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Entrevue : Maky Lavender – Le temps des terrasses est arrivé

On a discuté avec le jeune rappeur à l'occasion de la sortie de son nouvel album.

Par
Mathieu Palmer
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Au Québec, la scène de rap anglo manque d’amour. Pendant que le rap franco commence tranquillement à percer les médias traditionnels, le volet de l’industrie dans la langue de Shakespeare peine encore à se tailler une place dans la culture populaire. Pourtant, depuis plusieurs années déjà, la ville regorge d’immenses talents anglophones.

Parmi ceux-là, on compte le charismatique Maky Lavender. Sur sa feuille de route on trouve deux excellents EP, des singles incroyables et une esthétique digne des plus grands et depuis vendredi, un premier album officiel. Après avoir tourné avec Les Louanges et Zach Zoya, Maky débarque avec… At Least My Mom Loves Me, un projet plus réfléchi et vulnérable.

Qu’on le veuille ou non, le rappeur est là pour rester. Et ça tombe bien, parce que justement, on lui a parlé !

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L’ouverture des terrasses

Tu as sorti deux EPs dans les dernières années, maintenant tu arrives avec ton premier album. C’est un projet vraiment plus intime ; parfois heureux, parfois sombre et vulnérable. C’est quoi le processus qui t’a mené à produire un album du genre ?

Plusieurs artistes m’ont dit en commençant que « Ça prend toute ta vie pour faire ton premier album », et ils avaient raison. C’est vraiment toute ma vie, ou plutôt différentes versions de ma vie. Et comme toutes les choses que j’essaie de faire dans ma vie, que ça marche ou pas, au moins ma mère m’aime.

Y a toujours deux côtés à cette médaille-là : Quand t’es sur le party et puis qu’il y a aucun problème, genre c’est vendredi soir avec tes boys. Puis y a l’introspection du lendemain : le dimanche où tu te réveilles et puis que t’es comme : fuck..! Ma vie c’est ça, ça prend les deux. Chaque année c’est comme ça. Les premiers 4-5 mois sont de la merde, mais dès que les terrasses arrivent, t’es good.

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Si tu avais un message à envoyer à un jeune qui se retrouve dans une situation d’instabilité et précaire, ça serait quoi ?

Keep your head up, littéralement, keep your head up, trouve quelque chose que t’aime et keep it moving. Parce que c’est dur, juste la vie en tant que tel, c’est compliqué. Maintenant j’ai 24 ans et je pense à tous les changements au travers desquels j’ai passé entre 17 et 24, c’est plein d’étapes et c’est fou. J’ai fait cet album-là aussi pour le moi de 14 ans qui se demandait : qu’est-ce qui se fucking passe avec moi ?

Le travail de studio

À quoi ressemblait les sessions d’enregistrements, étant donné qu’y a plusieurs moods dans l’album ?

Ça dépend : il y a des chansons qui se sont faites directement dans ma chambre en solo, d’autres dans des sessions studio vraiment nice. Par exemple pour P-Coat avec Yen Dough c’était fou. La première fois que j’ai fait la chanson, c’était dans l’ouest. Puis on s’est rencontrés des mois plus tard, on a tous mis des polos, on s’est fait des tacos pis on a setté des lumières pour l’enregistrer. Il y a d’autres vocals dont on a gardé les versions de ma chambre parce qu’elles étaient plus intimes. Quand y a personne autour de moi, je fais vraiment ce que je veux et ça s’entend dans la musique.

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Un des stéréotypes les plus fréquents du rap, c’est que c’est juste de la musique électronique et qu’il n’y a pas de vrais instruments. Sur ton album tu as plusieurs moments très organiques, y’a même un solo de guitare, pourquoi tu as fait ce choix artistique ?

Grâce à Guitar Hero et fucking Slash ! J’ai grandi en jouant à ce jeu-là et y a quelque chose de fucking cool dans un solo de guit. Je talkshit souvent sur les gens qui se font juste un band mais je talkshit aussi sur ceux qui font juste des beats. C’est vraiment une question d’équilibre. Il y a un solo de saxophone à la fin de Air Transat Freestyle et c’est mon moment préféré.

Tu as plusieurs collaborateurs sur l’album, dont Speng Squire, Sophia Bel, Zach Zoya etc. Comment tu as procédé à la sélection de tes featurings ?

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Au début pour Billie Gin, je voulais aller wild out et avoir GoldLink. Je ne sais pas pourquoi, je pensais que ça fonctionnerait, mais c’est pas arrivé… haha. Speng Squire m’a envoyé une vidéo de lui qui rappait sur le beat et c’était fou. Sinon Sophia Bel m’a envoyé une version d’elle qui chantait sur un instru et c’était complètement amazing. Au début quand je commençais, je voulais sortir mes featurings du Québec. Mais en écoutant ça, je me suis dit que j’allais me calmer sur les gros features et faire quelque chose qui est à propos de la musique en premier.

Partir ou rester ?

Dans le clip de la chanson Bloom, tu mets de l’avant ta réalité et celle de plusieurs Noirs dans l’industrie de la musique. Qu’est-ce que tu penses de la place des jeunes hommes noirs dans l’industrie québécoise ?

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C’est en développement, et ils sont encore en train de figure out c’est quoi cette place-là justement. C’est facile de pointer du doigt en se disant que « y a pas assez, y a pas ça » ou whatever. Moi aussi je l’ai fait. J’aurais aussi pu me dire « ah, je vais commencer à rapper en français », malgré qu’autour de moi c’est anglais. Surtout que ma situation est particulière : ma mère a été élevée par une femme québécoise, donc j’ai toujours eu la culture québécoise autour de moi. Mais au lieu de changer pour me trouver une place, je me suis créé une place.

La plupart du temps, les rappeurs anglo d’ici visent dès le début de leur carrière un saut vers les États-Unis et une carrière internationale, est-ce que c’est le cas pour toi ?

Le saut va se faire, mais je pense que je vais le faire plus graduellement et organiquement, comme je l’ai fait ici. Au début, il y avait vraiment juste mon quartier qui m’aimait puis après ç’a été un autre et un autre et là maintenant c’est le Québec. Je ne veux pas sauter des étapes pour avoir un résultat plus américain. C’est toute une autre culture là-bas, et je dois accepter que je suis Canadien : c’est pas parce que je rap que je sais exactement leur réalité là-bas.

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On entend souvent parler du fait que c’est plus difficile pour un rappeur anglo de percer au Québec. Qu’est-ce tu penses de ça ? Y a-t-il aussi des avantages à être un MC anglo ici ?


C’est dur, mais c’est rendu possible grâce au travail qui a été fait dans les dernières années. Avant c’était juste impossible, genre oublie ça. Ça reste malgré tout plus difficile et faut tu sois prêt à mettre 4-5 ans de ta vie de côté. Ça prend plus de temps à partir, surtout pour être unique, mais quand ça va partir, il y a vraiment un boom. Le plus gros avantage c’est que tu peux sortir, mais c’est un avantage pour 5000 désavantages.

Qu’est-ce qui te rend le plus fier sur cet album ?

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D’avoir été capable de garder le secret de la thématique et du titre pendant autant de temps. L’époque à laquelle on vit est vraiment difficile, on perd beaucoup de héros et je trouve ça vraiment triste. C’est facile pour quelqu’un de mon âge d’être tellement concentré sur ses objectifs et de s’oublier. Notre génération veut jouer comme Kobe Bryant, danser comme Michael Jackson et rapper comme Lil Wayne, mais deux de ces gars-là sont même pu là. Sur cet album-là, je suis vraiment vulnérable et c’est pour ça que c’est nice pour moi. Je suis juste vraiment content d’avoir de l’amour dans ma vie, et cet amour-là vient de ma mère. C’est fucking real.