canada, je parlais avec elle sur internet. Un jour, j’ai entendu que quelqu’un écoutait la conversation. J’avais un contact qui travaillait pour le gouvernement, je lui ai demandé ce qu’il se passait. On s’est donné rendez-vous dans un café, il a détruit mon téléphone, j’étais sur écoute. Il m’a montré un document attestant que toutes mes conversations avaient été enregistrées ces 6 derniers mois. Il m’a dit que je devais fuir absolument.

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Je me suis caché pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que j’aie une opportunité de quitter le pays. Dans mon avion, la police est montée, ils ont arrêté un autre jeune gars du mouvement vert. On ne se connaissait pas, mais on s’est regardés, j’étais en larmes. J’étais à la fois triste qu’il ait été pris, et je me sentais soulagé que ce ne soit pas moi. En décollant, je me suis dit que je ne reviendrais probablement plus jamais en Iran. C’était terrible. »

Säye Skye arrive en Turquie comme réfugié avec 100 $ dans les poches. « J’étais si naïf, je ne connaissais rien. En débarquant à Ankara, j’ai dépensé 70 $ en taxi pour aller à la Croix-Rouge, mais c’était fermé, on était dimanche. J’étais complètement perdu, je n’avais rien prévu. Un gars m’a expliqué que je devais demander le statut de réfugié. Rapidement, mon statut a été approuvé. Je dormais dans une espèce de motel des Nations Unies. J’ai commencé à avoir des demandes d’interviews de la presse internationale. En Iran, les autorités répétaient “Säye Sky est haram, il faut l’exécuter.” »

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Après la Turquie, j’ai choisi d’aller au Canada, ça me semblait plus ouvert que les États-Unis ou l’Allemagne. En plus, je parlais anglais, et c’est un pays avec beaucoup d’immigration. J’y avais ma copine (entre-temps devenue mon ex), j’ai atterri à Toronto en mars 2011. Il y a eu beaucoup de hauts et de bas. »

Servir d’exemple

« J’ai tout perdu, mais il fallait bien que quelqu’un trace le chemin. Je suis la première personne en Iran qui ait parlé de ça. J’ai été interviewé par des chaînes à destination d’Iraniens, mais enregistrées en dehors du pays comme BBC Persian, ou Voice of America en farsi, j’ai reçu plus de 2000 courriels d’Iraniens du monde entier. Mon parcours a permis d’ouvrir la discussion dans le pays.

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Aujourd’hui, en Iran, les choses ont évolué. Les gens me connaissent, en quelque sorte, j’ai tracé le chemin pour les suivantes et les suivants. Des gens ont commencé à utiliser mes chansons pour se livrer, la société a changé. Je reçois des tas de témoignages à travers les réseaux sociaux. Les jeunes postent des photos sur Instagram avec des hashtags comme #loveislove avant ce n’était pas comme ça. C’est génial. »

À Toronto, l’artiste a construit une communauté. « J’ai commencé à travailler pour aider d’autres personnes dans le besoin, d’autres réfugiés à travers l’ONG New Circles qui fournit des produits de première nécessité aux personnes vivant dans la pauvreté. J’ai aussi commencé à aider la fondation de la dentiste iranienne Dr Borna Meisami qui offre des services dentaires aux femmes victimes de traumatismes. Je continue ma carrière artistique en donnant des concerts. Le Conseil des Arts de Toronto me soutient. Cet été, je suis en tournée en Europe et je sors mon EP. »

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Depuis l’étranger, Säye Skye continue de lutter pour le droit des LGBTQ dans son pays. « La vie n’est pas tous les jours facile, mais c’est le prix à payer pour la liberté. De temps en temps, ici, on oublie la chance qu’on a de pouvoir s’embrasser en public, de porter les vêtements qu’on veut, de ne pas devoir mettre de foulard… Tous les jours, je continue à apprendre. Je reste très attentive aux nouvelles iraniennes, là-bas, les gens se battent pour leur droit, en tant qu’artiste je dois me tenir au courant. »