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Élisabeth II, Occupation double et Guy Lafleur

Notre envoyée spéciale en direct de Buckingham.

Par
Violette Cantin
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C’est en sortant du métro Green Park, sous le ciel gris de Londres, que j’ai sourcillé : « Tiens, il me semble qu’il y a beaucoup de gens ici, pour un vendredi matin à 10 h. Est-ce que c’est normal qu’autant d’entre eux tiennent un bouquet de fleurs? »

Par chance, je ne suis pas complètement stupide : je savais bien qu’on était à seulement quelques minutes à pied du palais de Buckingham, où les citoyen.ne.s britanniques étaient invité.e.s à rendre un hommage à la reine Élisabeth II, dont le décès la veille au soir a créé une véritable commotion médiatique et sociétale.

Je devais vite constater, en arrivant aux pieds du majestueux palais, que je n’avais rien compris.

Comme tant d’autres de mes camarades québécois.es, je n’ai jamais accordé énormément d’importance à la reine. Je vois parfois son visage à Noël, sur le billet de 20 $ que m’offre un cousin éloigné en guise de cadeau, ou alors à la une des magazines à potins qu’on trouve près des caisses à l’épicerie. C’est tout.

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Mais ce matin-là, devant le palais de Sa Majesté, des Britanniques de tout âge ont fondu en larmes en répondant à mes questions sur la reine. L’ambiance était triste, si triste. Le lendemain, à l’occasion de la proclamation du nouveau roi Charles III, la foule était au contraire fébrile et enthousiaste d’accueillir le nouveau souverain, même si plusieurs évoquaient bien sûr avec émotion le souvenir de sa défunte mère.

À Londres, j’ai été frappée par cette réalité qui n’est pas forcément la nôtre, soit l’importance que revêt la monarchie dans la vie de tant de citoyen.ne.s britanniques, et la douleur que leur a causée la mort pourtant attendue d’une femme de 96 ans.

Il faut dire que la monarchie revêt là-bas une valeur symbolique indéniable, mais agit aussi en tant qu’Occupation double local.

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Il faut dire que la monarchie revêt là-bas une valeur symbolique indéniable, mais agit aussi en tant qu’Occupation double local. De nombreux jeunes à qui j’ai parlé m’ont confié que les nombreuses bisbilles (je connais mon lexique OD) qui ont opposé le couple formé de William et Kate à celui de Harry et Meghan ont contribué à raviver l’intérêt pour la monarchie au sein des jeunes.

J’ai croisé trois adolescentes de 15 ans (Azalea, Lia et Lisa), uniforme scolaire au dos, qui m’ont affirmé être hautement préoccupées par tout ce tea : « Oh oui, Meghan et Harry, on en parle tout le temps. »

Bref, si au Québec, nous sommes prompts à nous prendre de passion pour les Koralie-Maya et autres pompiers-barmans de ce monde, dont l’avenir consistera essentiellement à prendre part à des publicités de crème hydratante et à se prendre en photo à Osheaga, comment s’étonner qu’ailleurs, ce soit les héritiers et héritières d’une tradition millénaire de droit divin qui fassent l’objet de tant d’attention?

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Héros et héroïne

Mon bref périple à Londres constituait ma deuxième couverture journalistique du décès d’une personnalité majeure : la première, c’était ce printemps, lorsque Guy Lafleur a rendu l’âme.

La nouvelle était survenue un vendredi matin, et je m’étais précipitée aux abords du Centre Bell, à proximité de la statue le représentant, pour recueillir les témoignages de partisan.e.s endeuillé.e.s. J’avais également couvert le premier match du Canadien suivant son décès, deux jours plus tard, pendant lequel avait eu lieu une cérémonie en son honneur.

Je me souviens nettement de l’émotion qui en saisissait plusieurs lorsque je les questionnais sur l’importance que revêtait Guy Lafleur pour eux et elles. Je me souviens de ce monsieur, par exemple, qui n’avait pu retenir ses larmes en racontant que son fils était blond et doué pour le hockey, comme le Démon blond lui-même. Plusieurs personnes que je sondais fondaient en larmes. Exactement comme ce vendredi matin, lorsque je me suis retrouvée devant le palais de Buckingham.

Impossible de rester insensible face à la douleur des personnes qui les pleurent.

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Ne vous méprenez pas, on peut difficilement trouver deux personnalités plus éloignées que Guy Lafleur et la reine Élisabeth II. Mais les sentiments qu’il et elle semblent susciter chez leurs admirateurs et admiratrices sont plutôt identiques. Du moins, c’est mon impression. Deux héros et héroïne intouchables, emblématiques de leur nation respective, qui ont fourni de la force, de l’inspiration et du courage à plusieurs de leurs concitoyen.ne.s, tant au quotidien que pendant des moments difficiles. Dans tous les cas, impossible de rester insensible face à la douleur des personnes qui les pleurent.

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L’omniprésence des fleurs

Après une journée à courir un peu partout aux abords du palais de Buckingham, j’ai lâchement abdiqué ma volonté de m’en tenir aux transports en commun et j’ai commandé un Uber pour me rendre à ma luxueuse auberge de jeunesse. Le chauffeur voulait me faire la jasette, et malgré mon état de fatigue avancé, j’ai participé, en songeant confusément que ce serait une bonne occasion de pratiquer mon anglais.

Lorsque je lui ai demandé s’il était attristé par le décès de la reine, Ahmed a aussitôt acquiescé. « Oui, je l’aime beaucoup, je suis tellement triste… Et la famille royale crée tellement de tourisme ici. »

Icône nationale, source intarissable de potin et outil marketing… Décidément, la famille royale a plusieurs chapeaux.

J’ai un peu glandé dans le salon de l’auberge jeunesse, puisque ma chambre était peuplée de trois garçons qui ne m’inspiraient guère confiance (j’en ai salué un et il ne m’a même pas répondu, ce que j’ai trouvé à la fois impoli et louche). À la télé, l’émission spéciale de la chaîne britannique Sky News au sujet du décès royal se poursuivait. On n’a pas fini d’en entendre parler.

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Le lendemain, alors que je pondais un dernier article dans un Starbucks surpeuplé à quelques minutes à pied du palais de Buckingham, les fleurs ont attiré mon regard. Elles étaient partout. Les gens affluaient, bouquet de fleurs à la main, en direction du palais et du parc adjacent, où ils étaient des milliers à se recueillir.

Je quitte Londres en me disant qu’il y a bien des aspects concernant l’importance de la famille royale au Royaume-Uni qui m’ont jusqu’ici échappé, et que je ne pourrai, je crois, jamais comprendre totalement.