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Je suis une enfant unique, c’est vrai. Mais quand « enfant unique » sonne comme « bébé gâté », c’est là que je deviens fâchée. Parce que ce n’est pas nécessairement vrai.
Un beau jour d’été 1996, j’étais allée me baigner chez mon amie Amélie. Amélie habitait un quartier normal, dans une maison normale, avec une famille normale. Une famille de classe moyenne. Avec une piscine hors-terre, un 4X4, deux enfants et un chien. Pas trop riche, non plus: le genre de famille qui achète la marque Sans Nom et qui fait le tour des épiceries le dimanche pour acheter les produits en spécial. Bref. J’étais allée me baigner chez Amélie parce que moi, j’en avais pas, de piscine. J’avais pas non plus de petit four Easy Bake, mais ça c’est une autre histoire. Après avoir joué dans la piscine avec la petite soeur d’Amélie, on est toutes rentrées dans la maison pour se prendre un bol de Party Mix. Les parents d’Amélie étaient dans la cuisine. Pendant que je versais des verres d’orangeade, ils m’ont demandé si j’avais des frères et soeur. J’ai dit non, et c’est là que la remarque a fusé:
« Ah ouin, comme ça, t’es une enfant gâtée! »
Ha ben maudit. J’allais pas me laisser faire… Gâtée, moi? Alors que j’avais pas de four Easy Bake, pas de piscine, mais surtout, pas de soeur pour jouer des games de Monopoly pis écouter des films d’horreur dans le sous-sol? Les parents d’Amélie m’avaient piquée au vif. Je me souviens d’avoir répondu sec, sur la défensive. Pas fort comme move, parce que là, ils ont dû se dire qu’en plus d’être enfant gâtée, j’étais baveuse. Maudit. Je sentais que je ne pouvais pas avoir raison, que je m’enfonçais dans mes explications. Dans le fond, j’aurais juste dû leur dire que mon plus grand rêve c’était d’avoir une soeur. Ça aurait peut-être fait fondre leurs coeurs de parents.
La raison pour laquelle je me souviens si clairement de la scène chez Amélie, c’est parce que j’ai senti que j’allais devoir me défendre comme ça souvent. Ce n’était pas la première fois qu’on me faisait des remarques sur ma situation d’enfant unique, mais c’était la première fois que j’étais si exaspérée. J’avais compris qu’il n’y aurait rien à faire: comment expliquer aux gens que c’était plus qu’une question de mathématique? De toute façon, dans ma tête d’enfant qui n’avait pas d’autre point de repère que sa propre situation familiale, je ne me trouvais pas si chanceuse que ça. J’étais capable de comprendre que si j’avais eu un frère ou une soeur, l’attention et le budget de mes parents aurait été séparé en deux, mais j’aurais accepté ça en un clin d’oeil si ça voulait dire avoir une compagne de jeu.
Je pense que je n’apprends rien à personne si je dis qu’on peut tous être égoïstes à nos heures, qu’on vienne d’une famille de deux ou de onze. Qu’on soit adulte ou qu’on soit enfant (meilleur exemple d’actualité: le Cocothon de la fin de semaine passée). De toute façon, parti comme c’est là, ce sont les membres de ma génération en entier qui se font constamment traiter de bébés gâtés.
Savez-vous quels étaient mes fantasmes d’enfant? C’était pas de frencher Leo sur le deck du Titanic, ou de tenir la main du petit frère Hanson. Non. C’était d’avoir Kate Winslet comme soeur. D’aller en camping avec les sœurs Olsen. De faire du magasinage avec les Spice Girls.
Je trippais sur les téléséries mettant en vedette des grosses familles, comme Party of Five, parce que je m’imaginais avoir une grande soeur. Ouais, c’était particulièrement une grande soeur que je voulais. J’étais assez précise dans mes rêves. Mais comme m’a dit mon amie Sonia en secondaire deux: « Oui mais Marie, as-tu pensé que si ta mère aurait eu un autre enfant, ça aurait pu être un grand frère, et il aurait pu être MÉCHANT AVEC TOI!? » Merci Sonia. Je sais que tu essayais de me remonter le moral, de me faire accepter ma situation d’enfant unique, mais j’ai quand même continué à rêver d’avoir Neve Campbell comme grande soeur.
Je savais qu’être enfant unique n’était pas seulement mon drame à moi: mes parents auraient aussi souhaité avoir une famille plus nombreuse. Mais on ne contrôle pas toujours ces choses-là. Alors je n’achalais pas trop mes parents avec ça. Par contre, je m’arrangeais pour aller passer des dimanches après-midis dans les familles de mes amis, surtout celles avec beaucoup d’enfants. Des familles où il y avait des grands frères pour t’aider à construire des cabanes, pis des petits frères à blâmer pour des mauvais coups mal organisés.
Dans le fond, tout est dans le manque de discernement: il faudrait réfléchir un peu avant de traiter tous les enfants uniques de bébés gâtés. Oui, certains d’entre nous le sont. Certains d’entre nous ont abusé de l’attention (et du portefeuille) de papa-maman, et ça n’a pas très bien tourné. Mais pour le reste, on est ben corrects, ben généreux… On veut juste que vous nous invitiez à nous baigner dans votre piscine et à jouer avec vos frères et sœurs une fois de temps en temps.
Ah, aussi, un message pour les futurs parents: essayez donc de faire plus qu’un bébé, si possible! Sinon, ben, achetez un four Easy Bake à votre enfant unique, et peut-être que tout va bien aller.