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Elizabeth-Ann Doyle: Redonner couleur humaine à Montréal

Portrait de la cofondatrice de MU.

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L’UniversitĂ© de MontrĂ©al et URBANIA s’associent pour vous prĂ©senter une diplĂŽmĂ©e dĂ©terminĂ©e Ă  embellir MontrĂ©al.

À MontrĂ©al, les murs ont vraiment des yeux : de Janine Sutto Ă  Leonard Cohen, une foule de murales gĂ©antes remplacent tranquillement les 50 nuances de gris de la ville. On les doit Ă  Élizabeth-Ann Doyle, cofondatrice et directrice gĂ©nĂ©rale et artistique de l’organisme MU. GrĂące Ă  son travail, la mĂ©tropole est plus belle, les voisins plus heureux, les ados plus motivĂ©s et les artistes mieux nourris. C’est simple, toutes les villes du monde auraient besoin d’une Elizabeth-Ann.

Il y a 10 ans, les habitations Jeanne-Mance Ă©corchaient le centre-ville de MontrĂ©al tel un bobo de 7 hectares. Les badauds hĂ©sitaient Ă  traverser ces habitations Ă  loyer modique prises en sandwich entre le Quartier latin et la Place des Arts, et certains avaient mĂȘme hĂąte de remplacer ce petit village multiculturel par un hĂŽtel ou une salle de spectacle.

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Mais au printemps 2018, quand j’ai rejoint Elizabeth-Ann Doyle au bureau de MU situĂ© dans l’un des blocs du HLM, plutĂŽt que de contourner la cour, un groupe de touristes photographiait Les saisons montrĂ©alaises, ces quatre murales qui ornent aujourd’hui le complexe. Donner un peu d’amour Ă  ce ghetto morose est l’une des missions que s’était donnĂ©e MU, et on peut dire que c’est rĂ©ussi puisque le bloc est carrĂ©ment devenu une destination culturelle.

Le pimpage des habitations Jeanne-Mance n’est qu’un exemple du pouvoir de l’art mural, tel qu’imaginĂ© par Elizabeth-Ann Doyle et l’OBNL qu’elle a cofondĂ© avec Emmanuelle HĂ©bert. AprĂšs une maĂźtrise en histoire de l’art et cinq ans de tournĂ©e amĂ©ricaine au sein de l’équipe des relations publiques du Cirque du Soleil, Elizabeth-Ann rentre s’installer au QuĂ©bec. InspirĂ©e par le programme Mural Arts de Philadelphie et le MusĂ©e urbain Tony-Garnier de Lyon, elle rĂȘve d’apporter Ă  son tour un peu de beautĂ© aux espaces publics montrĂ©alais. Sa dĂ©termination a payé : depuis la premiĂšre fresque, peinte en 2007 au coin de Pie-IX et de la 47e Rue, MU a transformĂ© MontrĂ©al de « ville aux 100 clochers » Ă  « ville aux 100 murales », et couronnĂ© 10 ans d’existence par un portrait plus grand que nature du gĂ©ant Leonard Cohen, qui veille maintenant sur la ville pour les dĂ©cennies Ă  venir.

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UNE FRESQUE EN CADEAU

Si un vent favorable souffle aujourd’hui sur le street art, l’approche sociale et communautaire de MU en fait une initiative Ă  part. Les murales de l’organisme ne sont pas des cartes blanches pour les artistes, mais plutĂŽt des cadeaux aux communautĂ©s.

Pour Elizabeth-Ann, l’Ɠuvre doit raconter une histoire et s’ancrer dans son milieu. Et au-delĂ  du produit fini, ce sont le processus de crĂ©ation et la participation citoyenne qui comptent. « Si la ville dĂ©cide de mettre une nouvelle statue dans un parc, c’est beau, mais ça n’inclut pas beaucoup le citoyen. Tandis qu’avec la fresque, les artistes travaillent tous les jours, pendant des semaines, au milieu de la communautĂ©. Les gens dĂ©couvrent le processus crĂ©atif en mĂȘme temps que l’Ɠuvre qui se rĂ©alise sous leurs yeux. Ils ont une proximitĂ© avec l’art et l’artiste qu’ils n’auraient pas dans un musĂ©e.

La mĂ©diation culturelle n’est pas organisĂ©e comme une confĂ©rence : elle est plus organique. Chaque jour, tu peux aller voir le muraliste, lui poser des questions. Certains les invitent Ă  dĂźner, d’autres apportent leur chaise pliante pour les regarder travailler pendant des heures.

Tout cela fait en sorte que la communautĂ© s’approprie beaucoup l’Ɠuvre, ce qui a un pouvoir Ă©norme et entraĂźne d’autres transformations : « il y a moins de dĂ©chets illĂ©gaux, les gens plantent des fleurs, la ville change le mobilier urbain ou ajoute de l’éclairage
 On ne peut pas toujours mesurer ces changements, mais ce qui est clair, c’est que le beau attire le beau. »

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QUAND LE STREET ART TRANSFORME AUSSI LES ADOS

Il n’y a pas que les murs que l’art peut transformer; il y a aussi les ados. L’objectif de MU a toujours Ă©tĂ© d’inclure les jeunes dans sa dĂ©marche, mais c’est avec l’expĂ©rience qu’Elizabeth-Ann a compris comment y arriver.

À la base, elle espĂ©rait que les artistes en herbe mettent la main au pinceau dans tous ses projets. Elle a dĂ©chantĂ© en apprenant que la rĂ©gie du bĂątiment interdit les mineurs dĂšs lors qu’il y a prĂ©sence d’échafaudages. Qu’à cela ne tienne! Elizabeth-Ann n’était pas prĂȘte d’exclure les jeunes, Ă  commencer par les 400 ados qui peuplent les habitations Jeanne-Mance, souvent dĂ©sƓuvrĂ©s quand les Ă©coles ferment pour l’étĂ©. MU a donc pensĂ© inviter les meilleurs artistes et artisans Ă  donner aux jeunes des ateliers orientĂ©s sur les techniques et les mĂ©tiers du street art.

DĂšs les premiers groupes, elle a compris Ă  quel point elle avait raison d’insister. Notamment quand un ado pĂ©ruvien rĂ©cemment immigrĂ© est allĂ© parler au muraliste. « Il lui a dit : “Je rĂȘve d’ĂȘtre un artiste, mais mon pĂšre ne veut pas. Il dit que je vais crever de faim, il veut que je sois chauffeur de taxi. Toi, est-ce que tu crĂšves de faim? Comment ça marche?” Et l’artiste lui a rĂ©pondu qu’à temps plein, il n’était pas muraliste, mais illustrateur. Il lui a expliquĂ© son mĂ©tier en lui montrant des magazines. Et lĂ , le jeune a complĂštement allumĂ©! Il lui a posĂ© des questions sur ses Ă©tudes et sa dĂ©marche, puis il est retournĂ© voir son pĂšre pour lui dire : “j’ai trouvĂ© ma voie, et tu vas voir, je vais rĂ©ussir.” »

MontrĂ©al s’affiche comme une mĂ©tropole culturelle, et j’aime l’idĂ©e qu’elle l’incarne au-delĂ  de sa programmation de festivals.

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Provoquer des rencontres, offrir des modĂšles atypiques aux ados et crĂ©er des dĂ©clics : c’est la vocation moins connue de MU, mais peut-ĂȘtre celle qui fait le plus de bien. « Le montage financier de chaque murale inclut un volet gratuit pour les jeunes du quartier. Les ateliers sont l’occasion pour eux de dĂ©couvrir toutes les techniques en lien avec la murale, et ils sont donnĂ©s par des artisans diffĂ©rents chaque fois : des artistes, des architectes, des graphistes
 On a dĂ©veloppĂ© un cahier de mĂ©tiers, et on peut orienter les jeunes vers ce qui les intĂ©resse. L’idĂ©e, c’est de crĂ©er des programmes qui ne vont pas juste faire passer le temps aux jeunes. On veut vraiment offrir des projets structurants, qui les amĂšnent Ă  avoir des dĂ©clics, que soit Ă  propos de leur carriĂšre ou de l’impact qu’ils peuvent avoir autour d’eux avec les gestes qu’ils posent. »

MONTRÉAL, SOURCE INÉPUISABLE D’INSPIRATION

L’art mural raconte gĂ©nĂ©ralement des histoires, cĂ©lĂšbre des personnages importants et contribue Ă  l’éducation populaire. MU perpĂ©tue cette tradition en mettant l’accent sur les personnalitĂ©s artistiques et montrĂ©alaises. « MontrĂ©al s’affiche comme une mĂ©tropole culturelle, et j’aime l’idĂ©e qu’elle l’incarne au-delĂ  de sa programmation de festivals, en cĂ©lĂ©brant tous ses bĂątisseurs culturels, dans tous ses quartiers, sur tous ses murs. »

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AprĂšs Dominique Michel, ClĂ©mence Desrochers ou encore Oscar Peterson, MU cĂ©lĂ©brera notamment cette annĂ©e la cinĂ©aste autochtone Alanis Obomsawin, avec qui Elizabeth-Ann s’apprĂȘtait Ă  luncher lorsque nous nous sommes parlĂ©. « Je suis full excitĂ©e! On va discuter ensemble des Ɠuvres marquantes de sa carriĂšre. Pour que notre dĂ©marche ait un sens et un impact, on ne veut pas juste coller des photos sur des murs. On Ă©coute la personne ou son entourage, afin de choisir des visuels plus personnels. Parfois, ce sont des portraits, parfois, ce sont des images qui racontent l’Ɠuvre de l’artiste. Dans tous les cas, elles ont une histoire. »

Rendre hommage aux artistes accomplis, c’est bien, mais encourager en mĂȘme temps les artistes Ă©mergents, c’est encore mieux! Jusqu’à prĂ©sent, MU a dĂ©jĂ  remis plus de 1,5 million de dollars en honoraires aux artistes, en plus de former plusieurs Ă©ducateurs et assistants muralistes Ă  la sortie des Ă©coles d’art. Car en plus des ateliers pour les jeunes, MU offre des programmes de mentorat pour la relĂšve.

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« À la base, mon histoire d’amour est pour les arts. Et l’art s’incarne non seulement Ă  travers les Ɠuvres, mais aussi Ă  travers les artistes. En plus de leur permettre d’apprendre la technique, passer du temps au contact d’autres artistes professionnels aide les jeunes adultes Ă  intĂ©grer la communautĂ©. C’est un domaine oĂč il y a beaucoup de prĂ©caritĂ© Ă©conomique, alors je suis contente d’épauler les vingtenaires dans leur professionnalisation. »

UNE VILLE TAPISSÉE DE MURS VIERGES

Selon Elizabeth-Ann, la beautĂ© et le dĂ©fi de MU, c’est que chaque projet repart de zĂ©ro. La recherche de financement, le contact avec les artistes, les discussions avec les rĂ©sidents
 Sa recette secrĂšte, c’est de s’adapter aux besoins des communautĂ©s plutĂŽt que d’imposer ses envies.

À la base, mon histoire d’amour est pour les arts.

Au niveau politique et de la gestion des affaires, c’est une autre paire de manches. « Quand j’ai la vision de quelque chose et que j’y crois, ça peut prendre du temps, mais ça va arriver. La murale de Daisy Sweeney [NDLR : une professeure de musique montrĂ©alaise mythique qui a enseignĂ© aux plus grands jazzmen] qu’on va faire cet Ă©tĂ©, ça faisait trois ans qu’on la prĂ©sentait Ă  la ville sans succĂšs. Cette annĂ©e, on a aussi prĂ©sentĂ© RĂ©jean Ducharme. J’y tenais vraiment : c’est un auteur que j’adore, et il est dĂ©cĂ©dĂ© en 2017. J’aurais aimĂ© ça que la ville allume. Je m’en fous, je le prĂ©senterai encore! C’est vraiment Ă  coups de pioche qu’on arrive Ă  quelque chose! »

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Heureusement, Elizabeth-Ann n’a aucune intention d’arrĂȘter de piocher pour la beautĂ© de la ville, et en particulier celle des plans HLM. Avant de partir pour son dĂźner avec Alanis Obomsawin, elle me confie qu’elle aimerait Ă©tendre les activitĂ©s de MU vers le design urbain. Aux habitations Jeanne-Mance, c’est naturellement vers elle qu’on se tourne pour conseiller les paysagistes et les architectes qui rĂ©flĂ©chissent Ă  de futurs amĂ©nagements. Ça tombe bien, elle ne manque jamais d’idĂ©es! Au programme : dĂ©cloisonner, changer les axes de circulation, faire de l’ombre oĂč les voisins s’assoient, installer d’autres Ɠuvres d’art, et pourquoi pas une canopĂ©e?

Je gage que dans 10 ans, des autobus touristiques complets attendront en ligne pour photographier les plus beaux HLM du monde.

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