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Les débats enflammés sur le Canadien de Montréal ne datent pas d’hier. Déjà, à l’époque de la création du club en 1909, la patinoire était le théâtre des tensions culturelles entre anglos et francos.
On a voulu en savoir plus, et ça tombe bien, parce qu’Emmanuel Lapierre a fait un mémoire de maîtrise sur le sujet.
Comment se traduisait le sentiment national des Canadiens-français avant la création du Club de hockey Canadien?
Par la honte, parce qu’il y avait toujours eu ce genre de sentiment lié au fait d’être Québécois et de parler français. Avec le Canadien, l’idée était de montrer que c’était possible d’avoir du succès comme Canadien-français. Comme l’a dit Donald Guay, premier historien du sport au Québec, les gens et les politiciens essayaient de nous faire croire que le sport était à l’extérieur de la société, mais ce qui se passait sur la patinoire avait un vrai impact sur notre perception de nous-mêmes.
Comme avec l’affaire Richard par exemple?
Exactement. Quand Maurice Richard s’est fait suspendre vers la fin de la saison 1955, il y avait très peu de joueurs francos dans la Ligue nationale, et encore moins au sein de sa direction, alors plusieurs y ont vu un affront politique, et pas seulement sportif. Les partisans francophones ont ressenti cette injustice sur la glace comme les injustices qu’ils vivaient au quotidien.
Quand le club est-il devenu un véritable symbole national?
Vers 1924, avec l’arrivée du club de hockey très anglo les Maroons, il y a eu une répartition ethnique, et les francos ont pris pour les Canadiens. C’est quand les parties ont commencé à être diffusées avec l’arrivée de la radio dans les années 1930 que les gens ont vraiment commencé à s’y intéresser. Dans les journaux de l’époque, avant l’avènement de la radio, on parlait de billard, de quilles, de boxe et de lutte avant de parler de hockey.
Comment les Canadiens ont-ils fait leurs débuts?
Au début des années 1900, le hockey était réservé aux Anglais. La patinoire était interdite aux francophones, comme tous les autres clubs sportifs d’ailleurs. C’était de la discrimination sans fondement. Un jour, il y a un Anglais qui a vu une occasion de faire la piasse, parce que les francos voulaient jouer aussi. Sauf qu’au début du 20e siècle, le nom Canadien n’avait absolument rien à voir avec le Canada, c’était anti-anglais! C’est donc ironique que ce soit un anglo qui ait créé le club avec ce nom-là.
Pouvoir jouer au hockey pour les francos, ça allait donc au-delà du sport, c’était politique?
Oui, et il y a toujours eu une contradiction entre ce que signifie le hockey pour le Canada anglais et français, particulièrement avec le CH. La mission d’origine du club était de défendre l’identité nationale, et les exploits des joueurs francos sur la glace symbolisaient la nation qui se définissait, qui s’affirmait. En réalité, la vraie mission, c’est d’amasser le plus de profit possible. C’est une corporation après tout!
Comment ils font pour conjuguer les deux?
Pour contenter le public francophone et anglophone, l’équipe a décidé de redéfinir ce que signifiait être québécois. Le but premier était de défendre l’identité des Canadiens-français, sauf que lorsque les Maroons ont fait faillite en 1938, les propriétaires ont voulu aller chercher les partisans anglos, et c’est à partir de ce moment-là que le club s‘est affiché bilingue. Quand on regarde l’histoire, on se rend bien compte qu’ils n’ont en réalité jamais défendu l’identité nationale francophone.
Mais dans les années 80 et 90, il y avait pas mal de francos, non?
Oui, mais c’est le seul moment où il y a eu autant de francos, et c’était encore pour une question d’argent! La brasserie O’Keefe avait les Nordiques, qui s’affichaient comme une équipe francophone. Ça a fait peur aux Molson, qui eux ont le Canadien, parce qu’ils commençaient à perdre des parts de marché sur la bière. Dès que les Nordiques ont été vendus, l’environnement des Canadiens a commencé à se réangliciser, le nombre de joueurs francos a diminué. Imaginez, il n’y avait même plus de recruteurs de joueurs au Québec!
Maintenant que les joueurs sont majoritairement anglophones ou étrangers, est-ce que les Québécois s’identifient autant au Canadien de Montréal?
Je pense que non, et l’indice le plus probant est que le nombre de joueurs dans les ligues organisées au Québec est stagnant depuis les années 1980. Les jeunes n’ont plus de modèles dans lesquels ils se reconnaissent, alors ils se tournent vers d’autres sports. Il y a plus d’offre, c’est certain, mais dans toutes les autres ligues de sport comme le football, le basketball et le soccer, le nombre de joueur est en constante expansion.
Le Canadien de Montréal a-t-il encore de nos jours des visées politiques?
Oui, et c’est évident. Geoff Molson a même dit cette année que le Canadien était la culture québécoise, que le Canadien était bilingue. Ça, c’est vouloir redéfinir l’identité québécoise à la place des Québécois en nous imposant la vision de sa corporation.
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