Logo

Entrevue : On a parlé quatre heures avec Dramatik

Le rappeur lance son premier album en 4 ans.

Par
Simon Tousignant
Publicité

Il y a de ces moments dans la vie qui nous font douter de notre perception du temps. Parfois, il s’agit d’évènements difficiles qui paraissent interminables, et d’autres fois on fait juste se perdre dans le moment présent. C’est ce qui est arrivé lorsque j’ai rencontré Dramatik dans un café de Rosemont. J’avais prévu une heure pour jaser avec ce OG du rap jeu queb autour d’un café. Finalement, l’application de mon téléphone affichait 3:30:11 lorsque j’ai arrêté l’enregistrement. Récit d’une conversation riche, variée, mais toujours pertinente; un peu comme Le phénix, il était plusieurs fois, qui est paru aujourd’hui sur 7ième Ciel.

La simplicité volontaire

Sur ce nouvel opus, son premier depuis Radiothérapie en 2014, on retrouve un Drama plus audacieux que jamais qui explore des sonorités modernes en simplifiant son écriture. Ne serait-ce d’ailleurs pas le défi ultime pour un rappeur à la technique légendaire comme lui?

Publicité

« J’ai adapté mon style un peu parce qu’il faut être plus efficace lorsqu’on ralentit la cadence, m’explique le rappeur originaire de Montréal-Nord. Un exemple : t’as un humoriste qui fait des bars, des punchlines à chaque phrase. À côté, t’as Yvon Deschamps qui te raconte une histoire, tout le monde est captivé et le punch arrive juste à la fin, mais il est fou! C’est un peu ça, la simplification de l’écriture : garder le même but, mais y arriver différemment. »

Ce désir d’offrir un message plus accessible est clair sur des pièces comme Folo ou Ô ciel, deux chansons au potentiel radio indéniable. Cependant, cette nouvelle approche n’empêchera jamais le Phénix de garder ses bonnes habitudes lorsqu’il renaît : « il y a une partie chantée dans Ô ciel dans laquelle il y a des rimes intérieures et tout, mais c’était même pas voulu, avoue Drama. C’est un truc de real life, le gars qui se lève pour aller travailler, ça lui tente pas, mais il est pris dedans, avec les syndicats, les patrons, la pression, etc.. S’il perd sa job, il doit en trouver une autre. C’est le message qui est important, mais finalement, la complexité des patterns revient toujours un peu, you know? (Rires.) »

Publicité

Le message avant tout

Si les vibes de l’album sont variées, passant du trap symphonique de Ghetto Genetik (tome 5) à l’explosion de bonheur qu’est Miracle, Le phénix, il était plusieurs fois reste axé sur ce fameux message. On sent chez le rappeur ce désir profond de présenter un portrait de l’humanité telle qu’il la connaît, d’en rappeler la vulnérabilité, la beauté et surtout, les nuances si complexes.

C’est évident sur Let it go, où Drama nous accueille avec : « bienvenue dans la tête d’un fucké » bien senti. Parce qu’on l’est tous un peu, finalement, et que nos perspectives sont donc teintées par ce qui nous a rendu fuckés. Dur d’accepter sa propre vulnérabilité, surtout dans les communautés défavorisées que le rappeur a connu autant comme résident que comme intervenant jeunesse.

Publicité

« Dans le cadre de mon emploi, je rencontre souvent des jeunes qui sont complètement fermés » m’explique Dramatik, qui a notamment enregistré les premiers raps d’un jeune Lost en 2010. « Initialement, ils ne me voient que comme un gars envoyé par le gouvernement et ne veulent pas me parler. Sauf que, finalement, ils se rendent compte que je parle comme eux, qu’on partage le même vécu. C’est là qu’on peut créer des ouvertures pour parler à la jeunesse. »

Des invités variés pour un album varié

Au sens plus large, il n’y a actuellement pas de meilleures façons de parler à la jeunesse québécoise que d’inviter FouKi sur une chanson. On retrouve la star du Plateau Hess sur la pièce #Savage, où Drama convie également Loussa, jeune rappeur bien en vue du street rap montréalais qu’on a découvert lors de l’édition québécoise de la série Rentre dans le cercle.

« Je voulais rassembler les deux univers — le côté brut, mais léger de FouKi, et le côté street sans compromis de Loussa, indique Drama. Juste l’intro de Louss’, c’est de la pure motivation. Si tu fais jouer ça chaque fois avant d’aller au gym, tu vas jamais le skip! (Rires.) »

Publicité

Une autre collaboration de l’album a de quoi surprendre, alors que Dramatik s’allie à Dan Bigras sur la pièce Épicentre jeunesse. Comment on va chercher ça, un feat avec Dan Bigras?

« J’ai participé à un projet de TVA qui rendait hommage à Dan où j’ai adapté un texte qu’il avait écrit pour Gerry Boulet, raconte Drama. C’est le dernier texte que Gerry a entendu avant de mourir (la chanson Ange animal), et donc ç’a créé un lien émotif entre nous. Après le show, j’ai approché Dan dans l’ascenseur pour lui faire entendre la démo du track, sur mon cell comme un bon rappeur you know? (Rires.) J’ai eu la chance qu’il dise oui, et on a fait ça trois mois plus tard. C’est le premier chanteur de sa trempe qui embarque sur un beat trap! Je rêve d’adapter la chanson avec l’OSM ou une chorale, éventuellement. »

Publicité

Si la collaboration est surprenante, elle est pleine de sens, les deux artistes étant des figures importantes au plan de l’implication communautaire. Dramatik livre d’ailleurs un témoignage personnel poignant, lui qui est également passé par la case du foyer d’accueil. « La pièce parle de moi qui étais en foyer d’accueil, et de tous les jeunes qui ont grandi comme ça, derrière les barreaux. Les barreaux sont figuratifs des fois, parce que dans ces contextes-là, la liberté, c’est souvent une illusion. »

Le rap, une histoire de famille

Sauf que le phénix vit d’espoir, et après les barreaux viennent l’épanouissement et la vraie liberté. La liberté d’offrir une nouvelle chanson de Muzion, par exemple, 17 ans après le dernier album du groupe. Outre des gros verses de Drama, Imposs et Jenny Salgado (alias J-Kyll), on retrouve surtout un beat hors-catégorie de type banger qui allie rythmique trap et samples vocaux de Michael Jackson. Une production signée Dramatik, comme le reste de l’album d’ailleurs.

Publicité

« Tous les beats sont de moi. J’ai pas mal joué de trucs à la mitaine, notamment toutes les lignes de guitare. Sinon, je prends les notes et je dessine tout sur Cubase. Je fais tous les accords et dès que j’ai mon accord, j’ai mon story. »

Sur Enuff, le story devient une histoire de famille alors que le rappeur de 44 ans est rejoint par sa femme, La Dame (de Pique) et son fils Rashym sur une chanson magnifique qui offre plusieurs perspectives sur les problèmes de violence conjugale. Sa fille Ruby apparaît également sur la chanson Debout, une collaboration avec Disoul de Dubmatique. Est-ce que les enfants tiennent de leurs parents?

« Oh oui man, ils veulent chanter, me lance Drama avec toute sa fierté de papa comblé. Sauf que je suis un tough critic! Mais je suis tellement fier de pouvoir les avoir sur l’album, ça fait un peu le full circle. »

Publicité

Boucler la boucle

Cet effet de boucle bouclée est palpable sur Dramaturge, deuxième single de l’album où Dramatik offre une synthèse touchante de sa vie, avec la lucidité d’un homme qui a vécu et qui offre un regard sans regret sur le passé. « Le passé a fait de moi un MC amer/Hammer, but you can’t touch this », rappe-t-il dans le premier couplet sur une production qui m’a instantanément rappelé Ma définition de Booba. C’est peut-être l’exemple le plus probant d’un Drama à son meilleur : le sens principal de la phrase est profond, percutant et n’est que bonifié par la figure de style qui démontre toute la créativité du rappeur qui allie fond et forme.

De là, notre conversation partira sur mille sujets qui passeront de l’influence de Nas et Big L à la faculté qu’a la musique pour nous ramener en arrière, aux dangers de l’Internet et jusqu’à La Matrice, le film fétiche de Drama. Puis finalement, un peu comme l’œuvre des Wachowskis, on aura réussi à ralentir le temps pour s’échanger quelques balles (de knowledge), sans trop penser à l’heure qu’il est ou ce qui nous entoure. Avec un peu de chance, l’écoute de Le phénix, il était plusieurs fois vous fera le même effet.

Publicité