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Écrire les yeux fermés : entretien avec Charlotte Biron
URBANIA et le CALQ sont fiers de s’associer pour vous faire découvrir le talent littéraire local!

Jardin radio, c’est le tout premier roman de Charlotte Biron, postdoctorante, chargée de cours en littérature et autrice, dans lequel elle dresse un portrait poignant de sa lutte contre le cancer de la mâchoire qu’on lui a diagnostiqué à ses 24 ans. Ce récit, doux et contemplatif malgré la dureté de la réalité qui en est au cœur, vient de lui valoir le Prix du CALQ – Œuvre de la relève à Montréal.
On s’est entretenu avec la jeune romancière, désormais âgée de 33 ans, pour jaser un peu de son art, de ses inspirations et de l’impact d’un soutien financier public auprès des jeunes artistes de la province.
Combler le vide
Son premier roman, Jardin radio, dépeint avec brio le portrait d’une jeune femme en convalescence, réduite au silence et à l’immobilité, qui réussit à tromper la solitude en se réfugiant dans les différentes textures sonores émanant de la radio de sa chambre d’hôpital. Étendue dans son lit, dans un lieu qui pour elle n’existe plus, elle se laisse transporter, les yeux fermés, à travers un éventail d’univers auditifs et de voix humaines que lui apportent les émissions de radio, archives et balados à sa portée.
Mais avant la radio, il y avait le silence.
« Le silence est omniprésent lors d’une expérience difficile comme la maladie, alors c’est intéressant, parce que la radio vient combler un vide. Le son adoucit un sentiment de solitude qui est parfois très douloureux. Aujourd’hui, pour moi, c’est l’inverse. Au moment de la sortie du livre, la tumeur était derrière moi, et, en plus, le lancement coïncidait avec une atténuation des mesures liées à la pandémie. Depuis un an, ma vie est donc beaucoup plus bruyante, alors la radio agit plutôt comme un vecteur de silence ou de concentration. »
Pour Charlotte, le lancement de Jardin radio fut une expérience gratifiante et singulière. Encore à ce jour, elle est particulièrement fière du chemin que le livre a fait. « C’est un projet qui crée des rencontres intimes qui me touchent et me dépassent complètement, depuis un an. »
Un projet acclamé
En début d’année, l’œuvre de la jeune autrice s’est vue décorée du Prix du CALQ – Œuvre de la relève à Montréal, accompagné d’une bourse de 10 000 $, par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Cette bourse a pour objectif de souligner le talent d’une nouvelle génération de créateurs et de créatrices qui se démarquent dans leur région en leur offrant un soutien tangible en début de carrière.
Charlotte nous dit se sentir honorée d’être lauréate de ce prix, surtout parce qu’elle était aux côtés de deux autrices finalistes qu’elle estime et qu’elle admire : Nelly Desmarais, pour son recueil de poésie Marche à voix basse, et Marie-Pier Lafontaine, pour son essai Armer la rage. Pour une littérature de combat.
Selon l’autrice, la reconnaissance symbolique ou financière d’un projet peut avoir une panoplie d’impacts positifs sur la carrière d’un.e artiste, et ce, particulièrement en début de parcours. Dans son cas, cette bourse lui permettra d’investir plus de temps dans ses prochains projets et dans sa création. Octroyé par un jury, le prix soulignant son œuvre représente aussi une reconnaissance de la part de ses pairs et de son industrie qui s’avère vraiment valorisante.
«C’est très physique comme processus, pour moi, la création. Ça passe beaucoup par la voix. »
Au Québec, il est difficile de vivre de sa plume, et Charlotte en est consciente. L’écrivaine nous explique qu’écrire un bon roman, ça peut prendre jusqu’à trois ans de recherche et d’écriture. Trois ans pendant lesquels il faut s’assurer de ne pas mourir de faim, et auxquels on doit ajouter une bonne année de promotion suivant la sortie du livre. Le soutien financier de la part des institutions publiques s’avère donc fondamental.
Charlotte nous explique que c’est grâce aux talents du Québec que le milieu de l’écriture est riche, dynamique, intéressant et vivant et qu’il faut, bien évidemment, y faire attention et le soutenir. C’est surtout le cas avec la relève! Qu’un artiste ait 18 ou 35 ans, ce sont les cinq premières années de sa carrière qui seront déterminantes et qui lui permettront de tirer son épingle du jeu.
Beaucoup d’auteurs doivent faire face à des défis externes, mais continuent à s’investir pour enrichir la culture québécoise. C’est là où le soutien aux écrivain.e.s est important et se doit d’exister pour éviter la précarisation des artistes. Heureusement, on a la chance d’être dans un pays où les fonds publics financent les artistes et leur travail.
La création à temps plein
Jardin radio est une œuvre intime, unique, mais surtout extrêmement peaufinée. Le roman autobiographique résulte d’un travail de moine : des tonnes de notes et d’heures d’écriture, de travail sur la forme, la structure et le style.
« Mes projets se construisent au départ par petites obsessions, par notes vocales et par images. À un certain moment, la friction entre les morceaux de projet crée de nouvelles idées. Puis il faut choisir, raffiner. C’est très physique comme processus, pour moi, la création. Ça passe beaucoup par la voix. »
Son style d’écriture est à la fois intime et immersif. Dès qu’elle a une piste d’idée, la romancière peut passer des années à analyser son quotidien pour enrichir l’idée en question, telle une collectionneuse de moments et de pensées. Actuellement dans la phase embryonnaire d’un nouveau projet d’écriture, Charlotte suit le même processus : celui de créer en tout temps.
Beaucoup d’auteurs doivent faire face à des défis externes, mais continuent à s’investir pour enrichir la culture québécoise.
La romancière a aussi présentement les deux mains dans son balado, Terrains d’écriture, dans lequel elle s’entretient avec divers écrivain.e.s. sur leurs méthodes de recherche et leurs territoires d’enquête. Un projet qui l’incite à s’installer dans une bulle insonorisée, sans distraction, pour parler de littérature, dans un silence avec lequel elle a maintenant fait la paix.
Par son programme de bourses, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) investit dans l’imaginaire des artistes qui créent des œuvres marquantes, qu’ils soient de la relève ou établis. En 2021-2022, le CALQ a ainsi soutenu plus de 1 700 projets d’artistes tous plus originaux les uns que les autres et de toutes les disciplines, de la musique à la danse en passant par le cirque, les métiers d’art, les arts visuels, le conte, le cinéma et le théâtre. Il est possible de déposer une demande de bourse en tout temps auprès du CALQ.