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Entrevue : Hubert Lenoir dans la lentille de John Londono

Rencontre avec le photographe derrière les clichés de bien des artistes.

Par
Michelle Paquet
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Dans la salle de bain des loges des Foufounes Électriques. C’est là que j’ai eu ma première discussion avec John Londono. À quelques minutes de la première montréalaise d’Hubert Lenoir, je devais poser de petites questions au photographe concernant sa relation avec l’Enfant terrible de Beauport pour le compte Instagram d’URBANIA Musique. Assez rapidement, on s’est rendu compte que leur histoire méritait bien plus que des réponses de 15 secondes filmées avec mon iPhone.

Les deux artistes se sont rencontrés il y a presque un an, alors qu’ils allaient créer ensemble un cover iconique pour le magazine Voir. Depuis, John a eu l’occasion de shooter Hubert à plusieurs reprises, partant même en tournée avec lui dans les dernières semaines pour capturer des moments de ce qui s’avère être une année charnière dans la carrière d’Hubert Lenoir.

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Même pas 24 heures après notre rencontre aux Foufounes Électriques, après avoir vu Hubert se livrer entièrement à son public et prouver encore une fois qu’il est une motherfucking bête de scène, je rencontrais John dans un café pour en parler. Extraits d’une longue conversation sur le lien entre le photographe et le fascinant musicien.

Écrire l’histoire

Michelle : « Je voulais revenir sur un truc que tu m’as dit hier en me parlant de ta photo préférée d’Hubert. [Photo en en-tête] Tu me parlais de son côté intemporel, comme si ça pouvait sortir tout droit des années 1970. J’ai l’impression que c’est le genre de photo à laquelle on va aussi pouvoir se référer dans le futur pour illustrer cette période dans laquelle on vit. Qu’est-ce que t’en penses ? »

John : « Ce que tu dis ça résonne vraiment avec… Il y a un ami qui est très proche de Hubert et avec qui j’ai eu la chance de travailler beaucoup cette année. C’est Yes Mccan, Jean-François des Dead Obies. Je travaillais avec Hubert et avec lui en même temps et j’étais comme “Eille, il faut vraiment que vous vous rencontriez vous deux” pis en effet ça a fait des flammèches quand ils se sont rencontrés. Ils ont commencé à faire de la musique ensemble et avec Noémie [D. Leclerc, auteure du livre Darlène et copine d’Hubert] c’est devenu un trio inséparable.

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Il [Yes McCan] est venu suivre la tournée pour le fun. Quand il est parti, moi je restais encore, et il m’a écrit en regardant des images que j’avais postées après un concert. Il m’a dit “John, vous êtes vraiment en train d’écrire l’histoire.” »

(…)

John : « Il y a quelque chose de prémonitoire de son inscription à l’histoire là dedans. Il y a certaines images [d’Hubert et son groupe] où t’as l’impression que c’est les Beastie Boys, d’autres images où on dirait Richard Hell au CBGB’s. C’est vraiment la foule et le gear qui donnent des indices de l’époque. Dans son attitude et le fait qu’il finit souvent torse nu, ça évoque chez moi une espèce de nostalgie de ne pas avoir vécu l’époque punk. »

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Création et partage

John : « La relation que j’ai avec Hubert me fait beaucoup penser à celle que j’ai eu avec Grimes, il y a je ne sais plus combien d’années. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus proche de Hubert que je ne l’ai jamais été avec Grimes, mais créativement parlant on faisait tout ensemble à cette époque-là.

Elle amenait des ingrédients, une attitude et une créativité que je vois rarement dans mon travail. Hubert, c’est ça aussi. Trop souvent mon métier se résume à “Ben John il fait des bonnes photos, fait que je vais aller là-bas pis je vais faire ce qu’il me dit de faire”. Toute la responsabilité me revient. Avec Hubert, comme avec Grimes, c’était beaucoup plus un échange 50-50 et c’est ça qui a fait que c’était extraordinaire.

Hubert, c’est une année charnière [pour lui], c’est celle du clash avec le public, celle où il est est présenté, où il fait connaissance. J’avais envie de poursuivre avec la tournée et de prendre le plus d’occasions possible de documenter [cette période]. »

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Michelle : « On a vraiment l’impression qu’il se passe quelque chose en ce moment. Tout le monde le regarde aller en attendant de voir ce qui va se passer. Tu es aux premières loges pour le voir évoluer dans la création, dans la performance et même dans l’intime en backstage. »

John : « J’ai l’impression qu’on aborde cet article, cette entrevue, sur une relation, une relation avec Hubert. Dans notre métier c’est super rare. Tu peux faire cinq shootings par semaine et n’avoir jamais aucune relation avec les artistes. Les seules personnes avec qui j’ai des relations c’est Marie Davidson, Hubert Lenoir, Pierre Lapointe et Jean-Michel Blais. »

Michelle : « On dirait que les gens avec qui tu as une relation, ce sont les gens qui arrivaient au studio en mode création, pas juste en tant que sujet. »

« Là, après la tournée, c’est comme si je faisais partie du band. »

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John : « Ça va au-delà de ça. Oui, il y a la création, mais quand tu vis quelque chose d’autre que des shootings avec ces gens-là, comme la tournée, ça rapproche. Avec Hubert il y avait déjà une relation forte d’établie, mais avec le groupe pas tant que ça. Au début, je ne savais pas trop comment les sizer. Là, après la tournée, c’est comme si je faisais partie du band. Je me sens vraiment traité comme tel. C’est tellement un beau cadeau quand t’es photographe, parce que t’es pas gêné de sortir ta caméra. T’as une liberté totale.

Je n’ai pas l’habitude de faire de la photographie live. Je trouve ça ennuyant en fait. Je trouve que toutes les photos se ressemblent, que c’est toujours le même éclairage, la même relation entre l’artiste et le public, etc. Je n’aimais vraiment pas ça et c’est avec Hubert que j’ai commencé à aimer ça, parce qu’il avait tellement à donner créativement. »

Créer un moment

Michelle : « Je m’avance peut-être, mais j’ai l’impression que vu que c’est quelqu’un que tu aimes, avec qui tu as une relation, que tu veux plus capturer ces moments-là, les documenter… »

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John : « C’est relié à un moment. Quand tu vas shooter en studio, tu crées un non-lieu, c’est un non-lieu autant dans l’espace que dans le temps.

Quand tu shoot une photo dans une halte routière ou une station-service au milieu d’un parc au Saguenay, c’est un moment. Un lieu, un souvenir tsé. Plus tu vas créer ce genre de moment là, plus j’ai l’impression qu’il y a un attachement qui se lie à ça.

« Quand tu vas shooter en studio, tu crées un non-lieu. »

Je me souviens d’un show à Chicoutimi où le propriétaire de la salle était monté sur scène pour nous verser de l’alcool directement dans la bouche pendant le spectacle. À la fin de la soirée, on était tous… très très excités de danser sur de la musique un coup que la salle s’était vidée.

J’ai plein de photos de ça. Très très peu de fans étaient restés, on dansait avec des étrangers en faisant tourner une table et je prenais des photos.

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C’est le genre de moment que tu ne peux pas créer. Pour moi, c’est l’un des moments marquants de la tournée. C’est des moments complètement à part de l’espace convenu que l’on crée quand on fait des images. »

J’ai l’impression qu’on aurait pu parler encore longtemps de musique, d’Hubert et de l’impact qu’il a déjà et qu’il continuera sûrement d’avoir sur le Québec. Le thé était devenu froid et le soleil venait de se coucher lorsque j’ai quitté John. En retournant chez moi pour commencer le travail sur ce texte, je me remémorais le concert de la veille en me disant qu’on est tous très chanceux de pouvoir voir à travers la lentille de John, et celle de Noémie, la première année de celui dont le travail a bousculé le Québec en entier.