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Entrevue avec Neda Topaloski : Femen et la liberté d’expression

Par
Hamza Abouelouafaa
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La F1, cet évènement où les moteurs vrombissent à tout rompre, où un flux énorme d’Américains et de touristes bien nantis déferlent dans notre ville. Montréal devient alors la cité des vices et retrouve sa bonne vieille réputation de bordel aux mœurs légères.

C’est dans ce contexte que le collectif Femen, habitué aux coups d’éclat, décide d’aller narguer les fanatiques de l’automobile pour scander « Montreal is not a brothel» et d’inscrire sur leurs chairs « L’esclavage n’est pas un choix». La Femen Neda Topaloski s’est vue, le 4 juin dernier, fortement réprimandée par les agents de sécurité qui l’ont traînée topless sur l’asphalte, violentée, humiliée pour son geste politique. Elle subit aujourd’hui un procès au criminel, une première pour les membres Femen au Canada. Nous avons rencontré Neda en plein tourment kafkaïen afin de discuter féminisme et liberté d’expression.

Est-ce qu’à chaque coup d’éclat Femen, l’arrestation est une option envisagée?

À chaque fois qu’on sort dehors faire des actions, c’est potentiellement quelque chose qui peut arriver. On s’entraîne pour faire éventuellement face à ça, à ce genre de réponse du système. On critique le patriarcat, l’emprise de la religion, l’industrie du sexe, etc. Quand on dérange trop, le système essaye de trouver des façons de nous faire taire.

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Pourquoi viser le Grand Prix?

Nous sommes allés au grand prix pour faire avancer nos points de vue sur la prostitution en disant que c’est un système de vente et d’achat de femmes.

Acheter une relation sexuelle, c’est avoir juridiction sur le corps de quelqu’un pendant le temps acheté, ce n’est pas un métier comme un autre. C’est le métier le plus dangereux qui existe, les prostituées sont 40% plus susceptibles de mourir si on les compare à d’autres Canadiennes. Pour reprendre le slogan : Montréal n’est pas un bordel, l’esclavage n’est pas un choix. Quelle que soit notre opinion sur cet enjeu, ça reste qu’exprimer ses politiques c’est une liberté constitutionnelle. Créer un débat en société ça fait partie de la démocratie.

Sommes-nous libres de nous exprimer au Canada?

Même en démocratie, il y a toujours un moment où l’état vient nous dire que notre liberté dérange, et commence à prendre des mesures contre ce droit constitutionnel de nous exprimer.

La couronne essaye de ramener notre geste non violent au même niveau que certains gestes criminels. Pour moi, c’est là l’injustice. Je ne sais pas ce que la cour va décider, mais ça sera un bon indicateur de la liberté d’expression au Canada. Sommes-nous une société saine où l’on peut s’exprimer librement ou une société qui réprime toutes les voix dissidentes? « Tu déranges donc tais-toi ». Qu’est-ce qui nous différencie des sociétés despotiques, dictatoriales? C’est vraiment la liberté d’expression.

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Y a-t-il des limites à la liberté d’expression ?

Ce qui m’a choqué, c’est le discours de la couronne qui a fait un plaidoyer contre la liberté d’expression et je les paraphrase :

« On n’a rien contre l’opinion de madame, c’est vraiment la forme qui dérange Madame peut exprimer son opinion sur les réseaux sociaux, pourquoi aller dehors? »

La couronne canadienne est donc en en train de dire explicitement que la liberté d’expression devrait se limiter aux réseaux sociaux. J’aurais aussi pu ajouter que la liberté d’expression se limite à mon journal intime, j’aurais aussi pu la chanter sous la douche tant qu’à y être. Ce n’est clairement pas ça le but d’une action politique. Le but étant de diffuser une opinion à travers la société, et cette liberté de manifester (qui est un droit constitutionnel) devrait selon la couronne se limiter à Facebook? C’est tellement choquant! Ce qui est absurde, c’est que même Facebook me censure. Je ne m’en sors pas.

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Sommes-nous dans une société sexiste?

Pendant mon arrestation, un homme a scandé dans la foule que « le char (sur lequel j’étais assise) vaut plus cher que la fille ». Cet homme, sans le savoir est un acteur involontaire de nos mises en scène. On lui tend un guet-apens et il y tombe. Il vient révéler ce qu’il pense vraiment des femmes. Si tu penses qu’une femme en topless qui manifeste mérite d’être battue, ou pire, mérite d’être violée, simplement pour lui apprendre une leçon, ça démontre l’état d’esprit malsain de certains hommes.

Dans une société déjà hyper sexualisée, le modus operandi de Femen est-il toujours pertinent?

Nos seins sont des bombes, on choisit les rituels hyper codés du patriarcat pour mettre en scène une action féministe qui va faire écho. Souvent, on nous dit qu’on est d’accord avec notre message, mais pas avec nos moyens. Mais le moyen c’est le message! Une femme qui est maîtresse de son corps peut aussi parler avec son corps. On vit dans une société hyper sexualisée où on objectifie à outrance le corps des femmes. Si ce corps-là peut servir à vendre des produits, ou bien vendre des femmes en tant que produit, si ce corps-là sert le patriarcat, pourquoi nous Femen, on ne peut pas s’en servir pour nos propres idées féministes?

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Pourquoi ça dérange tant?

Puisque nos actions se font en topless et que cette nudité n’est pas sexualisée! On nous accuse d’avoir une nudité politique. C’est ce qui dérange les gens! Les gens n’en ont rien contre des filles topless tant qu’ils peuvent les consommer, tant qu’elles sont là pour leur plaisir. Ils ont quelque chose contre des seins qu’ils ne contrôlent pas, ils en ont contre des filles qui sont à la fois topless, mais pas en mode séduction, c’est un véritable « mindfuck » pour eux.

Ça a choqué la foule du Grand Prix?

Il y a aussi tout le contexte dans lequel la nudité s’inscrit, au Grand prix, ce n’est pas les seins qui ont choqués, c’est le fait qu’une femme dans ce festival de la femme objet (tout en sourire, à moitié nu, comme objet promotionnel), une de ces filles la utilise soudainement les mêmes codes, son corps, pas pour plaire, mais pour se battre, pour parler de ses valeurs féministes. Le Grand prix qui est tellement soucieux de son image déteste qu’on brise ainsi son décorum.

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Pourquoi la couronne persiste à porter une accusation au criminel?

Avec ce procès, la couronne tente de trouver des moyens de criminaliser un mode d’expression. Ils peuvent déclarer que je suis coupable, ils peuvent me mettre en prison s’ils veulent, mais la liberté d’expression qui est en jeu ici, concerne tous les Canadiens, ça dépasse de loin ma personne. Je crois que ce procès est d’une nature d’intérêt public, parce ce que c’est notre liberté d’expression qui est en jeu, on parle d’une manifestation pacifique, non violente.

Neda attend avec un certain optimisme le verdict de la cour qui tombera le 15 février prochain. Peu importe la décision, l’activiste montréalaise ne cessera pas son combat, fallait voir dans ses yeux cette volonté inébranlable.

Mise à jour au 21 mars 2017 sur la suite de l’affaire: «La femen Neda Topaloski connait son verdict»

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