La grande majorité des fans de rap queb ont découvert Lord Esperanza lors de sa collaboration avec FouKi sur le single Audigier. On y retrouve une association logique entre deux rappeurs ambitieux, au début de la vingtaine, cherchant à traverser l’Atlantique de leur continent respectif. Le rappeur parisien de 22 ans n’en est pourtant pas à ses premiers faits d’armes.
Actif depuis maintenant plus de quatre ans en France, Théodore Desprez a cumulé les mixtapes avant de présenter le mois dernier son premier vrai album, Drapeau blanc, sorti sur le label Paramour qu’il a fondé. Le rappeur était de passage à Montréal le temps d’une mini-tournée québécoise qui culminait avec sa double apparition aux Francos mercredi dernier : d’abord invité par FouKi sur le main stage, il donnait ensuite son propre concert sur la scène adjacente.
Question d’approfondir notre knowledge du Lord, on est allé le rencontrer pour jaser de tout et de rien.
Le rendez-vous était donné dans un appartement du Plateau quelques jours avant le show aux Francos. Étant un grand chilleur de salon, je préfère toujours faire des entrevues dans un contexte plus relax, et celui-ci était idéal pour avoir une conversation bien posée. On tombe directement dans les affaires deep, alors que le rappeur nous accueille en terminant un appel Facetime avec sa blonde. L’amour, une grande source d’inspiration pour Esperanza?
« L’amour, ça donne naissance à la confiance en soi, confie-t-il. Sur une chanson de l’album, je dis “le temps, l’amour et la confiance en nous sont les seules choses qui nous lient” et je crois que tous les humains sur Terre sont régis par ces problématiques — qu’ils soient riches, pauvres, vieux, jeunes… »
Les conséquences du succès
Il aborde ces problématiques plus que jamais sur Drapeau blanc, où il a réussi à s’ouvrir sur lui-même en passant notamment par l’autodérision. « Auparavant, je me cachais un peu dans la carapace de Lord qui était en fait une représentation de mon manque de confiance, avoue le rappeur du 18e arrondissement. C’est de montrer sa vulnérabilité au plus grand nombre, surtout comme les chiffres grossissent, t’es de plus en plus exposé — il y a donc de plus en plus d’éloges, mais de plus en plus de critiques aussi. »
Il est nécessaire alors de faire preuve d’humour et de détachement lorsque la grosseur des foules augmente au même rythme que les stats Spotify. Depuis deux ans, la cote de Lord Esperanza monte en flèche et inévitablement, ça change des choses. Même pour son passage au Québec, lui qui en est à sa deuxième visite en moins d’un an.
« Ce qui est beau au Québec, admet-il avec un grand sourire, c’est que tout le travail reste à faire. Sauf qu’on voit déjà la différence, par exemple pour le show de Sherbrooke, on a déjà vendu en prévente le nombre total de places vendues la première fois. Ce n’est pas des nombres énormes, mais ça montre le progrès. Après, c’est sur que l’effet FouKi a aidé (rires)! »
Les deux font la paire
Cet effet FouKi est également inverse. Après Audigier, les deux artistes ont uni leurs forces à nouveau sur Faut c’qui faut, pièce présente sur le dernier album du québécois où apparaît également le très talentueux Isha. Si ces deux collaborations ont permis au Lord de se faire connaître au Québec, elles ont aussi ouvert des portes pour FouKi qui a été invité à la légendaire émission Planète Rap de Skyrock lors du lancement de Drapeau blanc. Esperanza y recevait le traitement takeover en prenant part à l’émission pendant toute une semaine pour faire la promo de l’album et lâcher de gros freestyles.
Ça fait quoi d’avoir invité le premier rappeur queb à l’émission? « C’est un immense privilège, dit-il fièrement. Le plus fou, c’est qu’il a même repoussé un peu l’heure de son concert (à Paris) pour pouvoir venir faire les morceaux à la radio. »
On remarque tout de suite la chimie entre eux. C’était évident sur le big stage des Francos où ils ont interprété leurs collaborations devant une foule détrempée, mais captivée et réceptive à l’énergie contagieuse d’Esperanza.
Le Québec, bastion d’ouverture?
Il faut dire que le rappeur est, comme beaucoup de ses compères européens, très fan de notre belle métropole. « Il fait bon vivre ici, me dit-il bien posé sur le sofa, votre culture est plus ouverte, plus tolérante qu’en France je pense. Il y a beaucoup plus de bienveillance, de sourires… »
Lorsque je précise que tout peut changer très vite lorsqu’on sort de Montréal, le Parisien met tout de suite le doigt sur le paradoxe : « Montréal c’est un peu comme Paris finalement; Paris n’est pas la France, et Montréal n’est pas le Québec. » Voilà, bienvenue au Québec.
Si Montréal n’est pas le Québec, le Lord a eu la chance de parcourir un peu la province alors qu’il se produisait également à Sherbrooke, Québec et Trois-Rivières lors de ce passage rapide en Amérique du Nord, où il avoue avoir aussi trouvé les mêmes bonnes vibes, en partie grâce à la légalisation du cannabis.
« Y a le pot aussi qui est légal, les gens sont chill, la beuh est bonne ici, contrairement à Paris (rires). »
Créer pour mieux exister
Esperanza ne fume pas, mais il remarque l’ambiance plus cool, moins stressante que ce qu’on retrouve dans la capitale française. Sauf que le rappeur est bien loin de chez lui, alors qu’il avoue être un brin nerveux par rapport à la musique et sa création. On sent d’ailleurs sur Drapeau blanc ce besoin de s’ouvrir et de laisser sortir le stress alors que le rappeur explore de nouvelles thématiques, mais aussi de nouvelles sonorités.
« On évolue dans un genre musical qui a maintenant plus de quarante ans, observe Lord Esperanza, et il y a déjà des gens très forts qui ont fait de grandes choses. Alors la seule façon d’évoluer, c’est de casser les codes en mélangeant le mix, le son, les instruments. C’est névrotique, mais en même temps, ça nourrit un accomplissement personnel. »
C’est la beauté de la scène française qui, après des difficultés de croissance, propose un genre assez diversifié pour aller chercher un public digne de la musique pop. Esperanza voit le tout d’un très bon œil.
« Ce qui est beau à avoir, c’est que dans les charts, il y a autant Big Flo & Oli que Ninho, et ça ne dérange personne, la vibe est là et ces mecs arrivent très bien à s’exporter. »
Le Lord s’exporte également très bien, et ce deuxième passage au Québec en est la preuve. Érudit, cultivé, le rappeur donne une impression de fraîcheur et de légèreté qui contraste avec les propos souvent profonds qu’il tient dans sa musique. Sauf qu’avec Esperanza, la grande réflexion n’est jamais très loin, lui qui se retrouve à un moment important de sa carrière, alors que le succès d’estime se transforme tranquillement en succès commercial. Malgré les sacrifices, le mouvement constant, le travail intense et la nervosité, on sent un rappeur heureux, comblé.
« C’est le paradoxe de chaque être humain, argumente Lord. On veut toujours plus, on grandit dans une société régie par la dictature du chiffre et de la performance, et j’ai conscience de la chance que j’ai d’être là où je suis. Je vis de ma musique depuis deux ans, je vais bientôt pouvoir acheter un appartement, j’ai créé un label, je suis en tournée, je fais un Bataclan à la fin de l’année. Alors en vrai, c’est incroyable. Et si tout devait s’arrêter demain, j’aurais déjà coché des cases que je croyais insurmontables il y a encore deux ans. Donc effectivement, j’ai accompli beaucoup de choses, mais en même temps, ça laisse présager tellement de belles affaires pour l’avenir. »
Vous en voulez plus? Regardez alors notre entrevue filmée avec Lord Esperanza juste ici :
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