Dans sa préface pour Les mots et les choses, Michel Foucault (oui, ça commence deep) écrit que le charme de l’absurde réside en l’incapacité même de se l’imaginer. J’ai beaucoup de peine à me figurer le «puzzle de céleri et son flexi-toast» dont il est question dans la chanson Menu, opener du dernier album de Salut c’est cool. Pourtant, après une entrevue stimulante à l’extrême avec Martin Gugger et James Darle (à peu près la moitié du groupe), j’ai la conviction ferme que même dans les confins de leur propre absurde, le quatuor ne perd jamais la carte.
Ils étaient de passage à Montréal pour un spectacle allumé dans le cadre du MEG samedi dernier, culmination scénique après les performance d‘Antony Carle et Miel de montagne. Peut-être que les membres de Salut c’est cool sont de supers vedettes en France (du moins je l’espère), mais de notre côté de l’Atlantique, le fan club est composé de centaine d’adeptes éparpillés qui, sans se connaître, sont tous tombés sur un de leurs sublimes vidéoclips. Alors que je sirote un café avec Martin et James dans le café de la SAT, je me sens investi d’une mission : comprendre leur démarche.
.jpg)
Le premier (vilain) réflexe que l’on pourrait avoir en écoutant/regardant Salut c’est cool c’est de penser que le collectif fait dans l’humour. Même si l’esthétique du groupe est profondément mémétique, James est catégorique : « On va jamais se considérer comme un groupe d’humoristes. On trouve ça super réducteur. On n’a pas envie de donner une grille de lecture aussi simple de ce qu’on fait. On est quatre et on a tous des personnalités assez nuancées. »
La maison conceptuelle
Ma surprise est grande quand j’apprends que ces quatre têtes créatives habitent toutes ensemble depuis quelques années. Soudainement, je comprends un peu mieux pourquoi le plus récent opus du groupe s’intitule Maison (et pourquoi la pièce Ça sent la maison me donne le goût de retourner en colocation avec 7 personnes dans un appartement beaucoup trop petit). Avec les années, Salut s’est donné un style de vie à la hauteur de leur démarche.
Au lieu de se piler sur les pieds, James, Martin, Vadim et Louis acceptent le processus de fusion inhérent à la cohabitation. « Si jamais on faisait un blind test entre nous quatre, on pourrait reconnaître très clairement qui a fait quoi. Mais à la fin, l’album c’est un gros pâté. On n’arrive plus à savoir qui a eu quelle idée ,» m’explique Martin. La concertation entre les membres va même encore plus loin que ça. « On prend les décisions à l’unanimité en fait, pas à la majorité. C’est-à-dire que si jamais il y a quelqu’un qui n’est pas content, il a droit de “mettre son veto”. On se fait confiance comme ça ».
Salut c’est cool est censé être un groupe de musique, mais plus ça avance, plus j’ai l’impression d’être devant un projet de société. Je me souviens d’une phrase sur Canon des peurs : « J’ai peur pour les droits des transgenres ». Après avoir abandonné depuis longtemps l’idée que Salut fait dans l’humour ou dans l’absurde, je commence à sérieusement penser qu’un geste politique s’exprime (pas si subtilement) derrière leur art en d’apparence anodine. Martin m’éclaire.
« Il faut choisir ses moments et le faire pour le faire. Sinon tu fais autre chose. »
« Le politique est dans tout ce qu’on fait. Dans la manière dont on se comporte, dans ce qu’on dit. C’est politique de dire “Merci nature”, c’est politique de dire aux gens “Monte sur la scène avec moi, viens t’amuser avec moi et moi je descends m’amuser avec toi”. Tous nos actes parlent plus que, par exemple de dire “Moi je vote à gauche” ou “Moi je vote à droite” ».
Vie collective, approche consensuelle, performances scéniques qui brisent le quatrième mur. Le collectif partage une vision néo-démocratique-pro-joie dans leurs clips. Regarder des artefacts comme Crocosmaute (D.I.Y au possible), donne juste le goût d’aller s’amuser avec de la pâte à modeler toute la journée, quitte à caller malade à la job. Fait avéré : la chanson Bout de bois a incité des poignées de fans de Salut à aller se filmer dans la forêt… avec des bouts de bois.
Du concept vers le réel
Le soir même, pendant le spectacle, la bombe cool explose. L’idéal du collectif se manifeste dans l’extase de la foule qui scande toutes les chansons. Tout le monde est une fleur, ou aime que ça sente la maison, ou chante en choeur que le bout de bois est un sacré bout de bois. Un inconnu monte sur le stage et danse devant la foule en délire pendant au moins la moitié de spectacle. Nous sommes chez nous dans la maison de Salut c’est cool.
.jpg)
Après le show, alors que je me promène avec un ami pas trop loin d’un parc, j’accroche du bout de mon pied une branche tombée là au hasard. Je capote ma vie, prends la branche, propose à mon ami d’en tenir l’autre extrémité. On court, l’ami, la branche et moi en hurlant de joie, atteint par un optimisme qui se trouvait, tout ce temps-là, au coeur de chacune des chansons de Salut c’est cool. L’avenir ne pèse plus sur mes épaules et on dirait que j’ai assez d’énergie pour changer le monde deux ou trois fois.
Je me rappelle des sages paroles de James pendant nos entretiens.
“Il faut choisir ses moments et le faire pour le faire. Sinon tu fais autre chose.”
.jpg)