« Je l’ai juste… fait. » Ce sont ces mots de Naya Ali qui me sont restés en tête depuis notre rencontre. Je venais de lui demander comment on faisait pour faire partie de la programmation du Festival International de Jazz de Montréal sans même avoir sorti de projet. Je m’attendais à une longue réponse, du genre des histoires qu’on entend qu’une fois dans sa vie. Mais non, pour la rappeuse montréalaise d’origine éthiopienne, la clé de la réussite se trouve dans son accomplissement, et non dans l’histoire qui se trouve derrière.
L’artiste, qui avait abandonné la musique pour entreprendre des études universitaires, est revenue à sa passion il y a un peu plus d’un an après avoir tenté de se lancer dans le monde de l’entrepreneuriat. « Je voulais changer ma vie, et je me suis dit qu’il y avait des meilleures façons pour moi de la changer », me dit-elle dans les bureaux d’URBANIA « alors je suis retournée vers la musique. »
Ali s’est donc lancé dans le rap, y cherchant d’abord une forme de thérapie, d’exutoire. Elle a vite compris que les limites qu’elle voyait dans la musique n’étaient qu’un mirage. « Je me suis dit ce que Jay-Z a déjà rappé “I’m not a businessman, I’m the business, man”, alors pourquoi est-ce que je ne pourrais pas être le produit que je vends? Je pouvais investir en moi-même à 100 % au lieu d’investir dans quelque chose que je pouvais perdre plus tard. »
C’est alors que le takeover (pour rester dans la thématique de Hova) de Naya Ali a pris forme, tout en subtilité et en confiance. La première salve, Ra Ra, arrive en septembre 2017 et annonce un premier EP à venir. À partir de là, tout commence à débouler rapidement pour la résidente de Notre-Dame-de-Grâce. Des shows importants — le FIJM, le festival Mural en première partie de Pusha T, plusieurs clips, une signature avec Coyote Records et enfin la sortie de son EP Higher Self le 16 novembre dernier au Ministère.
Alors comment on fait pour accomplir tout ça en moins d’un an, quand on est une femme noire qui rappe en anglais à Montréal?
« Je me suis dit il y a un an que dans la prochaine année, ma vie allait faire un virage à 180 degrés. Depuis, je vis comme si ce virage avait déjà été fait, alors le reste a suivi naturellement. »
Sérénité et assurance
Au fur et à mesure de l’entrevue, Naya laisse entrevoir une confiance sereine, qui montre toute sa force de caractère sans jamais tomber dans l’arrogance. Même lorsque je lui demande d’expliquer sa chanson Ali, où elle s’autoproclame une légende, elle ne bronche pas. C’est pas un peu arrogant, justement, comme statement?
« Je crois qu’on doit speak things into existence dans la vie. Je ne suis pas une légende à cause de mon EP, ou de ma musique. Je suis une légende parce que je suis qui je suis et que j’y crois. Forcément, ça amène les autres à le croire aussi quand ils me voient. »
Cette assurance se retrouve aussi dans sa musique. Lorsque je lui demande de me parler des difficultés qu’une femme qui fait du rap en 2018 peut rencontrer, elle recentre directement le débat.
« C’est sur que c’est n’est pas facile, me confie-t-elle entre deux gorgées de thé. Sauf que je trouve ça limitant pour les femmes, de ne se comparer qu’aux femmes. Pourquoi vouloir être la meilleure femme qui rappe? Moi je veux être the best rapper, point. »
« Pourquoi vouloir être la meilleure femme qui rappe? Moi je veux être the best rapper, point. »
Celle qui s’inscrit comme une prétendante au titre de recrue de l’année sur la scène anglophone du rap québ avoue essayer de ne pas se poser trop de questions et de laisser aller les choses le plus possible. Elle veut tout de même garder le contrôle sur la direction de sa musique et de son parcours. Pourquoi douter, quand son parcours parle de lui-même?
« Check ce qui est arrivé dans la dernière année, s’exclame-t-elle, c’est fou! Ça paraît impossible, en fait. Mais j’y ai cru, j’ai laissé le destin faire les choses et j’ai fait confiance au processus en restant moi-même. Après, le timing des choses a été en ma faveur, j’ai fait les bonnes rencontres, j’étais au bon endroit au bon moment. Mais ça, c’est parce que j’y croyais, parce que je laissais le chemin se dévoiler devant moi sans résister. »
Au final, ce concept de manifest destiny — de croire qu’on est destinés à quelque chose, peu importe ce que ça prendra pour y arriver — revient énormément lorsqu’Ali parle de son parcours. Rien n’arrive pour rien, et même les embûches servent à renforcer la foi qu’elle a en elle-même.
Une rappeuse anglo à Montréal
Forcément, Naya Ali n’a pas choisi le chemin facile. En rappant en anglais dans une province où la scène du rap québ francophone est en pleine explosion (« eux, ils ont tout compris! » me dit-elle), elle a choisi de faire son propre chemin, coûte que coûte. Comme c’est le cas avec plusieurs autres artistes prometteurs, on lui a suggéré de déménager à Toronto ou New York pour s’épanouir. Pourtant, Ali, fidèle à son habitude, respecte le chemin qui est tracé pour elle et compte travailler pour que Montréal soit reconnue comme une ville où il est possible d’avoir du succès en faisant du rap anglo.
« À Toronto, avant Drake, il n’y avait pas vraiment de scène reconnue, alors que maintenant, tout le monde a l’impression que Toronto est une plaque tournante du rap mondial. Tout ce que ça prend, c’est un déclic, une personne qui va changer les choses. Je crois que je peux être cette personne-là. »
« Tout ce que ça prend, c’est un déclic, une personne qui va changer les choses. Je crois que je peux être cette personne-là. »
En attendant de la voir confirmer cette confiance avec un premier album sur lequel elle travaille présentement, on ne peut que se fier sur son EP Higher Self et ses dernières performances, qui laissent entrevoir un potentiel à peine exploré. Celle qui lançait officiellement Higher Self lors de son spectacle au Ministère pendant M pour Montréal a reçu un accueil digne d’une pointure de la scène. Then again, est-ce vraiment surprenant, lorsqu’on voit la conviction avec laquelle Naya Ali défend son art et son parcours? On attend impatiemment la suite, qui risque d’apporter un vent de fraîcheur sur la scène anglo.
En fin d’entrevue, je demande à Ali ce qu’elle voudrait que les gens retiennent de son message, de ce qui est important pour elle. « Soyez honnêtes! Au final, on veut tous être aimés, sinon, ça sert à quoi la vie? Alors soyez vous-mêmes, faites confiance à la vie et elle vous le rendra. » En anglais, on dit practice what you preach, une maxime qui définit bien Naya Ali, finalement.
Pour suivre Naya Ali, c’est ici.