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En croisade pour Mathis
« J’ai une grande gueule, les gens n’ont pas fini de m’entendre. N’ont pas fini de m’entendre parler de Mathis. »
Assis dans le salon de sa résidence du sud-ouest de Montréal, Christian Boivin mène, depuis la mort de son fils, une croisade pour sensibiliser la population aux dangers liés aux substances, notamment la consommation d’opioïdes.
Vous avez certainement entendu parler de cette triste histoire qui secoue actuellement la province. Mathis Boivin, 15 ans, a consommé par erreur un opioïde cinq fois plus fort que le fentanyl avant de s’endormir dans sa chambre perchée au deuxième étage de la maison familiale. Il ne s’est jamais réveillé, victime d’une surdose mortelle.
Le drame est survenu deux jours avant Noël.
Depuis, son père Christian ne refuse aucune entrevue, martelant à qui veut l’entendre qu’une telle tragédie n’arrive pas qu’aux autres.
Parce que Mathis, c’est votre frère, votre fils, votre neveu, votre voisin. Un ado sans histoire, inscrit en secondaire trois au Collège de Montréal, qui expérimentait avec la drogue, comme bien des jeunes de son âge.
« Si un autre père avait fait une sortie du genre il y a six mois, ça aurait peut-être sauvé Mathis », croit Christian, qui texte encore régulièrement son fils, ne serait-ce que pour voir sa photo apparaître dans le fil de conversation. « Je lui dis qu’il serait fier de moi », souligne-t-il, la voix étranglée par l’émotion.
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La maison est tranquille. Sa femme et leurs deux autres enfants dorment encore à l’étage, en ce mercredi matin. Le retour à l’école attendra encore un peu. Hier soir, Olivier, 13 ans, est allé voir le show de Travis Scott avec le billet et les amis de son frère Mathis. Ça lui a fait du bien.
Sur le comptoir en céramique de la cuisine, plusieurs bouquets de fleurs ramenés du salon funéraire embaument la pièce.
La famille traverse certainement des heures sombres, mais Christian a choisi de parler. Pour que la mort de Mathis ne soit pas vaine. Parce que ça lui fait du bien, aussi. Tout en commandant le respect, l’aplomb du père de 51 ans a de quoi déstabiliser.
Comment fait-il, d’ailleurs?
J’ai un enfant du même âge que Mathis et la simple perspective de le perdre me donne envie de me rouler en boule sur le sofa pour le reste de l’éternité.
« C’est Mathis qui me donne la force » laisse tomber Christian Boivin. Celui-ci souligne avoir aussi l’appui indéfectible de sa famille dans cette mission de sensibilisation.
Pour le père, tout est irréel depuis le départ soudain de son aîné. Hier encore, il a pris part à une cérémonie à l’école de Mathis, où ses camarades ont consigné leurs hommages dans un livre. « Je vois Mathis dans tous ces jeunes », confie le père, la gorge nouée.
Mathis avait une bonne relation avec ses parents. Depuis six mois, il voyait de plus en plus d’amis, sortait un peu de sa coquille, était moins isolé qu’avant. Le dialogue entourant la drogue était ouvert, non répressif. Christian lui avait même proposé de lui acheter du cannabis à la SQDC au besoin, tout en le mettant en garde contre les substances vendues sur le marché noir. Parmi elles, les petites pilules bleues.
«Touche pas à ça, c’est du poison et ça tue du monde », lui a-t-il dit.
Malgré les avertissements de son père, c’est une de ces « petites pilules bleues » que Mathis a ingérée avant d’aller au lit, le 22 décembre dernier, après avoir déposé ses lunettes sur sa table de chevet. Une capsule d’isotonitazèse, alors qu’il croyait avoir acheté de l’oxycontin. Christian Boivin en a retrouvé quatre autres dans le portefeuille de son fils. D’après ses relevés bancaires, Mathis avait déboursé 50$ pour le sachet de pilules. Un baptême de drogue chimique qui allait s’avérer fatal.
Christian était ici même, dans le salon, lorsque son fils vivait ses derniers moments à l’étage du dessus. À trois mètres de lui, a-t-il illustré dans une entrevue poignante récemment accordée à Patrick Lagacé.
« Il avait quelques symptômes d’engourdissement, il en a même parlé à quelqu’un par texto. Il s’est sûrement dit: je vais me coucher, ça va passer. Il aurait pu descendre ici et me dire qu’il n’allait pas bien. On aurait peut-être eu le temps…»
«Ces images-là, je vais devoir vivre avec…»
C’est Christian qui découvre le corps inanimé de son garçon, le lendemain matin.
D’abord, il y a le cadran qui se lamente pendant de longues minutes. La porte de sa chambre est verrouillée de l’intérieur, Christian lui ayant installé une petite barrière, à sa demande.
«J’ai arraché la porte, fermé le cadran et allumé la lumière en essayant de le réveiller. Mathis! Mathis!»
Le père appelle sa blonde en renfort, voyant que les choses ne vont pas, que leur fils ne respire plus. « On a commencé le massage cardiaque, puis on a utilisé un défibrillateur qu’on à la maison. Il n’y avait plus de poul, il était trop tard. Inutile de te dire que ces images-là, je vais devoir vivre avec…»
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Pour Mathis, la vie s’est arrêtée à seulement 15 ans. Une vie normale, heureuse, soudée grâce aux voyages en famille et parties de pêche avec son papa. Sur son cellulaire, Christian me montre des photos de son fils encore enfant arborant un chandail et une casquette de Flash Mcqueen.
L’image fesse. Un look identique à celui de mon fils alors qu’ils avaient le même âge.
D’ailleurs, j’ai essayé de raconter l’histoire de Mathis à mon propre garçon pour le sensibiliser, il y a quelques jours. Je me suis buté à une réponse en monosyllabe. Une sorte de grognement inaudible se traduisant par « esti que t’es lourd, p’pa ».
Christian, atteste, bien conscient que c’est pas simple de savoir ce qui se passe dans la tête d’un ado de quinze ans.
« C’est un passage bizarre. Tu le regardes en te disant: à quoi il peut bien penser? Avant Noël, je parlais à un autre père qui me disait qu’à 15 ans, ils sont caves, mais que ça finit par passer… »
Le pire, c’est que Christian apprend à connaître davantage Mathis depuis son départ prématuré. « Il n’avait pas d’ennemis, tout le monde voulait être son ami. C’était un leader et un clown. On a retrouvé une note que sa prof d’art dramatique a écrit dans son dossier: Mathis, faudrait que tu arrêtes de dessiner des pénis au tableau. »
Christian a même appris, lors d’une rencontre de parents, que Mathis était le député de sa classe.
« Il ne pensait jamais ne pas se réveiller »
Le père peine à contenir ses larmes en songeant à la vie qui s’étirait devant son fils, cette vie qui commençait à peine. « Il ne pensait jamais ne pas se réveiller. On allait à Québec et à Tremblant en ski, on pensait déjà à la relâche. Mathis devait aller à New York avec sa mère. Papa ne sera pas là, on va pouvoir se payer de bons repas, disait-il à sa mère. »
Mince consolation s’il en est une, Mathis était seul lorsqu’il a consommé sa pilule mortelle.
« Il avait souvent des amis dans sa chambre. Je pense souvent à ça. S’ils avaient été plusieurs à en prendre, j’aurais retrouvé plusieurs corps, le matin. J’aurais dit quoi aux parents? »
Christian constate déjà que le drame sert de wake up call pour les amis de son fils, avec qui il échange régulièrement des textos. « À la cérémonie funéraire, je les ai serrés dans mes bras en leur faisant promettre de ne pas prendre ça. Inquiétez-vous pas, M. Boivin. On ne touchera pas à ça. J’ai vu dans leurs yeux qu’ils étaient sincères. »
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Avant de partir, Christian offre de nous montrer la chambre de son fils. Ma collègue Anne-Marguerite et moi échangeons un regard, l’air de nous demander s’il y a une ligne à ne pas franchir. Mais le père nous rassure aussitôt. La chambre à Mathis ne sera pas un tombeau, au contraire. Lui et sa blonde ont encore dormi dans son lit, ce matin. Tous les amis de Mathis y sont les bienvenus. Olivier jouait sur son ordinateur pas plus tard qu’hier. Il utilise même son compte Fornite, paraît que ses skins sont malades. Christian vient même d’acheter une lampe pour la commode.
La famille devra rester unie pour passer au travers, vivre leur deuil. Frédérique s’ennuie déjà de ce grand frère qui l’a amené seul en REM au quartier Dix30 pour faire du surf, il y a un mois à peine, sans oublier leur passion commune pour les films d’horreur.
Le temps fera son œuvre, mais Mathis ne sera pas oublié. Jamais. « Je vais juste me rappeler des bons souvenirs, de son parfum… »
On sort de là le cœur gros. C’est cliché, mais la seule chose logique à faire me semble de forcer mon entrée dans l’antre de mon propre ado pour le serrer dans mes bras, au risque de l’étouffer.
M’en crisse s’il me trouve lourd, il comprendra un jour.