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Entrevue : LaF – Brasser les cartes

Entretien avec le groupe qui vient tout juste de sortir son premier album studio.

Par
Alexandre Demers
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C’est à force de travailler un matériau qu’on finit par le rendre plus malléable; après ça, on peut plus facilement l’adapter. C’est un peu à partir de ce principe universel que le sextuor montréalais LaF a façonné son propre alliage de hip-hop qui le démarque de belle façon dans le paysage du rap queb actuel. Une proposition originale et organique flirtant ici et là avec le house, le folk et la pop qui fait tourner les têtes depuis un certain moment.

Formé en 2015 par les trois rappeurs Bkay, Mantisse, Jah Maaz et trois beatmakers BNJMN.LL0YD, BLVDR, Oclaz, LaF a fait son entrée officielle dans l’arène l’année suivante lorsqu’il a fait paraître Monsieur-Madame (2016), un premier projet existentialiste sur lequel il jette les bases de sa formule smooth rap misant sur la fraternité entre ses membres. À partir de là se sont enchaînés quelques EP qui ont élargi la palette stylistique du groupe et un passage remarqué le circuit des festivals.

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Au bout de ce jeune, mais riche parcours, la troupe arrive aujourd’hui avec Citadelle, un premier album officiellement présenté sous la prestigieuse étiquette des Disques 7ième Ciel. Construit dans le momentum créatif de leur victoire aux Francouvertes et la parution de fort célébré EP Hôtel Délices (2018), ce projet se veut plus conceptuel, déterminé et éclectique; une espèce de courtepointe de beatmaking abouti et d’instrumentations organiques.

Pour creuser un peu plus profondément dans la proposition de LaF et en connaître davantage sur la genèse de ce nouveau projet issu de leur chimie créative, on est allé à la rencontre de Bkay, Mantisse, Jah Maaz et BLVDR dans un café de Rosemont.

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Le refuge des idées

C’est un travail de longue haleine qui aura mené à la création de Citadelle. D’abord né d’expérimentations lors de retraites de groupes dans des chalets à gauche et à droite dans la province, ce projet était originellement une tentative de jouer sur la proposition hip-hop et le house qui avait fait le succès de leur pièce Tangerine.

En fin de compte, toutes ces tentatives, de par la nature instinctive des membres du groupe, menaient leur propre chemin vers autre chose. Un exercice récurrent chez un groupe qui a fait de la spontanéité artistique sa nature propre. « On a crafté environ une vingtaine de beats dans l’année, dans lesquels on a coupé pour en arriver à 14 tracks. Donc 12 chansons et les deux skits, » admet Mantisse.

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« Je pense que ça a définitivement pris du temps avant d’avoir une idée à savoir où ça s’en allait, d’avoir un portrait global. Au début, on faisait des beats. On rentrait dedans, on n’arrêtait pas. Mais dès qu’on a pogné un pace “esthétique”, parce qu’on a commencé à marcher de la même manière et avec les mêmes instruments, on a catché le vibe pis on a construit sur ça. »

Au fil des expérimentations au rythme d’un beat par jour de création, LaF s’est retrouvé avec un bassin de morceaux tournant autour du refuge à idées qu’incarne « la ville ». Un concept qui s’est dessiné de lui-même, sans consultations préalables.

Du lustre et des prods

S’il y a une chose qui se dénote particulièrement des titres, c’est évidemment la chimie fusionnelle entre les six têtes créatrices du groupe; une caractéristique notoire depuis le premier jour.

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Plus en symbiose que jamais, les beatmakers BNJMN.LL0YD, Oclaz et BLVDR proposent sur Citadelle la sélection la plus raffinée de leur catalogue jusqu’à maintenant, alliant parfaitement l’instinct brut et le polissage dans les intros, les outros et les transitions, pour un effet hypnotique qui attire définitivement l’attention.

BLVDR : « Je pense que c’est simplement une courbe naturelle qu’on a pris en expérimentant pis en se laissant aller. C’est notre motto quand on beatmake : se laisser aller. Ça fait qu’on découvre de nouveaux sons, on essaie de nouveaux plug-ins, etc. L’idée c’est juste de ne pas s’arrêter à ce qu’on connait déjà, mais de continuer à développer son style. C’est aussi vrai pour les paroles, je pense. L’un va avec l’autre. L’œuvre en soi évolue toute ensemble. »

Ce désir de sortir des codes conventionnels du genre a été bonifié par l’apport de musiciens ne gravitant pas (nécessairement) autour du hip-hop. On retient les collaborations de Vince James, les voix de N NAO et les lignes de basses d’Émile Tempête sur la pièce Hélium. Et c’est sans mentionner la minutieuse collaboration du guitariste Clément « Pops » Langlois-Légaré (Clay and Friends), omniprésente sur le projet.

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BLVDR : « Les collaborations avec les instrumentistes, ça rajoute une dimension vraiment intéressante à nos textures et à l’album. »

Bkay : « Y avait une volonté d’aller chercher un certain knowledge musical à travers ça. On savait que pour amener notre truc ailleurs, on allait justement avoir besoin de l’aide de personnes qui pouvaient apporter un lot de connaissances que nous on n’avait pas nécessairement. On met le soul, on a les tracks, on a les maquettes, pis après, on amène ça à un autre niveau. Pour qu’on arrive vraiment avec un son qu’on écoute en se disant : “les gars ont une recherche, y a quelque chose qui feel right!” »

La mort tranquille des étiquettes

Bien en phase avec son époque où les styles se fondent les uns dans les autres, les gars de LaF tiennent davantage à créer quelque chose d’organique sans balises que de se coller exclusivement à un genre musical.

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BLVDR : « C’est pas autant de s’émanciper que de créer une nouvelle avenue, amener le hip-hop ailleurs. »

Bkay : « Exact. Et il reste que nos racines, c’est le rap. C’est mon entrée dans la musique. Pour moi, le rap, c’est la démocratisation de la musique : n’importe qui a accès à une feuille, un crayon ou un ordinateur… Nous on provient de cette scène-là, on la représente and shit, mais on est down de l’amener ailleurs. »

Fort du fait qu’il reste « peu de temps sur leur montre », LaF se voit déjà en train de conceptualiser de nouveaux morceaux et rebrasser les idées d’un think tank créatif rarement au reposé un trait des artistes de l’époque actuelle habités par une urgence stimulante.

Mantisse : « On a faim man! »

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Bkay : « On est en phase avec notre époque. Tout se consomme tellement rapidement. Pis tsé, avec les décisions des dernières années comme lâcher le school, et tout ça, sans le vouloir, ça fait que t’as le feeling de courir après ta life. De se responsabiliser. C’est un sentiment plus qu’un truc basé sur des faits réels. »

Mantisse : « En fait LaF, c’est une équipe, et c’est donc aussi un compromis. Pis c’est un compromis positif dans le sens que t’apprends à venir donner ta partie dans tout ça parce que tu penses que t’as un rôle à jouer. Et t’es validé par tes pairs. Ce qu’on fait à travers ça, ça se définit depuis qu’on a commencé à le faire. Avant, on était définitivement plus un “groupe de rap”, entre guillemets, mais plus l’affaire prend de l’ampleur et moins c’est clair. Pis c’est tant mieux, » admet-il en riant, avant de conclure. »

« Je pense que plus on est à l’aise, pis plus on a les moyens de faire ça et d’y donner du temps, plus ça devient éclectique. Au fond, c’est beaucoup plus proche de nos individualités que la somme de tout ça. »

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