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Entretenir l’autofiction sur le web, c’est Ă©puisant

Êtes-vous authentiques sur les mĂ©dias sociaux?

Par
Stéphane Morneau
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Commençons par une question simple: avez-vous l’impression d’ĂȘtre authentiques sur les mĂ©dias sociaux?

Question plus complexe maintenant: entretenez-vous plusieurs personnalités en fonction des gens avec qui vous conversez ou qui sont susceptibles de voir vos activités virtuelles?

On fragmente notre identitĂ© quand on l’étale sur le web.

Je ne sais pas pour vous, mais moi je jongle avec plusieurs balles en mĂȘme temps et, souvent, comme un clown un peu distrait, je finis avec une balle en plein front. Dur rappel Ă  l’ordre que la simplicitĂ© est dorĂ©navant un luxe.

Ce qui Ă©tait d’abord (et surtout) une façon de communiquer avec nos proches est devenu une autofiction perpĂ©tuelle, une projection de soi vers les autres qui ne prend jamais de recul.

Ainsi, on fragmente notre identitĂ© quand on l’étale sur le web. Quand c’est une photo Instagram, un cadrage et un filtre dĂ©limitent le rĂ©el que l’on vĂ©hicule. Sur Facebook, les mots sont choisis, les Ă©motions Ă©tudiĂ©es et mĂȘme le spontanĂ© se dĂ©clinent dĂ©sormais en plusieurs spectres de petits boutons d’apprĂ©ciation, parce qu’une seule option n’était pas suffisamment bavarde, semble-t-il.

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Le rapport Ă  l’Autre, avec un «A» majuscule, n’est que le dĂ©but du spectre des mĂ©dias sociaux qui me hante – et je ne crois pas ĂȘtre le seul.

L’authenticitĂ© Ă  ses limites.

Mise en situation: disons qu’on est un mardi soir quelconque, pas de pluie rien, juste un mardi. Si, lors de ce mardi hypothĂ©tique, j’ai envie de partager une chanson de Savage Garden sur mon Facebook parce que ça me manque d’ĂȘtre en amour, ben je me retiens. Plusieurs filtres se bousculent dans ma tĂȘte avant mĂȘme d’amorcer le dĂ©but d’un partage sur mon rĂ©seau.

Qui va le voir? Qui va l’apprĂ©cier? Qu’est-ce qu’ils vont en penser? Et si mon ex tombe lĂ -dessus? Ma famille? Des collĂšgues?

Ça, c’est les premiĂšres questions. Si jamais elles ne sont pas suffisamment fortes pour me freiner, reste l’étape de la sĂ©lection. Quelle chanson? Quelles paroles? Quel moment de mes souvenirs?

Couper les médias sociaux serait la solution saine?

C’est lourd!

L’authenticitĂ© Ă  ses limites, mais on fait comment pour ne plus en faire un cas?

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Couper les mĂ©dias sociaux serait la solution saine me direz-vous. Absolument, mais qu’est-ce qui comble le trou? L’impression d’exister ailleurs que dans son 4 et demi durant ce mĂȘme mardi soir hypothĂ©tique oĂč Savage Garden s’énerve la nostalgie, ça se vit comment?

Sortir, les bars, rencontrer des inconnus, faire de la peinture sur des tasses en cĂ©ramique qui se vendent au prix de l’or brut? C’est bien beau, mais Ă  l’aube de mes 33 ans, je n’ai pas l’impression que je vais soudainement devenir une crĂ©ature sociale qui se rapproche des gens parce qu’elle ose pointer le bout du nez dehors.

Y’a de ces choses invariables, qu’on le veuille ou non.

Existe dans le regard des autres si tu ne veux pas tomber dans l’oubli.

L’autofiction sur les mĂ©dias sociaux s’impose alors comme une fatalitĂ© nĂ©cessaire, un bout d’humanitĂ© que l’on ne veut plus renier parce que le gouffre serait Ă©tourdissant. La restriction, c’est bon pour quelques jours lors des vacances quand le rire de ma fille peut m’étourdir suffisamment pour oublier la petite voix dans ma tĂȘte qui me rappelle que j’aime plaire au sexe opposĂ© dans la vie, mais le reste du temps, elle est assourdissante et convaincante cette petite voix.

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Projette-toi qu’elle me dit, projette-toi et existe dans le regard des autres si tu ne veux pas tomber dans l’oubli.

Ce fardeau semble banal pour ceux qui sont moins affectĂ©s par cette nouvelle rĂ©alitĂ©. C’est d’ailleurs souvent les mĂȘmes gens qui vont te dire d’aller jouer dehors avec une condescendance fascinante. Comme si je ne le savais pas que le bonheur se passe avec les deux pieds dans le sable et une biĂšre tiĂšde dans les mains.

Pourquoi prendre un livre en photo alors qu’il nous sert en rĂ©alitĂ© de sous-verres pendant qu’on niaise sur Facebook?

Pas besoin de me le dire, je le sais, je l’ai vu sur ton Instagram que tu as mĂ©ticuleusement partagĂ© pour me rappeler que ta vie dehors est mieux que la mienne en dedans.

L’autofiction sur le web, c’est quelque chose qu’on s’impose, mais pourquoi? Prendre un livre en photo alors qu’il nous sert en rĂ©alitĂ© de sous-verres pendant qu’on niaise sur Facebook, pourquoi on fait ça? Les photos de brunchs, ou pire, les photos avec des vedettes croisĂ©es dans un lieu quelconque – pourquoi?

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On se raconte des histoires, notre histoire, sous toutes ses déclinaisons.

C’est lourd d’ĂȘtre autant de personnes en mĂȘme temps, autant d’envies, de possibles. Vous me direz que la simplicitĂ© serait de rĂ©duire, je le sais, on s’en est parlĂ© tantĂŽt – mais je n’ai pas l’impression que ce mal va aller en diminuant.

Être sur les mĂ©dias sociaux, au 21e siĂšcle, c’est assumer qu’avec la distance, peu de gens s’approcheront suffisamment pour se faire une vĂ©ritable idĂ©e de qui on est.

Restent alors la projection, les esquisses approximatives d’une personnalitĂ© et l’autofiction que l’on peaufine un peu plus chaque jour – un statut Facebook Ă  la fois. Et souvent, je ne me likerais mĂȘme pas


Pour lire un autre texte de StĂ©phane Morneau: «Tinder, ce n’est plus pour moi».

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