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En français svp : ma quête pour démanteler le régime francophone d’URBANIA

English version will follow.

Par
Clément Hamelin
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Si le fait d’être célibataire m’a amené quelque chose de positif, ces derniers temps, c’est d’avoir eu droit à ma toute première date en anglais. Un peu contre mon gré (mais pas trop), j’ai mis mes convictions nationalistes de côté pour donner une chance à l’amour (et plus si affinités).

Il faut protéger notre français, on l’a souvent entendue, celle-là.

D’un autre côté, vous avez peut-être lu le texte de Jean-François Lisée publié dans Le Devoir où il dénonçait le fait que certains jeunes « kebs » se faisaient intimider au collège privé Regina Assumpta à Montréal. Et ça, c’est sans oublier les apparitions médiatiques de Louis Morissette qui se fait un devoir de nous rappeler que notre culture est en péril.

Cette intimidation envers les Québécois et nos expressions comme « oupelaï », je l’ai vécue au secondaire (dans une autre école privée de Montréal). Rien d’alarmant, j’intimide très bien en retour. Combattre le feu par le feu.

J’ai grandi dans une famille francophone. Je me suis souvent positionné très fermement pour la protection de ma langue, mais rarement me suis-je mis dans les souliers de la « menace » anglophone. Par contre, je dois aussi avouer que je contribue moi-même à la détérioration du français en utilisant fréquemment des anglicismes à l’oral. Aussi, je l’avoue, j’ai fréquenté une école secondaire du West Island.

Et pourtant, quand on me sert en anglais au restaurant, je m’entête à répondre en français pour faire avaler la pilule « en français SVP! » au pauvre serveur.

Mais qui est la véritable source du problème?

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Revenons à ma date dans la langue de Shakespeare. Je me suis fait aller l’anglais comme si un troisième référendum n’allait jamais avoir lieu. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est que ma date avait quant à elle peur de pratiquer son français devant des Québécois, parce qu’elle nous trouvait souvent très peu patients envers son français mâchouillé.

On souhaite protéger notre langue, mais la protéger de la bouche des autres est-elle la meilleure stratégie? Ce grand sujet de société m’a donné le goût de mettre mon lieu de travail à l’épreuve.

En tant qu’excellent et très prometteur journaliste d’URBANIA, j’ai voulu tester la chose sur mes propres collègues. Sans avertissement, pendant une semaine, je suis devenu anglophone, question de voir comment mes collègues d’URBANIA allaient réagir à ce coming out linguistique.

La switch facile

Première observation : le colonialisme britannique a fait ses preuves.

Nombreux sont mes collègues francos qui ont décidé de changer leurs réglages de préférences pour me répondre dans la langue de Shakespeare, et ce, malgré le fait que je parle anglais avec la verve de Denis Villeneuve. Comme quoi, c’est pas si grave que ça d’utiliser des anglicismes.

La première journée en anglais est plutôt rigolote. Tout le monde trouve ça drôle, et personne ne me prend au sérieux. Quelle erreur de leur part!

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Les quelques vrais anglos du bureau sont assez contents de pouvoir enfin parler dans leur langue maternelle. J’ai de très belles conversations (pas super fluides) avec eux sur le défi que ça représente de toujours devoir traduire ce que tu veux dire.

Ma collègue anglophone Raffi, avec qui j’ai eu le plus de plaisir d’améliorer mon talk, trouve l’exercice assez difficile :« En tant que personne anglophone dans un environnement francophone, je me sens la plupart du temps un peu stupide et lente. Je suis toujours en train de traduire dans ma tête et parfois, les mots que je dis en français n’ont pas tout à fait le bon sens. C’est gênant ! »

Frustration, triche et mensonges

C’est lorsque la fatigue s’installe et que la garde est baissée que la vraie nature des gens resurgit.
Mercredi matin, les premières flèches sont lancées. Est-ce que c’est ça, l’intimidation en milieu de travail? Je l’avoue, j’exagère un peu. La pire « attaque » dont je me souviens était quelque chose du genre : « Ah non! C’est vrai, pas ton e*** de challenge ». Et je suis pas mal persuadé que ces commentaires étaient dus au fait que mon accent prononcé faisait saigner les pauvres oreilles de mes collègues (qui savaient que je n’étais pas du tout un anglo).
Parfois, la fatigue s’empare de moi et j’oublie ma quête pendant quelques instants. On se fait un malin plaisir de me rappeler que je suis supposé « être un anglophone ».

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Par contre, je sens dans l’énergie des gens que lorsque je cherche mes mots pour mieux m’exprimer, on perd patience. Je me pose donc la question : « Si j’étais vraiment anglo et que je cherchais mes mots en français, est-ce que les gens perdraient autant patience? »

Mon collègue d’origine anglophone Kevin, que j’appelle très respectueusement King Kev, s’est aussi assuré de me sortir de mes pensées en me rappelant que :

« C’est assez connu qu’au Québec, on est fier de la langue française. Si quelqu’un fait l’effort de parler et d’apprendre le français, ben, pas mal la majorité du monde va te supporter et même te guider dans une conversation. Il faut encourager les autres à parler une autre langue. »

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Malgré mes meilleures intentions de protéger ma fausse identité anglo-saxonne, j’avoue avoir cédé à la pression à de nombreuses reprises. C’est excessivement épuisant, mentalement, de devoir tout traduire. Je lève mon chapeau à toutes ces personnes qui doivent apprendre le français en 6 mois et le parler dans leur milieu de travail.

Sommes-nous les méchants?

Au moment d’écrire ces lignes, ça fait une semaine que je suis en désintox linguistique. Pour mieux me sentir suite à cette immersion des plus intenses, j’ai écouté la discographie complète des Colocs pendant le tout week-end et j’ai lu Speak White au moins 28 fois.

J’ai terminé ma semaine anglophone complètement épuisé, mais avec une toute nouvelle vision de la protection de la langue française. Ça m’a ouvert les yeux, mais surtout les oreilles.

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Apprendre une langue, c’est pas facile. La protéger n’est pas facile non plus, mais une chose est certaine, c’est que changer de mother tongue durant 5 jours, c’était juste assez pour me faire réaliser à quel point la façon dont on communique forge notre identité.

C’est pendant cette immersion que j’ai réalisé que mes collègues anglos redoublaient d’efforts pour nous parler chaque jour en française. Et alors que notre premier ministre François Legault affirme que le français est en danger (et ce, en faisant un lien étroit avec l’immigration au Québec), j’ose croire qu’on serait plutôt gagnant à put some water in our wine comme je l’ai fait pendant une semaine afin de trouver des solutions qui stimuleront l’amour pour la langue parlée, et non son rejet. En date, par exemple.

PS Allez me suivre sur Instagram, j’ai besoin de validation.

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