.jpg)
Quand Urbania m’a demandé avec qui je voulais faire du porte-à-porte, j’ai choisi LBB, évidemment, une vedette. J’en ai eu deux pour le prix d’une.
Jeudi, je devais faire du porte-à-porte avec Léo Bureau-Blouin. Ma première déception est survenue quand j’ai appris qu’il y avait eu un malentendu et que Léo ne faisait pas de porte-à-porte, ce soir-là. Ma seconde, quand j’ai appris que Pierre Foglia avait passé la journée avec le jeune prodige du PQ. Tsé, la fois où t’es scoopée par Foglia? Paraît qu’il était un peu bougoneux ce jour-là, qu’il engueulait les électeurs qui posaient des questions d’ordre municipal à Léo, exactement comme je me l’imaginais.
J’étais déçue, parce qu’une entrevue avec Léo Bureau-Blouin, c’est plate : on n’a qu’à ouvrir un livre de rhétorique pour deviner ce qu’il va répondre à la question qu’on lui pose. Moi, je voulais voir la réaction des gens qui lui ouvraient la porte. Mais c’était pas grave. Quand je suis arrivée au centre d’hébergement pour personnes âgées où Léo entamait sa soirée, j’ai rencontré bien mieux : Gilles Proulx.
«Que faites-vous là monsieur Proulx? lui ai-je demandé. Me semble que ça fait un bout que vous n’êtes plus à l’info.
– Je viens donner un coup de main à Léo, m’a-t-il répondu. Je le trouve très impressionnant. Il a vingt ans, mais dans sa tête, il en a trente. Je lui ai dit que je pourrais l’aider durant sa campagne, et quand il a commencé à faire sa tournée des maisons de retraités, il a réalisé qu’il avait peut-être besoin de mon aide, pour, disons, faire le pont entre les générations. Il m’a appelé, et depuis, j’ai fait quelques centres pour personnes âgées avec lui.
Intéressant. Le Léo, qui ne dit jamais un mot de travers, et monsieur controverse en personne. Eh ben. Audacieux, de la part d’un jeune homme qui n’écoute pas la télévision.
– Vous avez donc mis votre objectivité journalistique de côté, monsieur Proulx?
– L’objectivité, ça n’a jamais existé, mademoiselle. Moi, je me suis présenté pour le PQ dans Anjou en 1973. J’ai été battu par 828 votes, m’a-t-il appris.
Je me sentais un peu mal de ne pas savoir ça, mais à ma défense, je n’étais pas née, cette date-là.
«Comme c’était au lendemain de la crise d’Octobre, les gens nous associaient au FLQ et nos adversaires surfaient là-dessus», poursuit-il.
Ouin, ça n’a pas beaucoup changé.
«Une fois, à la radio, une dame m’a dit “Monsieur Proulx, les gens disent que si le PQ est élu, le sang va couler dans le Saint-Laurent!” Je lui ai répondu “Parfait, on l’enverra à la Croix Rouge! ” Après ça, le téléphone ne dérougissait plus. Ensuite, René Lévesque m’a appelé pour me dire qu’il y avait une différence entre faire de la radio, et faire de la politique. Les gens prennent vraiment tout au pied de la lettre.»
– Mais ça m’étonne que vous militiez pour le PQ. Me semble que vous êtes plus du genre de la CAQ, non?
– C’est vrai que je suis plutôt de centre droite, mais je trouve que Legault a des arguments populistes. Il mise sur le ras-le-bol de la population envers le gouvernement. Si les gens connaissaient leur histoire, ils seraient souverainistes comme moi. Et là, la priorité, c’est que Jean Charest s’en aille. C’est un menteur et un démagogue!
– C’est drôle que vous disiez ça monsieur Proulx parce que vous avez été vous-même traité de démagogue pas mal, dans votre carrière.
– On est toujours le démagogue d’une démagogie, m’a-t-il répondu avec le sourire tranquille d’un bagarreur retraité.
J’ai toujours eu beaucoup de respect pour Gilles Proulx, malgré toutes ces fois où je l’ai entendu dire des choses qui n’avaient aucun bon sens et qui visaient sûrement à gagner de la cote d’écoute. Je sais qu’il s’agit d’une personne intelligente.
Je savais aussi que je n’aurais pas droit à la même franchise de la part de notre spécialiste aguerri du discours politique. Quand j’ai demandé à Léo Bureau-Blouin comment on faisait pour choisir sa circonscription, il m’a expliqué comment ça s’était passé dans son cas. Faut-il ensuite développer un intérêt particulier pour cette région? «C’est sûr qu’on doit avoir un minimum d’intérêt au départ. Si on m’avait proposé la circonscription d’Ungava, j’aurais peut-être dit que mon attachement est moins là, malgré tout le respect que j’ai pour la population d’Ungava».
C’est beau Léo, on a compris que tu n’avais rien contre les Québécois et Québécoises résidant au nord du 55e parallèle. Mais Léo est drillé. Vous ne le prendrez jamais en défaut, il a une réponse à tout. Une réponse correcte et conforme à la position de son parti.
– Si on te pose une question sur un enjeu qui n’est pas détaillé dans le programme du PQ, tu fais quoi? Mettons quelqu’un te demande si tu es pour la légalisation de la marijuana?
Léo esquisse un sourire, probablement parce qu’il s’agit d’un sujet polisson. «Il y a plusieurs choses que je peux dire, me répond-il avec le rythme qu’on lui connaît. Par exemple, je peux dire qu’il s’agit d’une question complexe, qui mérite réflexion. Je peux dire que je ne suis pas au courant de cet enjeu, on ne peut connaître tous les dossiers à fond. Ou encore que je ne suis pas le spécialiste de cette question, qu’il s’agit d’un enjeu qui est plutôt de juridiction fédérale. Je peux aussi renvoyer la question à mon interlocuteur en lui demandant ce qu’il pense, lui, de cet enjeu». Drillé, j’ai dit.
Et doué pour le sourire. Au foyer de personnes âgées, il jouit de presqu’autant de popularité que le démon aux cheveux blancs qui l’accompagne. Les vieilles dames le regardent de loin, la bouche entrouverte, et lui font signe de s’approcher avec leur doigt tout croche. Pour elles, c’est Jeunesse d’aujourd’hui, mais en mieux. Léo rit à chacune de leurs blagues, les écoute, leur serre la main. «Peut-on compter sur votre appui?», demande-t-il à ses fans qui en ont vu d’autres. Elles l’aiment, c’est évident, mais est-ce que ça se transformera en vote? «Statistiquement, on sait que les personnes âgées ont tendance à voter plutôt Libéral, mais je tiens à les rencontrer pour leur montrer que ce n’est pas parce que je suis jeune que je ne suis pas à l’écoute de leurs préoccupations», dit-il.
«T’as des croûtes à manger», lui dit d’emblée un homme de 99 ans et 11 mois. Rendu à cet âge-là, on retombe en enfance : on se remet à compter les mois. La différence, c’est qu’à l’inverse des jeunes, on croit tout savoir. Et on dit des choses comme : «je connais plus d’affaires que toi mon p’tit bonhomme». Léo sourit. Hoche la tête. Écoute. Il fera un bon politicien. Avec plus de chances de l’emporter que Gilles Proulx en tout cas.
—
Suivez @JudithLussier