Logo

Entrevue : Robert Robert et la métaphore aquatique

Discussion avec l'homme au « groove introspectif ».

Par
Alexandre Demers
Publicité

La nuit est un monde parallèle un peu aliénant, mais propice à une multitude de rencontres inattendues. C’est ce que le montréalais Arthur Gaumont-Marchand, l’âme créatrice derrière Robert Robert, a graduellement constaté lorsqu’il a fait ses premiers pas en tant que DJ et producer. Déjà à l’âge de 16 ans, il mixait du dubstep underground dans les raves qui avaient lieu dans certains entrepôts délabrés de la ville. Étant lui-même une créature nocturne animée par les grooves de la musique électronique, il s’est rapidement mis à produire ses propres compositions inspirées par le côté mélodique du dance et par la lourdeur esthétique du techno.

Incarnant aussitôt une figure notoire de la bouillonnante scène électro locale, Robert Robert a fait tourner de nombreuses têtes lors de ses apparitions à Piknic Électronik et Osheaga. Il a fait paraître en plein hype un premier projet aux touches downtempo et dream pop nommé Pastel (2014), avant de recentrer davantage sa proposition autour du hip-hop sur le EP Not Self Titled (2015). Le jeune producer s’est donné le temps d’explorer toutes sortes d’avenues pour développer un style bien à lui, allant même jusqu’à poser sa voix sur ses compositions originales. Après une signature en bonne et due forme sous Nowadays Records, il a fait paraître Welcome To Finetown (2017), un EP sur lequel il a approfondi sa maîtrise des sonorités spatiales.

Publicité

Au bout de longues années à alimenter son mode de vie nocturne, Arthur s’est mis en retrait et s’est frotté à de sérieuses remises en question. Cette introspection l’a mené à la création de How To Save Water, un EP de cinq pièces d’electro planante, la somme de toutes ses phases antérieures. C’est également un projet sur lequel il a pris le temps de façonner sa pensée autour d’enjeux personnels préoccupants. II a écrit, chanté, composé, produit, mixé et cosigné la direction artistique du artwork en plus de co-réalisé les vidéoclips des cinq morceaux du projet.

On est allé le rejoindre dans son nid de création pour en savoir un peu plus sur le EP, la métaphore omniprésente de l’eau, ses réflexions qui ont guidé ce projet et sa volonté de passer de la pensée aux actions.

Publicité

Se laisser aller

Arthur est très posé et contemplatif lorsqu’on lui demande dans quel état d’esprit il était quand il a plongé dans la création du EP. « Je suis retourné dans le mood que j’étais quand j’ai commencé Robert Robert. J’ai voulu faire quelque chose sans trop analyser cérébralement ce que je créais. Je voulais me laisser aller pis regarder le résultat après coup. Ça a donné un genre de mélange de tout ce que j’ai exploré par le passé pour ensuite tendre vers quelque chose d’un peu plus intuitif. »

« Je me suis rendu compte que le nightlife, c’est comme une roue qui tourne tout le temps. »

Portées par une vibe vaporeuse et contrebalancée par de lourdes basses tirées de ses inspirations techno, les chansons qui prenaient forme dans son laptop se dessinaient sous un fond de remises en question. « Je me suis rendu compte que le nightlife, c’est comme une roue qui tourne tout le temps. T’embarques là-dedans, t’as du fun, c’est un thrill. Puis à un certain moment, ça se met à tourner de plus en plus vite. Tu vois des gens qui ne savent même pas s’ils sont capables de débarquer de cette roue sans se casser la gueule, » observe-t-il.

Publicité

« J’en suis arrivé à me demander si c’était moi qui avais compris quelque chose ou si j’essayais, en quelque part, de fuir la réalité. Tout ça m’a poussé à me retirer un peu pour prendre le temps d’y penser, » relate-t-il, avant de plonger dans ce que cette démarche a influencé dans la création.

« Ça a rendu tout le processus vraiment introspectif parce que je voulais que les tounes que j’écris viennent d’une tentative de mieux me sizer pour m’améliorer en tant que personne. Je me suis rendu compte que la meilleure façon pour moi de débarquer de ce mode de vie, c’était de dire des choses que je n’avais pas nécessairement envie d’entendre. Je me suis mis à dire des trucs un peu plus blunt et vulnérables qui sont inspirés de quelques late night conversations que j’ai eues avec certaines personnes. »

Ces discussions en plein cœur de la nuit auront été franchement bénéfiques. Parmi toutes les compositions nées de ces sessions qui se sont étalées sur les deux dernières années, cinq titres ont finalement fait la cut de How To Save Water. On les a passés un par un avec le principal intéressé pour mieux comprendre les événements et réflexions qui ont donné naissance à ces morceaux.

Publicité

Watergirl

« J’étais dans une relation avec quelqu’un pis j’avais l’impression que ce n’était pas nécessairement bon pour moi, mais je n’arrivais pas vraiment à le mettre en mots. J’avais cette grosse mélancolie, un peu sanguine, mêlée à une espèce de confusion. Je me posais plein de questions par rapport à la situation dans laquelle je m’étais retrouvé pis la façon dont j’avais l’impression que la personne agissait. C’était au tout début du processus de créer cette grosse métaphore entre les émotions humaines et les mouvements d’eaux des océans et des lacs. Ce sont deux choses que tu ne contrôles pas et qui prennent leur chemin sans que tu le décides. Et tu peux en être esclave. Ceux qui sont uniquement attachés à leur océan, s’il monte ou descend, ils finissent par perdre le contrôle et suivent la marée. C’est pas mal de ça que la toune parle. »

Publicité

« Dans le processus, j’ai composé la chanson tout seul sur mon ordi pis j’ai retravaillé un peu la compo et le mix avec Ouri. I guess que j’ai mis les sons d’eau pour montrer les espèces de ups and downs qui incarnent comment tu peux te sentir submergé des fois quand quelqu’un t’englobe dans ce truc-là. Le but, c’était vraiment de donner des sentiments de libération pis d’oppression aussi. Le mood change dans la chanson. C’est un peu une façon de montrer le mouvement d’une relation avec quelqu’un qui peut emmener beaucoup de bonheur et beaucoup de peine en même temps. »

The Person Who Knows

« Celle-là est née quand je pensais à tous les gens que je connais et la détresse qu’ils peuvent parfois ressentir. Je pensais aussi à ce qu’on représentait comme génération et cette quête de notre propre combat. Les paroles sont semi-conscientes. Ce sont comme des pensées. Ça parle surtout du fait qu’il y a beaucoup de recherche de la part de tout le monde. On passe beaucoup de temps à se promener, autant dans la vraie vie que dans l’univers digital, sans vraiment savoir vers quoi on s’enligne. Y a pas vraiment de direction ou d’objectif. Ça use les gens un peu. »

« Je n’ai pas encore trouvé de réponse, mais je voulais juste mettre en mots comment je me sentais. »

Publicité

« Je n’ai pas encore trouvé de réponse, mais je voulais juste mettre en mots comment je me sentais. Si je me sens de même, il y a surement d’autres personnes qui se sentent également comme ça. C’est juste de documenter un peu ce sentiment-là. Je l’ai composé en une nuit puis après j’ai passé du temps à la développer. Pour moi, les verses ce sont les moments de conversation pis le refrain c’est le moment où tu fais face aux vrais sentiments que tu ressens par rapport à ces choses-là. Le refrain retourne un peu à mes racines musicales plus intenses. Je trouve ça un peu apaisant, même défoulant. C’est pour cope un peu. »

Nobody Breaches our Stasis

« Ça part d’une ride d’auto que j’ai faite avec quelqu’un. C’est une conversation que je me suis rendu compte que je voulais avoir pendant un tour de voiture. Pendant ce moment-là j’étais dedans pis j’étais comme woah, j’ai vraiment l’impression de me retrouver dans une bulle avec cette personne et que personne d’autre ne peut y entrer. Par après, je suis arrivé chez-moi pis j’ai écrit cette toune. J’ai laissé ça là pendant un bout. Par la suite, j’ai écrit le refrain. J’ai écrit les verses plusieurs mois plus tard. Ça parle du fait que quelqu’un peut t’ouvrir les yeux par rapport à quelque chose, pis après, le refrain est une sorte d’hommage à cette personne-là. Au niveau de la compo, j’ai envoyé les synths à Ouri et après j’ai composé les drums. »

Publicité

Digging for Gold

« C’est aussi tiré d’une conversation que j’ai eue avec quelqu’un. Il y avait des trucs qui me rendaient bien anxieux et cette personne m’a donné les conseils qu’on entend dans la chanson. Je l’avais écouté pis j’étais comme “damn, ce sont de bons conseils, je vais m’en rappeler“. Je les ai tous écrits pis j’ai composé la chanson par rapport à tout cela. Je me sentais dans la même énergie, mais avec tout ce qu’on m’a dit, je me sentais un peu plus dirigé. »

« Le texte est très direct. Il n’y a pas de métaphore, c’est plus littéral. L’instru est quand même upbeat, mais j’essaie de garder un vibe un peu intense. »

Name Pressure

Publicité

« Ça me tentait vraiment de faire une track plus chill et je suis tombé sur un sample de guitare que j’ai trouvé vraiment cool. Quand j’étais jeune, j’écoutais beaucoup de bossa nova. C’est quelque chose que j’apprécie et j’avais le gout de faire une toune du genre, mais pas nécessairement un truc ultra classique. J’ai composé la chanson avec ça en tête. Il y a beaucoup de sub tout en étant super wavy. »

« Ça parlait pas mal de mes amis. Je me suis rendu compte que depuis 2014, j’me suis bâti un cercle d’amis quand même assez significatif pis c’est vraiment important pour moi. Les choses ont changé depuis ce temps pis je voulais vraiment mettre ça sur papier. Ça fige un peu dans le temps tous ces moments-là avec ces gens-là. Je me suis dit que j’allais peut-être réécouter ça dans 15 ans pis je vais me rappeler cette époque avec nostalgie. »

Exorciser les problèmes

« Ça a été difficile de me l’avouer, mais une fois que j’en ai pris conscience, j’ai réalisé que je connais beaucoup de personnes qui souffrent de ça. »

Publicité

Toutes ces conversations de fins de soirées auront finalement eu des effets bénéfiques. Arthur a notamment pu mettre le doigt sur un truc qui l’habitait depuis un bon moment et qui nuisait un peu à sa créativité. « Il y a eu des moments où j’étais complètement lost. Dans ce genre de détresse là, tu te mets à chercher des repères, pis souvent, ces repères-là deviennent des gens. Je me suis aussi mis à faire de la recherche de mon côté pour essayer de comprendre pourquoi je me sentais comme ça. Au travers de tout ça, j’ai découvert que la dépendance émotionnelle, c’est une vraie condition. C’est un real thing. Je me suis rendu compte que j’avais des comportements qui pouvaient se rapprocher un peu de ça » souligne-t-il, prenant une pause, avant de poursuivre. « Ça a été difficile de me l’avouer, mais une fois que j’en ai pris conscience, j’ai réalisé que je connais beaucoup de personnes qui souffrent de ça. Et c’est vraiment handicapant parce que lorsque t’es pris là-dedans, tu ne peux même pas penser à ton futur. Ni même au présent parce que tu ne fais que penser à un seul truc. Tout le reste, tu le négliges… »

« Ça a été tough comme processus de travailler là-dessus pis de corriger ce problème-là, mais ça a été vraiment bénéfique. Il y a beaucoup de ces chansons-là qui ont été faites pour que je puisse partager mon processus. J’avais le goût de pouvoir emmener des gens avec moi qui ont peut-être aussi ce genre de problèmes. Au final, le fait de pouvoir créer How To Save Water, c’était comme une manière d’exorciser tout ça, » conclut-il.

Publicité

Robert Robert lancera officiellement son projet How To Save Water ce vendredi au Newspeak en compagnie de quelques invités de sa garde rapprochée.

Le EP est actuellement disponible sur toutes les plateformes de streaming via Nowadays Records