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Entrevue : Philippe Brach, son show chié… et la suite?

Une dernière folie avant de reprendre son souffle

Par
Jean-Philippe Tremblay
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Avec Phil Brach, les choses virent très, très rarement comme prévu. C’est ce que je me dis en riant tout seul à l’écoute de l’entrevue que j’ai enregistrée avec lui plus tôt cette semaine.

La mission, à la base, était d’aller le rencontrer pour parler d’un mystérieux concert qu’il avait annoncé pour lundi le 14 octobre, « le show chié ». Une autre mise en scène absurde dont l’annonce vidéo intrigante était accompagnée d’une note laissant entendre que ce serait la dernière avant un bon bout.

Je voulais savoir ce qu’il se passait avec Phil, donc.

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Au final, on a jasé pendant trois heures de cinq mille affaires : des téléphones intelligents qui nous écoutent à la crise climatique en passant par la santé mentale, les voyages qu’on a faits récemment, la psychologie féline, l’industrie culturelle et les avancées de l’intelligence artificielle, le tout entrecoupé de moments où on tue des guêpes agressives sur le toit de son appart d’Hochelaga.

Pour parler de musique ici, mettons qu’il a fallu débroussailler pas mal là-dedans… et en même temps c’est exactement ça, Brach. Une bibitte insatiable, intéressée par tout et tout le monde, toujours à plusieurs endroits en même temps et qui n’a aucune envie de se laisser mettre dans une boite.

« Je trouve que la vie c’est un collage de plein d’affaires, et je suis incapable de me concentrer sur une seule chose, d’aller dans une seule direction. J’ai jamais voulu me bâtir un personnage, mais je pense que ça c’est devenu un peu ma signature par défaut. J’ai ça en dedans de moi, c’est tout. »

Ceux qui connaissent l’œuvre de l’artiste de Chicoutimi sans avoir eu la chance de le voir en concert peuvent en effet être déroutés par leur première expérience, et c’est le moins que l’on puisse dire. C’est que ses chansons sont peaufinées avec soin et méthode, et qu’on ne devine pas nécessairement à leur écoute le personnage qui multiplie les coups d’éclat sur scène.

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Il a ainsi présenté un nombre impressionnant de spectacles conceptuels aux titres fabuleux au cours des dernières années : Ça c’t’un beau piano à cordes, Le 1er Stampede de Calgary à Montréal, La soirée nippone, Ma ville Mon ange (le 375e), Bienvenue à Enfant-Ville, Mystério Steve, Boum Dang Sangsue… Juste cet été, j’ai pu le voir sur la grande scène du festival La Noce (dont il est aussi l’organisateur) donner avec son groupe un concert multipliant les clins d’œil à la drogue jusqu’à débarquer déguisés en champignons magiques. Pour le FME, c’est à un « show hommage à Phil Brach » qu’on a eu droit cette année, poussant le concept jusqu’à se rendre méconnaissable, déguisement, perruque et masque à l’appui.

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« J’ai toujours trippé là-dessus, la mise en scène. Pour moi ça va naturellement avec l’idée de prendre conscience que tu t’adresses au monde. Le décalage, le foutage de gueule, y’a zéro ça dans mes chansons, dans mon écriture. C’est pas une déclinaison de ce que je fais; c’est à côté, pas calculé. Quand j’étais kid je me filmais à faire des sketchs, je jouais aux Chick n’ Swell. Jouer, c’est le but je pense. Tout le temps. Avec ou sans guitare. »

Ça a chié

Et pourquoi donc ce « show chié », maintenant?

« Ce show-là close un cycle de six ans de concerts non-stop. C’est sûr que j’aurais pu inviter des amis, finir ça la larme à l’œil dans la plus grande salle possible pis toute. On a fait une progression logique, des shows concepts de plus en plus gros dans des salles naturellement de plus en plus grandes jusqu’à la Maison Symphonique, et là je sais pas. J’ai eu envie de péter cette progression-là, de clasher. Mais bon… j’ai toujours mon petit côté mégalo, tsé, faque on est partis de l’autre bord en beauté. Donc le concept à la base c’est que le show va chier. »

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Concept respecté à la lettre. D’abord, le public avait acheté des billets pour un concert au Club Soda (que la salle a accepté d’afficher sur sa grande marquise rue Saint-Laurent et tout), pour se faire dire à l’entrée qu’il était déplacé aux Foufs tout près parce que le chanteur n’avait pas payé son acompte.

En entrant dans le petit bar trash deux coins de rue plus loin, la foule un peu confuse s’est retrouvée dans une salle toutes lumières allumées où le groupe faisait mine de répéter. « La première idée que j’ai eue c’est qu’aucune des tounes ne se rendait à la fin. Une chance que j’ai une équipe capable de me raisonner; peut-être qu’après 3-4 les gens se seraient tannés. »

Le concert dans son ensemble aura été finalement un collage de flashs couvrant amplement toutes les facettes de l’œuvre de Brach sans jamais dévier de l’idée de présenter un événement raté. On retiendra autant les moments touchants que la version gros rock glam de C’est tout oublié, perruque et arrangements à la Marjo inclus. Le moment où le chanteur a demandé au public de lui prêter des vêtements de scène. La chanson Alice transformée en Mes blues passent pu dans porte pour se clore sur un interminable solo de saxophone.

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Brach se battant avec un faux gardien de sécurité qui le traine hors de scène pour présenter Violett Pi dans une interprétation très sentie de Crystel, puis remplacé par deux jeunes du secondaire pour une version tout aussi mémorable de Tu voulais des enfants. Quatre guitaristes utilisant quatre guitares douze cordes simultanément. De faux problèmes techniques obligeant Philippe Fehmiu à venir lancer dans le public toute la merch restante, avant de demander au groupe de jouer Troupeaux, ce faux single folk-pop-radio-FM qui avait annoncé son dernier album. Jusqu’au rappel auquel le chanteur a répondu « non, ch’tanné » avant de céder la place à une DJ qui remixe son œuvre en version EDM 8-bit.

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Mégalo peut-être, Philippe Brach, mais jamais à court d’idées pour rendre le moment intéressant, ni complètement dans l’improvisation quoiqu’il en ait l’air : tout avait été en effet soigneusement pensé et préparé, et il était déjà excité comme un enfant avant Noël de déployer l’ampleur de sa blague quelques jours avant.

Un concept qui, en plus d’être franchement réussi, lui a permis sous le couvert de la débandade de revisiter son répertoire de manière surprenante en plus d’offrir au public une expérience unique et d’inclure les invités avec qui il avait envie de vivre ce moment. Rien de chié, au final.

« Un moment donné je vais faire monter une chanteuse de 16 ans sur scène. Faut qu’elle passe par la loge, elle a pas le droit d’être dans le bar (rire). À la fin d’un show que je faisais à Lévis, j’ai demandé au monde s’ils avaient des questions, en joke. Elle a levé la main et a dit “J’ai pas de question, mais j’aimerais ça faire une toune”. Je lui ai laissé le micro, et c’était capoté comment elle était bonne. Lundi elle chante aux Foufs!

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Tout le monde a embarqué, du Club Soda à Philippe Fehmiu à qui j’ai juste dit : “on pitche toute ma merch dans le public, tout ce qu’y reste. Si je suis pour arrêter quatre ans, je veux pas ramener tout ça chez nous…” »

Un long break

Quatre ans, Phil?

« Oui. Je prends un vrai break de musique. Bon, je dis ça et quand t’es arrivé je gossais avec des synthétiseurs… j’essaie en tous cas. J’ai averti tout le monde que je sortais rien, pas envie de deadline. Si je fais de la musique, ça va être différent, d’une autre manière, pour le fun. Si ça donne vingt tounes dans deux ans ce sera juste arrivé et c’est tout. Je veux aucune pression.

C’est dur arrêter de faire des shows; c’est une routine un moment donné, ça roule tout seul. Et une drogue aussi, l’adrénaline, le fun. Mais là j’ai 56 000 projets que je garde sur la glace par manque de temps depuis trop longtemps.

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J’ai une maison dans le bois à retaper, d’abord. Et en même temps un lieu où me cacher maintenant; l’hiver ça va être tranquille en maudit, ça devrait être bon pour écrire. J’ai l’impression que ça va être fertile, peut être même pour finir un roman qui sait. On néglige souvent le temps d’arrêt et de silence que ça prend, la création; quand j’écris un album, je sais que ça prend au moins une bonne semaine d’arrêt pour se mettre dans le bon mood. Juste du temps pour réfléchir et rien crisser avant même de penser entamer quoi que ce soit. Je vais l’avoir, là.

Je pars trois mois en Afrique cet hiver. L’an passé j’étais au Maroc, avant ça au Pakistan; c’est pas des voyages de plaisance. Je sors des trails, je pars vivre une expérience sociale, rencontrer du vrai monde. Peu importe où t’es y a toujours moyen de vivre quelque chose de vrai et d’intéressant quand on se donne la peine. C’est inspirant ça aussi, j’en ai besoin.

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Y a La Noce qui grandit tout le temps, aussi. Ça l’air de rien, mais c’est un festival fait à l’envers, où on cherche à faire découvrir des bands qui ont même pas le following pour venir jouer au Saguenay avant de booker des valeurs sûres. Ça me fait vraiment tripper de voir la curiosité des jeunes de chez nous, de leur offrir une rappeuse avant un band métal dont ils n’ont jamais entendu parler et qu’ils répondent à l’appel, découvrent, embarquent. On s’est développé un public qui est capable d’en prendre, et on va voir jusqu’où ça évolue. C’est un maudit beau défi.

Et je veux faire une émission jeunesse aussi! Ça, c’est une idée que j’avais avant même de faire de la musique. Je peux pas tout expliquer, mais pense à un mélange de toutes les formes d’animations traditionnelles, des décors minimalistes, des personnages, un animal thème à chaque épisode. En fait, gros comme je voyais ça et avec tous les collaborateurs que je voulais, j’aurais pas pu rêver à ça avant d’être Philippe Brach le chanteur. Maintenant, je suis sur mon X pour être écouté. À une autre époque, ça aurait été “oui oui, t’as des beaux projets le jeune”. Là je peux aller cogner aux portes habillé de même et être pris au sérieux. (rire) J’avais pas la même réception y’a six ans, mettons. »

Effectivement.

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Et à voir avec quel bonheur le public suit « Philippe Brach le chanteur » dans ses délires les plus insolites, on n’est vraiment pas trop inquiets pour la suite.