Jeanne Added a débuté son parcours dans la scène musicale depuis un bon moment déjà. Celle qui jadis était chanteuse jazz s’est par contre permis en 2015 un rêve qu’elle couvait depuis longtemps : une carrière solo. En lançant son premier album Be Sensationnal à l’âge de 35 ans, l’effet Jeanne Added a fait beaucoup de vagues et l’a propulsée dans une tournée de plus de 200 dates.
Elle a ensuite refait le coup cette année en lançant son deuxième projet en septembre 2018, Radiate, un album qui sera encensé par la critique et qui lui vaudra deux prix Victoire: l’artiste féminine de l’année et Album rock.
Cet été, la Française s’est arrêtée au Québec et on a la chance de lui parler lors de son passage au FME. Une discussion sur la place du corps dans sa musique, les codes du dominant et la maturité, qu’on vous présente ici.
C’est votre deuxième participation au FME. Vous y étiez passée en 2015. Est-ce que vous avez des attentes particulières pour cette année?
C’était assez confidentiel la première fois. On était dans l’église. C’est vrai que là, peut-être qu’il y aura un peu plus de monde et c’est ça qui me plairait. L’idée c’est quand même de rencontrer le public. On ne nous connaît pas du tout ici au Québec. Avoir l’opportunité de jouer sur une scène un peu plus grosse ce soir, ça permettra j’espère de toucher un peu plus de monde et de commencer une jolie histoire.
Est-ce que c’est quelque chose qui vous fait peur, d’avoir à séduire un public?
Non, moi j’aime bien ça. C’est toujours le cas de toute manière de n’avoir rien de jamais gagné. Même en France où je commence à être un peu repérée, il y a toujours des gens qui ne connaissent pas, qui viennent de nous découvrir. Disons que je n’en suis pas toujours au stade que tout est joué. Je suis encore en train de prouver plein de choses, mais en fait je crois que j’aime bien ça dans la vie d’être dans une dynamique qui est active, de recherche de réactivité, etc.
Les derniers mois vous ont propulsé au premier rang de la musique pop autant en France que dans le reste de la francophonie. Vous avez eu un an de tournée, et maintenant vous faites paraître votre deuxième album. Est-ce que vous vous permettez de faire évoluer ce projet-là sur scène ou vous vous en tenez à la version studio?
Moi je pars du principe que ce qui est live est forcément différent du studio, parce que c’est joué par mes musiciens et musiciennes sur scène. Donc, c’est vivant. Des fois il y a des pannes, des erreurs, des fois on joue mieux que d’autres, je chante un peu différemment. Après, moi je danse un peu plus sur scène, donc c’est plus vivant à ce niveau-là.
Puis au fur et à mesure des concerts, on gagne en confiance. On se détend sur certaines choses et ça fait un peu bouger la musique aussi.
Est-ce que vous réinterprétez différemment certaines chansons?
On les change un peu, oui.
Donc, ça donne des spectacles qui sont un peu uniques et éphémères…
Non, on les change une fois, on les fait évoluer au fil de la tournée, mais ça ne change pas d’un soir à l’autre, parce que ce n’est pas le propos de la musique. Moi, j’aime bien la répétition. J’aime bien faire les mêmes gestes parce qu’on va plus loin dans ce même geste et on trouve une liberté dans la routine qu’on fait chaque soir. Plus on le fait, le mieux on le fait. Ça ne me dérange pas du tout de jouer de la même façon les choses.
Est-ce que vous voyez la performance physique comme une libération du corps, une illustration de la musique? D’où ça vous vient cet instinct là de bouger autant?
C’est un mode d’expression, comme la musique, de ma sensibilité, de la façon dont je me sens, du moment, de mon interaction avec les musiciens. Au fur et à mesure que je prends confiance avec ce mode d’expression là qui est le mouvement, qui n’est pas celui que j’ai étudié. J’ai une formation de musicienne et pas de danseuse. J’y vais instinctivement. Le plus je le fais, le plus je me sens bien, je vais plus loin, je m’amuse avec ça. C’est pas chorégraphié.
Votre carrière n’a pas débuté avec la sortie de votre premier album. Vous avez une formation en chant lyrique, vous chantez du jazz… Est-ce que ce projet solo-là c’est votre projet ultime?
Je n’avais pas l’idée de faire ça quand j’ai commencé à faire de la musique. C’est venu tard, mais du moment où j’ai souhaité le faire, c’est devenu le projet le plus important, la chose principale, le centre de ma vie. Ma vie a changé du tout au tout au moment où mon premier album est sorti.
Ça fait extrêmement longtemps que je fais de la musique, j’ai commencé enfant et le fait de faire ma propre musique, ça fait que mon rapport à cet art-là s’enrichit jour après jour. J’aime de plus en plus la musique.
Débuter une carrière solo à la mi-trentaine, c’est pas habituel. Mais, j’ai l’impression qu’avec un bagage aussi important, ça permet de commencer en force.
C’est la preuve qu’il n’y a pas de règles. On peut faire ce qu’on veut. On n’est pas obligés d’être tous au même rythme et d’avoir trouvé toutes les solutions à 17 ou 18 ans. J’en parle souvent avec des plus jeunes pour qui c’est la panique totale. Si t’es censé avoir trouvé tout ce que tu veux faire à 20 ans… Moi je me rappelle à cet âge j’étais perdue comme pas possible. Ça ne veut pas dire qu’à ce moment-là ce n’est pas passionnant et qu’il ne faut pas vivre dans la peur d’être perdue, qu’il ne faut pas embrasser le fait de ne pas savoir… Mais la pression de la société, de savoir exactement et d’avoir fait tout ce qu’il faut avoir fait, c’était déjà le cas quand j’étais plus jeune. C’est l’exemple de Rimbaud. Il a tout écrit à 17 ans et après c’était terminé.
Effectivement, chez certaines personnes il y a une naïveté, une sorte de confiance hyper étrange due à la jeunesse qui nous autorise à faire des choses, mais on n’est pas tous pareils en fait. Toutefois, c’est une sorte de propulsion d’énergie vitale magnifique quand ça arrive, c’est irrésistible. Mais, moi j’étais pas comme ça. Du coup, j’ai fait à mon rythme et ça ne m’a pas empêché de faire des choses.
J’ai lu quelques entrevues que vous empruntiez les codes du dominant. Est-ce que pour vous, ça vous sert d’armure?
C’est la personne que je suis. Quand je dis que j’emprunte les codes du dominant, c’est une analyse. Quand on me dit, vous êtes androgyne, effectivement je suis habillée de façon un peu masculine et le masculin c’est dominant dans société. Je n’invente rien en disant ça.
Ensuite, c’est quelque chose d’intime. Ce n’est pas une stratégie. Ça me permet de naviguer dans ce monde-là. J’ai essayé de naviguer autrement et je n’y arrive pas. Je ne me sens pas bien. À un moment donné, j’ai arrêté et je le fais de la façon qui fait que je peux sortir de chez moi.
Si naturellement c’était facile d’être féminine par ce qu’on entend par là, peut-être que je ne serais pas habillée comme ça.