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En direct de l’anneau de la Place Ville-Marie

Deux semaines plus tard, pis?

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Il paraît que c’est placé là pour voir le mont Royal au travers! »

Au bout du fil, ma boss Barbara m’apprend l’une des caractéristiques de l’anneau géant d’environ 30 mètres de diamètre installé sur l’esplanade de la Place Ville-Marie, au cœur de la métropole.

Près de deux semaines plus tard, j’ai voulu voir comment se portait l’installation réalisée au coût de cinq millions de dollars, visant à « redynamiser le centre-ville » après deux ans de pandémie.

Est-ce que l’objet de 50 000 livres fait courir les foules? Est-ce que l’œil de Sauron est (enfin) apparu au milieu? Est-ce que des élèves de Poudlard en vacances s’en servent comme but pour pratiquer le quidditch? Est-ce que Kurt Russell l’utilise déjà comme PORTE DES ÉTOILES? (Oui oui, je me calme immédiatement.)

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Pour tenter de répondre à toutes ces questions très niaiseuses, j’ai bravé tous les dangers (lire ici traverser la ville en vélo) pour un rendez-vous doux avec l’art urbain.

Avouons-le d’emblée, il s’agit là d’une belle et impressionnante patente, coincée entre deux gros buildings et suspendue à quelques mètres du sol, juste en d’sour de l’escalier servant d’entrée principale à l’esplanade.

Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec Montréal, l’anneau est visible de l’avenue McGill, pas trop loin de la rue Saint-Catherine, de l’Université McGill, de l’ancien hôpital Royal-Victoria et d’un paquet de tours à bureaux remplies de monde sérieux et bien habillé.

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Premier constat : le coin est moins reposant que Saint-Lambert pendant Heavy MTL. L’incessant concerto de marteaux-piqueurs se mêle aux klaxons et autres irritants sonores. L’anneau s’élève au beau milieu de ce vaste chantier de construction, à commencer par le projet de réfection de l’esplanade à ses pieds.

Un facelift de 200 millions de dollars dont l’objectif est de transformer l’endroit en « place publique » 100 % piétonne et flanquée de terrasses.

Pour l’heure, un gigantesque engin mécanique greffé d’une nacelle traîne en face de l’anneau et les quelques courageux clients sur la terrasse de la pizzéria voisine doivent avoir l’impression de manger dans les paddocks du circuit Gilles Villeneuve en plein Grand Prix.

Qu’à cela ne tienne, s’il ne faut pas juger un livre par sa couverture, il ne faut pas non plus juger un anneau géant au bordel ambiant.

C’est ce que se dit sans doute Marie-Claude, une passante qui immortalise la chose avec son téléphone cellulaire. « Aucune idée c’est quoi, mais c’est impressionnant », analyse-t-elle finement, en découvrant l’œuvre pour la toute première fois en sortant de son lieu de travail.

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Un peu plus loin sur la rue Cathcart, un quatuor de Québécois.es en visite me partage ses premières impressions. « C’est beau. On voit la croix du mont Royal (décidément!) et ça fait de Montréal une ville qui bouge un peu », estime Carole, porte-parole désignée du groupe originaire de Saint-Jérôme et du Lac-Saint-Jean.

Sans minimiser les faits, j’aimerais relativiser à la baisse l’élément « voir la croix du mont Royal » de l’expérience, pour vous éviter de vivre la même déception que pendant la finale de Lost.

On aperçoit certes la croix, mais de très loin sur un petit side de verdure.

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Directement sous l’anneau, Michel salive presque comme Garfield devant une lasagne en regardant le fruit de plusieurs heures de travail orchestrées par une centaine de travailleurs et trois grues, dont une de 400 tonnes. « Je suis grutier et je monte un seize étages à côté. Je connais des chums qui l’ont monté [l’anneau] et je suis venu voir les ancrages », commente ce passionné, opérateur de grue dans les tower depuis quinze ans. « J’ai monté des éoliennes, des barrages, mais c’est du beau travail ici. On a fait preuve de beaucoup de tact », louange le grutier, qui n’est pas à la veille de manquer d’ouvrage. « Quand j’ai commencé, il y avait environ 25 tower crane [grue à tour] à Montréal, là il y a environ 125 machines sur les chantiers. »

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En haut de l’escalier, un jeune homme mitraille l’anneau de tous les angles avec un bon appareil photo (pas son cell) accroché au cou. Fraîchement installé à Montréal, cet Ontarien découvre sa ville d’adoption à travers la street photography. « Avec des choses simples comme les murales, les ruelles, la personnalité des quartiers, je me sens choyé comme citoyen. C’est tellement un gros contraste avec la petite ville d’où je viens ou même Ottawa, où pratiquement aucun argent ne va à l’art urbain », explique Joël Louiseize, qui documente ses coups de cœur sur sa page Instagram.

Ce dernier se dit fort impressionné par l’anneau géant, d’avis qu’il deviendra d’ici quelques années un symbole de Montréal.

Reste à voir si l’anneau rejoindra le stade et les escaliers en colimaçon du Plateau sur les cartes postales. On peut au moins miser sur la crédibilité de l’architecte paysagiste Claude Cormier derrière l’œuvre, aussi à l’origine des fameuses boules multicolores jadis suspendues dans le Village.

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D’ici là, l’anneau s’apprête à jouer un premier rôle en étant intégré au décor d’un projet artistique en marge de l’événement Montréal Complètement Cirque, qui se tiendra du 7 au 17 juillet prochain.

Le spectacle Les 3 Géants consiste en une création éphémère et inédite par trois compagnies de cirque québécoises, à partir de trois arches acrobatiques en forme de géants d’une hauteur de 50 pieds.

« Les compagnies [Cirque Éloize, Les 7 doigts et Machine de cirque] vont présenter chacune une création originale à partir des mêmes bonshommes », résume la directrice de production de l’événement Pascale Bélanger, croisée au pied du géant érigé à quelques mètres de l’anneau. Les autres géants se trouvent aux parcs Vinet et Émilie-Gamelin. Il y aura deux représentations chaque jour, à 18 h et à 21 h 30, pendant la durée du festival circassien. Quant à l’anneau, Pascale Bélanger estime qu’il s’agit là d’un impressionnant tour de force. « Mais on trouve que notre géant lui donne un gros plus », souligne-t-elle.

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À un jet de pierre de là, le va-et-vient des passant.e.s est incessant sur la rue Sainte-Catherine, en cette journée ensoleillée. On se sent en vacances en voyant une petite foule agglutinée autour d’un musicien de rue en train de jouer Bridge Over Troubled Water.

Un peu moins quand un ouvrier de la construction gère le trafic pour faire passer un estifi de gros camion à travers le flot de piéton.ne.s.

Sur le trottoir au coin de la rue, un gros fan de Jésus nous rappelle que le fils de Marie et Joseph est aussi éternel que parfait. J’ai pensé lui demander son avis sur l’anneau, mais j’ai eu peur de recevoir plutôt son input sur le droit à l’avortement.

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J’abandonne enfin l’anneau à son sort, comme Frodon a abandonné le sien dans la lave de la montagne du Destin sans penser se quêter un lift avec les aigles géants pour l’aller-retour au lieu de s’étendre sur trois films hautement lucratifs (niché).

Avant d’enfourcher ma bécane, je tombe sur un duo d’adolescentes en train de luncher sous l’anneau. « C’est cool parce qu’il manque d’art à Montréal, sinon, on a juste des buildings. Je trouve ça l’fun qu’on puisse voir le mont Royal par le trou (ok arrêtez avec ça!) », s’enthousiasme Romane.

« C’est beau, mais c’est cher. On aurait pu envoyer cet argent en Ukraine ou dans les hôpitaux, ça aurait pu sauver la vie de quelqu’un », nuance son amie Ophélie, déterminée à gâcher ma journée.

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Je me console par l’optimisme contagieux d’Évelyne, une touriste suisse venue contempler l’anneau : « J’ai vu pire! », tranche celle qui en avait entendu parler dans un reportage à la télévision.

Oui oui, quelques semaines à peine et déjà une réputation internationale.

La tour Eiffel peut commencer à trembler.