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Entrevue : Herman Kolgen et la création où on ne l’attend pas

Est-ce vraiment possible de mixer musique et centrale nucléaire?

Par
Alexandre Demers
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Le nom d’Herman Kolgen ne sonne peut-être pas de cloche chez le commun des mortels, mais il fait rayonner l’innovation culturelle québécoise un peu partout autour du monde depuis près de 20 ans. Et c’est pas rien ça!

Artiste multidisciplinaire centré sur l’audiocinétique (ça, c’est le mariage entre le son et l’image en mouvement), Herman Kolgen était fasciné par la transformation des éléments avant d’être en âge d’attacher ses souliers. D’un jeune créateur divisé entre deux passions, il s’est graduellement muté en une sorte de chef d’orchestre multimédia ayant comme mot d’ordre de création « l’influence ou l’impact du territoire sur nous autre. » La routine, quoi.

Au fil du temps, son instinct et son savoir-faire ont mis au monde une panoplie d’œuvres aux thématiques variées. Il a notamment concocté le visuel d’une présentation hommage pour le compositeur américain Steve Reich. Il a aussi fait trembler des amphithéâtres au son des données de fréquences terrestres dans Seismik. Il a également fait suffoquer sous l’eau un corps virtuel dans Inject et en a tiré un autre à bout portant avec un bazooka dans Impakt. De toutes les façons imaginables, Herman fait chanter ses œuvres qui continuent de susciter des réactions (parfois même violentes) chez les spectateurs autour du globe.

De toutes les façons imaginables, Herman fait chanter ses œuvres qui continuent de susciter des réactions (parfois même violentes) chez les spectateurs autour du globe.

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N’étant jamais en panne d’idées, l’artiste montréalais présente actuellement sa nouvelle perfo nommée Isotopp. Inspirée par des recherches de deux ans et demi à étudier des données issues du Grand Accélérateur National d’Ions Lourds (GANIL) en France, cette nouvelle création met en scène le transfert d’énergie radioactive. Soutenu par des effets sonores riches et puissants, le produit final saisit partout où il passe.

Il nous a ouvert la porte de son atelier pour nous permettre de mettre le pied dans sa bulle de création. Même s’il peut avoir l’air de simplement gosser sur des pitons pour l’œil extérieur, Herman est constamment à la recherche de l’effet parfait pour sa prochaine œuvre. On a pris le temps de jaser avec lui pour mieux cerner d’où il puise l’inspiration pour accoucher de ses visions les plus out there. Bref, qu’est-ce qui mijote là-dedans?

Tu tires ton matériau premier de la relation intime entre le son et l’image. Qu’est-ce qui t’intéresse particulièrement dans l’interaction entre les deux?

Je suis un fou de musique et d’art visuel. Très jeune, je faisais de la peinture pis je jouais du drum dans des groupes. À l’époque, les mentalités disaient que tu ne pouvais pas faire deux choses en même temps parce que tu allais tout faire à moitié. Sincèrement, j’ai jamais été capable de faire uniquement l’un ou l’autre. Lorsque j’ai eu mon premier ordi dans les années 1980, j’ai compris la possibilité d’avoir l’image et le son en même temps. Dans la combinaison des deux, il y a quelque chose qui fait que je peux passer par-dessus l’intellect. C’est comme un langage hyper puissant. Je peux te rentrer dedans directement par les vibrations corporelles et jouer avec l’énergie et les émotions. Pour moi, c’est l’ultime expérience.

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Tu t’inspires constamment des éléments organiques autour de nous. D’où vient cette fascination pour les matières et les phénomènes qui nous entourent?

C’est le côté primaire de la vie qui m’intéresse vraiment. La biologie. Au sens qu’on est tous faits de ces éléments-là. Même dans notre cerveau. C’est à ce niveau-là que je suis intéressé par tout ce qui touche au territoire au sens large. Ça se passe même au niveau de l’humain. Le territoire le plus influent sur nous, c’est l’autre humain.

Tes projets peuvent avoir l’air assez décalés pour un non-initié. Peux-tu nous glisser un peu dans ta démarche. Qu’est-ce qui inspire toutes tes idées hors du commun?

C’est assez varié. Pour Inject, j’avais vécu la mort de ma mère et je m’étais séparé d’une relation de 15 ans. C’était aussi une période où j’étais intense dans ma vie. Je me questionnais sur ce qui arrive quand tu prends quelqu’un et tu lui enlèves quelque chose qui est super important dans son équilibre. Ça peut être une passion, une job, un amour, etc. Qu’est-ce qui se produit? Tu suffoques. Tu te reconstruis. Je suis parti de là. J’ai décidé de mettre quelqu’un dans l’eau pendant six jours et de lui enlever son oxygène. J’ai filmé le résultat avec une caméra sous-marine.

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Pour Impakt, il m’était arrivé un accident à la tête et au cerveau il y a quelques années et je me suis dit fuck it. À ce moment-là, on était pas mal dans le terrorisme, le #metoo, les agressions, l’intimidation dans les écoles, la corruption, etc. J’étais en criss contre la société et l’oppression en général. Pendant que j’attendais à l’hôpital, je me suis dit que pour ma prochaine perfo, je voulais un bazooka pour tirer un target sur un corps virtuel. Je voulais tester la tolérance du monde. Ce que je voulais tester aussi, c’était la violence intérieure des gens.

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Ce sont deux exemples. Ça peut venir d’un désir profond de me défouler, mais aussi d’une volonté pure d’explorer les éléments invisibles du territoire et les rendre visibles pour tous. L’impact que tout ça a sur nous. Ça touche à différentes zones.

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Tes créations captent l’imaginaire grâce aux effets visuels saisissants. Quelle place prend la musique dans tes œuvres?

La musique n’est vraiment pas accessoire. Étrangement, à un certain point, lorsqu’elle fit très bien avec le visuel, tu l’oublies. Tu la prends pour acquis parce que le son arrive naturellement en même temps que l’image. Je travaille super fort pour que tout ça se marie à la perfection. Tout seul, la musique, ça chie loin. Si on met des images ou des visuels réducteurs, ça peut ruiner toute l’essence de la musique. Personnellement, je travaille la musique de façon plus visuelle. C’est une affaire que je gosse, que je déforme. Comme une sculpture. C’est essentiel.

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Ça faisait longtemps que tu voulais rencontrer des scientifiques pour développer des projets. Pourquoi et qu’est-ce que tu cherchais? Comment est venue l’idée d’Isotopp?

J’ai tout le temps un peu travaillé avec la science. À la base, je voulais entrer dans les réseaux universitaires pendant que je travaillais sur Seismik pour être capable de me connecter avec les données des vrais intervenants du milieu. Pour Isotopp, j’étais en France pour une perfo et y avait deux scientifiques du centre nucléaire GANIL de Caen dans la salle. Ils ont vraiment aimé mon travail avec la science et m’ont fait rencontrer leur directeur. J’ai visité leurs installations. Ça a un peu été la chance de ma vie parce que j’aurais jamais été capable d’aller voir une centrale nucléaire par moi-même et avoir accès à du data. Ils ont été vraiment cool.

« Ça a un peu été la chance de ma vie parce que j’aurais jamais été capable d’aller voir une centrale nucléaire par moi-même. »

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Je suis arrivé à Isotopp au bout de deux années de travail avec l’idée du transfert d’énergie parce que c’était l’affaire qui reliait toute la médecine nucléaire par rapport à la recherche du cancer. Y avait encore tout un côté qui touchait l’humain, de manière plus abstraite. Pour la perfo, je me suis dit qu’il fallait que je garde ça dans l’énergie pure. Le transfert de l’énergie d’un point A à un point B.

Quelque part, est-ce qu’il y a une part de ton art qui cherche à dénoncer?

Je cherche pas à me placer comme un artiste qui dénonce, mais je suis assez conscientisé, donc c’est sûr que ça doit transparaitre. Par contre, je vais jamais dire que je veux passer un message. L’œuvre, c’est une sorte de partage. À la limite, c’est comme une conscientisation sensitive. Les gens comprennent ce qu’ils veulent et c’est ben différent d’une personne à l’autre. Je me fous que tu comprennes exactement ce que je veux transmettre ou pas. L’important, c’est d’aller à un autre niveau.

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