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Elvis et Tupac jasent business sur leur île déserte

Et si ce n'était pas de la fiction?

Par
Myriam Selhi
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On nous a fait croire que le roi du rock and roll, Elvis Presley, et le rappeur légendaire Tupac Shakur étaient morts. Mais non : ils habitent une île tropicale, d’où ils gèrent une entreprise de simulation de décès nommée Eclipse Solutions. Une fois par année, ils reçoivent leurs nouveaux clients à souper pour leur expliquer leurs services. Mais cette année, un invité se fait attendre.

Elvis et Tupac s’en vont en bateau. Personne ne tombe à l’eau. Ils pêchent le souper pour leurs convives ce soir-là. L’invitation au repas ne contenait que les coordonnées du paisible îlot : 22°35’46.1″N 73°29’24.8″W. C’est là que « King » et Pac habitent depuis une dizaine d’années, à l’abri des projecteurs et des scandales.

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À première vue, on se demande que diable ont en commun le protagoniste de King Creole et le chantre du hip-hop, mais les concordances sont bel et bien là. À commencer par l’année de naissance de Tupac : 1971. C’est l’année du début de la carrière solo de Michael Jackson, qui épousera Lisa Marie Presley, la fille du King, 23 ans plus tard. 2 + 3 = 5, soit le nombre exact d’albums que Tupac a sortis de son « vivant ». Outre ce genre de signes, une lecture plus terrestre nous apprend que les deux artistes ont fait des pieds et des mains pour berner le public et mettre en scène leur décès.

— Pac, on l’a faite, notre chance, mais on est chanceux pareil.

Debout dans la chaloupe, Elvis s’apprête à jeter son filet sur un banc de poissons argentés. Malgré ses 84 ans, il reste agile et se tient droit comme un piquet. L’arthrite n’a pas encore eu raison de sa souplesse de danseur.

— Oui, King, on a pris de bonnes décisions, mais le destin nous a aidés aussi, acquiesce Tupac, un peu déçu de la banalité de ses mots pour exprimer des faits hallucinants.

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Une rencontre écrite dans les étoiles

Elvis a flâné longtemps dans des jobs undercover après qu’il eut left the buildingà Graceland, en 1977. Sa supposée crise cardiaque avait quand même révélé les détails réels de son état de santé et la véritable pharmacie qui coulait dans ses veines. Il est devenu straight edge. Pour gagner sa vie, il a participé pendant des années à des concours d’imitateurs de lui-même, qu’il ne remportait que rarement. Quand il encaissait la cagnotte, il se réjouissait de renflouer les coffres et, quand il perdait, il souriait quand même. Sa légende l’avait dépassé.

Par une soirée tiède de juin à la sortie d’un truck-stop bavarois, Elvis est tombé sur un Tupac chaud raide qui faisait des cercles dans un champ de maïs.

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Par une soirée tiède de juin à la sortie d’un truck-stop bavarois, Elvis est tombé sur un Tupac chaud raide qui faisait des cercles dans un champ de maïs. « Pour tuer le temps », a susurré l’étoile du West Coast, les doigts en L pointés vers sa montre. Le pauvre bougre ne savait que faire de sa liberté retrouvée après « avoir été assassiné de quatre balles » à Las Vegas. Les deux ex-vedettes se sont allongées sous les étoiles et ont fraternisé, unies par le secret de leur existence clandestine.

Quand l’aube s’est pointée sur les musiciens endormis, ils avaient scellé le pacte qui les lie encore à ce jour : ils allaient redonner un sens à leur vie en aidant les autres à simuler leur mort.

C’est ainsi que, dans un champ de bord d’autoroute du sud de l’Allemagne, naquit Eclipse Solutions, le service de disparition de millionnaires qui s’est depuis érigé comme référence dans l’industrie du fake death.

Leurs premières années leur ont donné quelques succès retentissants. Entre Elizabeth Taylor — que plus personne ne reconnaissait —, Vidal Sassoon, qui a passé le mot dans le monde de la mode, et Oussama Ben Laden, « balancé par-dessus bord » par des marines, le secret d’Elvis et Tupac s’est rapidement répandu parmi les blasés richissimes.

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Le souper

On est au mois d’août, et les invités sont attendus à 17 h 30 pour assister au coucher de soleil sur le quai. Ensuite, pendant le repas, les nouveaux clients écouteront attentivement le modus operandi pour mener leur éclipse à terme.

— Est-ce que les croûtons sont au four ? T’es certain que personne n’est végétarien ? demande Tupac à Elvis.

— Pac, relaxe. C’est pas compliqué : chaque année, c’est le même plan; c’est juste les invités qui changent. Ils débarquent; on brise la glace sur le quai avec un Cosmopolitan; il y a immanquablement un comique qui va me demander si on mange des sandwichs au beurre de pinottes et bananes; un Blanc aux pieds plats va te saluer en faisant un W maladroit; on soupe; on leur explique les cinq règles de leur deuxième vie; ti-café; ils paient; et saludos, les futurs regrettés.

— Te souviens-tu de la fois où Carrie Fisher avait amené une piñata et Mohamed Ali l’avait « battée » jusque dans la piscine ? Belle gang, cette année-là…

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Les aboiements des chiens en provenance du quai signalent l’arrivée des premiers invités.

L’invité qui n’arrive pas

Le soleil est résolument couché depuis plus d’une heure, et il manque encore une personne. Bachar et Elton en sont à leur troisième cocktail et les langues se délient. Pauline et Pierre Karl jouent aux poches, et Mark n’en revient tout simplement pas que les gens continuent de mettre leur vie sur son réseau social. « Faut être masochiste; je comprends pas. »

— Pac, chuchote Elvis en se séchant les mains sur son tablier à motifs marins, faut passer à table : ils vont tomber saouls morts si on continue d’attendre.

— C’est la première fois qu’on nous pose un lapin, murmure le rappeur, incrédule, avant de s’adresser aux convives.

« Bon, tout le monde : nous vous invitons à passer à l’esplanade, où un festin nous attend », lance-t-il, faussement jovial, en resserrant le nœud de son bandana sur son crâne lisse.

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Les invités déambulent vers la table ronde éclairée par des cierges que le King se fait livrer du Vatican. Un carton plié en deux indique le nom des invités au milieu de chaque assiette. Elvis prend place sur l’estrade basse qu’il a construite au pied d’un palmier et déroule l’écran cloué au tronc pour commencer la projection.

Tupac s’empresse de lever le couvert de l’absent et cache dans sa poche le carton de Jeffrey. Pourtant, ce dernier s’était montré très intéressé; il avait même payé d’avance. « Est-ce que je dois être fâché ou je dois être inquiet ? » La question résonnait dans la tête de Tupac pendant qu’Elvis passait le PowerPoint défraîchi des success stories d’Eclipse Solutions.

Il était peut-être arrivé quelque chose à Epstein. Ou peut-être avait-il « faké » sa propre fake death