Logo

Entendre des voix (et les apprivoiser)

Incursion dans la tête des entendeurs de voix.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

Quand un soleil radieux n’empêche pas 200 personnes de s’entasser dans une salle du cinéma Beaubien en plein après-midi, c’est qu’il y a une maudite bonne raison. Ce fut le cas la semaine dernière, à l’occasion de la Journée internationale des entendeurs de voix. Oui, ça existe.

Le rassemblement réunissait une crowd atypique, où se côtoyaient jeunes et vraiment moins jeunes, partageant tous un point en commun (et non le moindre) : ces personnes entendent des voix.

Publicité

Il s’agissait de la troisième édition de cette journée organisée en leur honneur au cinéma Beaubien. On y présentait un documentaire américain franchement intéressant signé Phil Borges, intitulé Crazy Wise.

On y suit sur une longue période Adam, 27 ans et Ekhaya, 32 ans, deux Américain(e)s qui ont reçu un diagnostic en santé mentale. À travers eux, on propose une alternative positive, voire chamanique à la prescription de médicaments, pour faire taire des voix qui, au final, peuvent parfois conduire à de riches voyages intérieurs.

Le film a trouvé un vif écho dans la salle, en à juger par des applaudissements nourris dès la tombée du rideau.

L’idée n’est pas d’étouffer les voix avec des comprimés, mais bien de les contrôler et surtout ne pas se laisser dominer par elles.

Tout juste avant la projection, j’avais discuté sur le trottoir avec Catherine, à la tête de Rebond, un organisme faisant partir du Regroupement des groupes d’entendeurs de voix de Montréal et des environs. Elle m’avait expliqué que l’idée n’est pas d’étouffer les voix avec des comprimés, mais bien de les contrôler et surtout ne pas se laisser dominer par elles.

Publicité

Bref, ce qui réunit les EDV est cette volonté d’apprendre à vivre avec les voix et de s’affranchir des étiquettes stigmatisantes estampées par le milieu médical, en collaboration avec l’industrie pharmaceutique. «C’est de la santé mentale alternative», résumait simplement Catherine.

Fait intéressant, le mot « schizophrénie » ni autre autre nom de maladie ne semble pas être le bienvenu dans ce safe space rassemblant des gens qui préfèrent se définir autrement.

«Pour beaucoup de mes patients, fréquenter des groupes d’entendeurs de voix s’avèrerait une démarche positive. Ça leur permettrait d’entrer en relation avec les autres et trouver des façons d’essayer de contrôler les voix», souligne François Noël.

Publicité

J’ai joint plus tard un psychiatre montréalais pour lui demander s’il craignait de voir des patients délaisser la médication au profit de méthodes alternatives. Au contraire, le médecin a plutôt salué ces initiatives. « Pour beaucoup de mes patients, fréquenter des groupes d’entendeurs de voix s’avèrerait une démarche positive. Ça leur permettrait d’entrer en relation avec les autres et trouver des façons d’essayer de contrôler les voix », souligne François Noël, également psychothérapeute. Il précise qu’une approche n’exclut pas l’autre, qu’il ne s’agit pas non plus de rejeter toute forme de médication. Le psychiatre reconnait néanmoins un fond de vérité dans le discours entourant l’acharnement thérapeutique, en plus d’observer un retour du balancier vers une approche moins pharmaceutique. « C’est vrai que les médicaments ont des effets secondaires et qu’à cause de ça, certains sont plus ouverts à une stratégie d’autogestion », résume-t-il, en soulignant que certaines études démontrent qu’une portion importante de la population peut entendre des voix et que de tels symptômes vont bien au-delà des troubles psychotiques purs ou plus sévères comme la schizophrénie, qui toucherait 1% d’entre nous.

Gérer les voix

Pour les entendeurs de voix, la longue route vers l’acceptation de soi demeure longue et truffée d’embuches. «Là, je suis rendu dans mon cheminement à l’étape de donner un sens à mes voix. Quand elles me disent : tu ne vaux pas de la m…, vas te jeter dans le fleuve!, c’est comme si elles me suggéraient plutôt de donner une nouvelle direction à ma vie», expliquait la semaine dernière l’organisatrice de l’évènement Nathalie, qui s’était adressée à la salle juste avant le visionnement.

Publicité

Avec une pointe d’humour, elle essayait candidement de traduire le quotidien atypique des entendeurs de voix. «Elles (les voix) se font discrètes ces derniers jours, mais pas ce matin. Une m’a dit en auto : T’as beau avoir mis tes Converse, tu vas t’enfarger pareil! J’ai demandé aux voix de me laisser tranquille, de plutôt me souhaiter bonne chance et que je vais les retrouver plus tard dans l’auto», racontait Nathalie.

Drôle d’entendre les clameurs empathiques spontanées de la salle à son anecdote, comme si tout le monde comprenait très exactement à quoi elle faisait allusion pour avoir vécu leur lot d’expériences semblables.

En discutant avec quelques entendeurs de voix après le film, on découvre aussi que celles-ci sont souvent de bien mauvaises influences.

«Je roule et elles peuvent me dire par exemple : awaye, enligne le camion en sens inverse!», expliquait Alain, un camionneur à la retraite de 60 ans qui a eu la chance d’avoir une carrière malgré les voix. Une rareté selon lui, compte tenu du caractère handicapant de la maladie chez plusieurs entendeurs de voix.

«Ça peut faire peur quelqu’un qui entend des voix, moi-même j’avais peur de ça. Mais ça nous rassure de savoir que certaines personnes écoutent quand même», confiait Alain.

Publicité

Alain, lui, préfère d’ailleurs parler de «messages» au lieu de «voix». «Moi, mes messages, je leur réponds, parfois assez violemment!», avouait ce solide gaillard, qui ajoute s’être souvent autocensuré dans la vie de peur d’être stigmatisé. «Ça peut faire peur quelqu’un qui entend des voix, moi-même j’avais peur de ça. Mais ça nous rassure de savoir que certaines personnes écoutent quand même», confiait Alain, en pointant du menton les nombreuses personnes qui se sont déplacées dans un bar voisin du cinéma après la représentation.

Au début de sa carrière, surtout, le tabou de la santé mentale était tel, qu’il ne pouvait qu’en parler du bout des lèvres, et encore. «Quand je quittais une job, je leur disais : quin! Vous avez travaillé avec un fou!», s’est remémoré Alain, en mimant une grimace.

Sa famille aussi a voulu balayer le problème sous le tapis, mal à l’aise. «La majorité d’entre nous ont vécu un traumatisme et les voix découlent souvent d’une accumulation », analysait Alain, qui n’en dira pas plus au sujet de son traumatisme à lui.

Publicité

Après une thérapie de dix qui l’a d’abord amené à vivre et dominer ses voix, Alain dit se sentir prêt à parler publiquement de sa réalité. Mais on voit qu’il revient de loin et que ça lui demande tout son petit change. «C’est sûr que ça fait peur de sortir là-dessus, mais je veux que ça bouge», résumait-il, en s’essuyant des larmes du revers de la main.

Son cri du cœur fonctionnait avec moi en tout cas.

En quittant Alain ce jour-là, je n’ai pas eu l’impression de quitter un schizophrène, ni même un entendeur de voix.

Juste un maudit bon gars.