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Éloge de la librairie, celle où on salive et où les planchers craquent

Par
Aurélie Lanctôt
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J’aime le Salon du livre. Ce n’est pas exactement un refuge contre la bêtise ambiante, à en croire les étalages de livres d’astrologie et autres gaspillages, mais c’est une grand’ messe réconfortante.

Et en contrepartie à la biographie du doc Mailloux, il y a cette année Laurent Gaudé; que j’ai la ferme intention d’aller rencontrer, le temps d’une dédicace, non sans mes yeux de poodle impressionné.
Le livre est un bien sacré qui mérite qu’on encourage et perpétue les rites qui l’entourent. Entre autres par des événements qui, comme le Salon, promeuvent une certaine « culture du livre ». Mais il serait bien bête de croire que quatre ou cinq jours faussement festifs, annuellement, suffisent. Le cérémonial et l’allégresse du Salon du livre, vache sacrée que j’éviterai par ailleurs de tapocher à outrance, ont un côté factice, habilement dissimulé par une vertu incontestable : la promotion de la lecture.
Je déambulais hier au Salon, et je me disais qu’à la vue de ce temple éphémère, on ne peut que penser que l’industrie du livre se porte à merveille au Québec ! Tant de gens, tant d’auteurs, tant de kiosques et tant de livres…
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Ça fait du bien de se faire croire, ne serait-ce qu’un instant, que les gens octroient une place privilégiée à la lecture, dans leur vie, et qu’ils se réjouissent de l’effervescence littéraire actuelle, s’il en est. Sauf que j’ai l’impression que tout ce cérémonial hypertrophie la déférence et la considération réelles avec lesquelles on traite notre patrimoine écrit, le reste de l’année.
Comme si la participation populaire au Salon du livre faisait office de grand mea culpa; où on achète des livres comme des indulgences. Une grand’messe, disais-je plus haut. Et c’est vraiment bien, faut pas croire! Je crois néanmoins qu’il faut regarder un peu plus loin, si vraiment notre rapport à l’écrit nous préoccupe.
Le Salon du livre s’articule autour de la présence de vedettes et de la promotion de la lecture comme événement, comme rendez-vous. C’est bien, mais la survie de l’industrie du livre est un combat qui ne se mène pas qu’à grand coup d’autocongratulation.
Il est beaucoup trop tard pour se contenter de festoyer. Notre rapport à la culture de l’écrit est profondément perverti, avili. Nous tendons de moins en moins à appréhender le livre comme un bien sacré. Et soyons catégoriques: la majorité des gens lisent peu. La lecture n’est plus un réflexe, ni d’ailleurs un geste valorisé. En fait, oui : dans l’idée. Dans l’absolu, on élève encore la lecture au rang d’acte noble. Conscients de la vertu de ce qu’on délaisse trop souvent, on pallie à cette négligence par le discours. Donc on parle du livre comme d’un bien sacré, sans pour autant que cette sacralisation ne trouve son prolongement dans le réel. Le Salon du livre en est une formidable démonstration.
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En ce sens, il ne suffit pas simplement de « faire connaître », puis de laisser au marché la décision du sort d’une œuvre. La large majorité de celles-ci ne passeraient pas le simple test du marché. Or, au-delà de n’importe quel bien culturel, je suis d’avis qu’on devrait épargner le livre de la barbarie marchande. Mais puisque la plupart des gens ne pensent pas beaucoup plus loin que la monnaie qu’ils ont dans les poches, c’est perdu d’avance.
Ainsi, la lutte en est une de tranchées, de quartiers, de coins de rues; menée par les libraires – les vrais, les indépendants – pour faire exister le livre au-delà du best-seller. Véritables Croisés, de peine et de misère, ils font vivre la littérature, non sans de vigoureux et récurrents raclages de fonds de tiroirs, j’en ai la triste impression.
Ces libraires, avec leurs petites librairies, celles où les planchers craquent et où il fait bon flâner, se portent garants de la « biblio diversité » de l’écosystème littéraire. Avec leurs milliers de titres, ils laissent une place à ces marges indispensables à l’éclosion des idées, permettent l’émergence des nouveaux auteurs ou contribuent simplement à faire exhaler l’odeur du papier (richesse en soi).
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Or, le combat de ces libraires, plus souvent qu’autrement, passe largement en deçà du radar. Depuis des années, ils réclament le prix unique du livre, qui leur permettrait de ne plus perdre la vente des best-sellers aux griffes des magasins à grande surface, qui les liquident à rabais. Il faut comprendre que la vente des best-sellers, c’est la vache à lait, le pain et même le beurre des libraires indépendants. C’est ce qui leur permet de tenir la grande variété de titres – plus obscurs, mais d’autant plus indispensables – qu’ils ont en magasin.
Sans les profits induits par la « vente facile » des ouvrages à succès, c’est l’asphyxie. Sauf qu’il est difficile de rivaliser avec les Costco et Walmart de ce monde, qui vendent les best-sellers presque au prix coûtant; simplement pour offrir « la totale » à leurs clients indolents qui viennent s’acheter des beignes, des bas de nylon et du ketchup en gros.
mainstream
Fifty Shades of Grey
Le prix d’un livre, ce n’est tout simplement pas moyennable. Je pourrais vous parler longuement du trou perpétuel que font les livres dans mon budget. Sauf que c’est un trou qui rapporte, à terme. Et c’est un meilleur projet de société qu’un pull trop cher chez American Apparel.
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L’achat d’un livre à rabais, ce n’est pas sans conséquences; qu’on se le tienne pour dit. Je ne veux pas voir le jour où nos libraires auront été jugulés irrémédiablement par notre indifférence et notre tempérament gratteux. Ce jour-là, où il faudra aller chez Zellers pour garnir nos bibliothèques, je vous jure qu’il y aura quelque chose de l’humanité qui sera perdu.
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