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Fabien Cloutier en toute délicatesse

Rencontre en Crocs, au-delĂ  du personnage.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Le stationnement est dĂ©sert devant le centre communautaire de Saint-Marc-des-CarriĂšres, une bourgade de 2 800 Ăąmes perdue Ă  mi-chemin entre Trois-RiviĂšres et QuĂ©bec. Pour la plupart du monde, Saint-Marc n’est qu’une pancarte croisĂ©e sur l’autoroute 40. Mais jeudi, le village Ă©tait l’escale d’un spectacle de l’humoriste/dramaturge/comĂ©dien/auteur Fabien Cloutier, en rodage depuis quelques mois de son prochain et deuxiĂšme one man show intitulĂ© DĂ©licat.

En fait, il n’y a que deux voitures dans le stationnement exposĂ© aux bourrasques de fin de tempĂȘte : celle de l’hĂŽte des lieux et celle de Fabien Cloutier.

Le premier termine d’installer environ 200 chaises dans la grande salle, l’autre termine de souper dans une piùce au fond servant de loge.

Fabien Cloutier m’accueille en vĂȘtements dĂ©contractĂ©s et en Crocs avant de s’échouer dans un sofa en face de moi.

Il achĂšve une sĂ©rie de spectacles prĂ©paratoires, Ă  l’aube d’une tournĂ©e provinciale qui s’ébranlera sous peu aux quatre coins de la province. Il vient aussi de sortir un recueil de chroniques intitulĂ© L’allĂ©gorie du tiroir Ă  ustensiles (Lux Éditeur, deuxiĂšme ouvrage du genre qui cartonne en librairie). C’est sans compter ses rĂŽles Ă  la tĂ©lĂ©vision et passages apprĂ©ciĂ©s au micro de Paul Arcand. Bref, notre LĂ©o national ne chĂŽme pas.

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« Je suis pas loin de mon show. La rĂ©ception est bonne », tranche-il, se remĂ©morant celui donnĂ© au mythique Vieux Clocher de Magog, dont le l’accueil chaleureux lui a servi de baromĂštre rĂ©confortant.

MĂȘme si le spectacle achĂšve de prendre forme, Fabien Cloutier se permet encore de casser du nouveau matĂ©riel. Ce soir, il essayera une ou deux minutes de contenu neuf.

Lors de son premier one man show d’humour, Assume, il n’avait pas rodĂ© autant ses numĂ©ros en salle avant de se lancer. Par dĂ©formation professionnelle, peut-ĂȘtre, pour cet habituĂ© du théùtre oĂč l’on se lance rapidement dans le bain devant public.

« Mais je ne renie rien [de mon premier spectacle], ça ne sert Ă  rien. Je fais peut-ĂȘtre plus attention aux gens que je nomme », souligne Fabien, un brin mal Ă  l’aise avec l’idĂ©e de cibler personnellement des personnalitĂ©s dans ses numĂ©ros. Ce qu’il a fait un peu dans le premier, notamment en raillant l’animatrice Saskia Thuot avec son personnage grivois.

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Quelque chose qu’il n’assume pas tant justement. « Je l’ai croisĂ©e [Saskia] et c’est une personne trĂšs sympathique. Quand je fais des blagues sur quelqu’un, c’est parce que c’est des gens que j’aime. »

Il avoue avoir pris du galon depuis son dernier solo d’humour. Avec l’animation de quatre galas ComediHA! derriĂšre la cravate, il s’autodiagnostique davantage d’aisance et de dĂ©gaine sur scĂšne.

Sa popularitĂ© grandissante l’aide aussi Ă  crĂ©er une distance avec son personnage de scĂšne. « Les gens me connaissent plus, me voient en entrevue. C’est plus clair pour eux quand ils me voient dĂ©barquer sur scĂšne et dĂ©passer tout ça. Ça me donne une permission », analyse Fabien Cloutier, au sujet de son personnage de mononcle sanguin un brin hystĂ©rique taillant souvent en piĂšce des idĂ©es progressistes qui le rejoignent rĂ©ellement. « Les gens me connaissent maintenant assez pour savoir quand je dĂ©passe ma pensĂ©e », rĂ©sume ce diplĂŽmĂ© du Conservatoire de musique et d’arts de QuĂ©bec d’un ton calme et posĂ©, dans la loge patentĂ©e.

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Il cite – avec humilitĂ© – Yvon Deschamps, passĂ© maĂźtre dans l’art de jongler sur scĂšne entre une facette trĂšs humaine et une autre trĂšs caricaturale.

« Des sujets m’appartiennent peut-ĂȘtre moins. »

Mais pour bien cerner le personnage, justement, il faut voir l’Ɠuvre dans son intĂ©gralitĂ© et pas seulement en piĂšces dĂ©tachĂ©es Ă  la tĂ©lĂ© ou sur leur web, oĂč une confusion est possible. « Quand tu fais de l’humour, tout ce que tu dis pris hors contexte a un potentiel de te nuire. »

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Pas de panique, Fabien Cloutier ne lancera pas un cri du cƓur contre la censure. En entrevue rĂ©cemment Ă  La Presse, il expliquait Ă  Marc Cassivi que la prolifĂ©ration des tribunes offrait au contraire un buffet ouvert pour s’exprimer. « Est-ce qu’il y a une Ă©poque oĂč il s’est dĂ©jĂ  dit plus de choses? Tout se dit. AprĂšs ça, dĂ©pendamment de ce que tu dis, ça va faire des vagues, ça va ĂȘtre repris, ça va bouger », disait-il Ă  mon collĂšgue journaliste.

Fabien Cloutier persiste et signe. « Je ne me sens pas lĂ©sĂ© dans les sujets Ă  aborder, mais certains thĂšmes demandent plus d’intelligence qu’avant. » Un exemple? Il Ă©clate de rire, Ă©vitant le piĂšge. « Il y a une violence sur les rĂ©seaux sociaux. Des sujets m’appartiennent peut-ĂȘtre moins. Je me les serais peut-ĂȘtre “appropriĂ©s” il y a quelques annĂ©es, mais pas là  », rĂ©pond-il.

Parlant de sujet tendance, il y a le privilĂšge, dont Fabien Cloutier est bien conscient de pouvoir jouir. « Je fais des shows, de la tĂ©lĂ© et des magazines Ă  potins. Il y a plein de sujets que, si je me prononçais, ça dĂ©collerait sans doute, mais j’aurais l’impression de prendre la place de quelqu’un », souligne-t-il, sans pointer du doigt ces gens qui commentent plus vite que leur ombre. « Il y a beaucoup de monde qui souhaite participer au bruit ambiant. Est-ce vraiment nĂ©cessaire? », lance-t-il dans l’univers (Ă  bon entendeur, salut!).

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Fabien Cloutier n’a pour sa part eu aucun mal Ă  se sevrer des rĂ©seaux sociaux oĂč il sĂ©vit Ă  peine. « Au dĂ©but, j’ai eu ce petit kick pour me prononcer en 140 caractĂšres. LĂ , quand j’ai de quoi Ă  dire, j’ai la radio », souligne le Mike Pratt de Faits Divers.

Il puise aussi son matĂ©riel de spectacles d’humour dans l’air du temps, avec sa sauce bien colorĂ©e. S’il carbure Ă  l’actualitĂ©, Fabien Cloutier aime bien laisser la poussiĂšre retomber sur les sujets brĂ»lants avant de s’y aventurer. Un art qu’il maĂźtrise notamment chez Paul Arcand oĂč il aborde de maniĂšre dĂ©calĂ©e des sujets qui n’ont parfois rien de drĂŽle. Parmi eux : Hockey Canada (scandale des accusations de viols collectifs), l’assaut du Capitole, la pandĂ©mie et bien d’autres encore.

« Ça va tellement vite et tout le monde en parle alors tu te retrouves rapidement Ă  ne plus chroniquer sur la nouvelle, mais plutĂŽt son traitement », explique Fabien Cloutier. Il se remĂ©more cet enseignant inspirant du cĂ©gep, qui demandait Ă  ses Ă©lĂšves de s’intĂ©resser aux diffĂ©rents traitements d’une mĂȘme nouvelle dans plusieurs mĂ©dias.

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« Je suis conscient, mais pas anxieux. »

Si l’anxiĂ©tĂ© chez les jeunes est un autre sujet « tendance », Fabien Cloutier, pĂšre de deux ados, s’en tire bien Ă  ce niveau. Pas au point de s’en laver les mains, par contre, ni de se mettre la table dans le sable. « Je suis conscient, mais pas anxieux. Et ça doit nous pousser vers une forme d’action, mais c’est certain que pour certaines personnes, on n’en fera jamais assez », observe-t-il.

L’environnement le prĂ©occupe certes beaucoup, mais il aborde certains enjeux d’un point de vue excentrĂ© par rapport Ă  MontrĂ©al, ce qui montre une perspective diffĂ©rente. Un exemple banal serait lorsqu’il fustige le goĂ»t et une certaine posture militante liĂ©e Ă  la consommation de lait d’amande dans son premier spectacle.

Au-delĂ  de l’ironie et de la caricature, Fabien Cloutier exprime des idĂ©es Ă  contre-courant (de mon fil Facebook en tout cas) qui rejoignent pourtant Ă  ce jour la majoritĂ©. Parce que oui, le dramaturge boit du lait de vache (scandale!). « Les vaches ne sont pas toutes maltraitĂ©es. Je connais plein de producteurs laitiers qui s’en soucient », prĂ©cise le Beauceron d’origine.

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À porter autant de chapeaux, lequel lui sied le mieux ? En a-t-il un favori? Une question Ă  laquelle le principal intĂ©ressĂ© semble avoir du mal Ă  rĂ©pondre. « Est-ce que je suis un acteur qui Ă©crit ou un auteur qui joue? Une chose est sĂ»re, j’aime Ă©crire et c’est ma carriĂšre d’auteur qui a amenĂ© ma carriĂšre Ă  un autre niveau », reconnaĂźt l’auteur-interprĂšte des piĂšces Cranbourne et Scotstown qui lui ont confĂ©rĂ© une notoriĂ©tĂ© dans le milieu.

Son succĂšs grand public, il le doit certainement Ă  LĂ©o et bien sĂ»r son rĂŽle de Marc-AndrĂ©, le frĂšre de Martin Matte dans Les beaux malaises. Comme il enfile les rĂŽles depuis celui de Tony Tremblay dans Watatatow, on l’arrĂȘte dĂ©sormais sur la rue pour un Ă©ventail de personnages. « Hey Oscar! », lui lance-t-on aussi souvent, un clin d’Ɠil Ă  son personnage d’Oscar Labranche dans Les pays d’en haut.

« Parler Ă  beaucoup de monde, j’aime ça. »

Mais Fabien Cloutier jure ne pas ĂȘtre en campagne de sĂ©duction pour ĂȘtre populaire. Il s’efforce simplement de rester lui-mĂȘme, le secret de son succĂšs. Il aime les gens en plus, sans le feindre. « Parler Ă  beaucoup de monde, j’aime ça. C’est le fun trouver la bonne ligne et de la voir se rendre Ă  plusieurs oreilles, j’aime cette sensation », confie-t-il.

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Son public le lui rend bien en le traitant aux petits oignons ou en l’embarquant Ă  l’occasion dans leurs montagnes russes. « Des gens m’écrivent en me disant s’ĂȘtre reconnus dans LĂ©o et que ça leur a donnĂ© le goĂ»t de changer. D’autres me disent : “Crisse, je pense que tu m’as sauvĂ© la vie”. J’ai eu ça plusieurs fois »

S’il aime le contact avec les gens, Fabien Cloutier choisit aujourd’hui plus soigneusement ses bains de foule, sachant qu’on l’arrĂȘtera plus souvent. « Je pense que je dĂ©gage quelque chose de proche, d’accessible. Les gars chauds, je les attire », sourit-il.

À des annĂ©es-lumiĂšre de la condescendance, il y a une candeur du terroir dans ses expressions, son franc-parler, qui ramĂšne une bonne partie de son Ɠuvre sur le plancher des vaches.

Je ne peux rien ventiler sur la piĂšce avant la tournĂ©e officielle, mais il fallait voir le public de Saint-Marc-des-CarriĂšres rĂ©agir pour s’en convaincre. Au point de me demander si les mĂȘmes envolĂ©es rurales trouveront un Ă©cho semblable dans les centres urbains.

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« Mais qui a dit que la société était parfaite?»

AprĂšs une incursion dans le folklore quĂ©bĂ©cois des « vrais gars » avec le documentaire Mononcle, j’ai demandĂ© Ă  Fabien Cloutier s’il anticipe de vieillir oĂč s’il observe une sorte de pĂ©ril chez l’homme mĂ»r blanc hĂ©tĂ©ros cis des rĂ©gions, devenu un clichĂ© ambulant dans plusieurs numĂ©ros d’humour. Pas de panique assure Fabien, capable de dealer avec la « menace » d’extinction et ne jamais recourir au proverbial « on peut pu rien dire ».

« Tu sors de chez vous et il y a encore plein de messieurs. Je ne me sens pas en danger, mais c’est sĂ»r que certaines idĂ©es nous bousculent. Des fois, la sociĂ©tĂ© change et notre premier rĂ©flexe est de nous braquer. Mais qui a dit que la sociĂ©tĂ© Ă©tait parfaite? Sur quel modĂšle on se base pour dire qu’on est idĂ©al au point de ne pas vouloir changer? »

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Fabien Cloutier souhaite toutefois qu’on travaille un peu « notre collectif ». En gros, il aimerait voir la sociĂ©tĂ© prendre de maniĂšre plus globale les problĂšmes au lieu de tout ramener Ă  sa petite personne. Il dĂ©plore le manque d’enthousiasme pour contrer la pauvretĂ© et le snobisme ambiant au point d’y voir une sorte de systĂšme de classe. « L’ouvrier est devenu une personne un peu bĂ©bĂȘte, le camionneur, un gros Ă©pais. Si une coiffeuse ou un plombier se lance en politique, on se dit spontanĂ©ment : “Ben voyons donc!” »

MĂȘme l’expression « humour engagé » suinte de cette condescendance, Ă  ses yeux. Fabien Cloutier se retient d’ailleurs d’apposer la moindre Ă©tiquette sur sa job. « J’aime faire rire du monde tout court et ça, c’est un osti d’engagement. C’est pas obligĂ© d’ĂȘtre plus compliquĂ© que ça. J’ai peut-ĂȘtre des dĂ©neigeurs ce soir qui en ont eu une tabarnak. Ils veulent peut-ĂȘtre juste s’amuser. »

Moins d’une heure avant de grimper sur scĂšne. Fabien n’est pas nerveux, juste fĂ©brile, fier de prĂ©senter un autre morceau de son univers. Un spectacle qui se mĂ©riterait sans doute le trophĂ©e du titre le moins raccord Ă  l’Ɠuvre.

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Sans rien spoiler, c’est pas un Fabien Cloutier trĂšs dĂ©licat qui foulera les planches tout Ă  l’heure, mais une tonne de briques, maintenant rodĂ©e et prĂȘte Ă  prendre la route. Une tonne de briques capable de faire rĂ©flĂ©chir, d’avancer en terrain minĂ©, d’émouvoir et, bien sĂ»r, de faire rire fort.

Et comme il le dit si bien lui-mĂȘme dans son dernier ouvrage, « parfois, la grosse cuillĂšre Ă  soupe est plus Ă  sa place Ă  travers les couteaux ».

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