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Du petit racisme

On a tous des préjugés, même Lysiane Gagnon.

Par
Judith Lussier
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L’autre jour, j’ai fait un rêve. J’avais un coloc, il s’appelait Ahmed, et il se mettait à poser des bombes partout dans l’appartement. Je suis donc allée voir un policier qui, dans mon rêve, était Anne-France Goldwater, mais en homme. Il/Elle ne cessait de me dire «votre coloc s’appelait Ahmed et vous vous étonnez d’avoir Al Quaida dans votre maison?!» Et moi, je ne cessais de répondre «mais je ne suis pas raciste!»

«T’as ces préjugés-là en toi, ça veut dire», m’a dit ma blonde lorsque je lui ai conté mon rêve le lendemain matin. Enfoui quelque part dans mon inconscient, peut-être. Peut-être parce que j’ai grandi dans un milieu tout blanc, peut-être à cause des médias, je ne sais pas. Mais je sais que ce n’est pas tout propre dans ma tête. Ne m’en voulez pas, je me soigne.

Il y a trois ans, je me cherchais un coloc, et j’avais décidé d’afficher mon annonce sur le babillard des étudiants étrangers de l’Université de Montréal, question de faire un peu de discrimination positive. Quand cet étudiant, qui ne s’appelait pas Ahmed, mais presque, m’a dû 3000$, j’ai fait du «tut tut» aux membres de mon entourage qui me disaient qu’il «n’aidait pas sa race», même si, je l’avoue, cette réflexion m’était passée par la tête.

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Il m’arrive d’avoir des pensées racistes, même si je sais que ce n’est pas beau. Même si, rationnellement, je sais que tous les humains sont égaux, ça passe dans mon esprit comme des idées non-chastes. J’y pense, malgré moi, je m’en veux, puis je me convaincs de ne pas généraliser à partir d’une mauvaise expérience personnelle.

Assez consciente de mes préjugés pour les admettre, j’évite généralement d’aborder le sujet du racisme, me concentrant sur ma spécialité à moi, l’homophobie. J’évite même des mots comme «noir», «basané», ou «ethnie». Depuis que quelqu’un m’a expliqué qu’il ne fallait pas dire «mulâtre», j’ai beaucoup trop peur de me mettre les pieds dans les plats en utilisant une expression inadéquate.

Pourtant, je constate que le racisme inconscient est partout. Même dans ma Presse de ce matin.

Il s’agit d’une drôle de forme de racisme, basée, comme tous les racismes, sur des observations personnelles, mais camouflée dans d’étranges compliments, comme pour compenser. En réponse à cette lettre de lecteur pestant contre l’industrie du taxi, la chroniqueuse Lysiane Gagnon explique que les taxis montréalais sont plutôt à son goût. «Une partie du crédit revient aux chauffeurs d’origine haïtienne, dit-elle. Nombreux sont ceux qui sont propriétaires de leur véhicule, et ils l’entretiennent avec soin, en vous offrant en prime une jolie petite musique créole. Ils connaissent bien la ville, ils sont toujours de bonne humeur et très courtois.»

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Ça, c’est gentil. C’est une sorte de racisme positif qui démontre presque un non racisme, de l’ouverture à l’autre, de la reconnaissance qu’il puisse y avoir du bon dans l’étranger. Puis, cette phrase : «Ce n’est pas le cas de tous les chauffeurs immigrés non haïtiens. J’en ai eu un, récemment, qui ne connaissait pas le chemin de la Côte-des-Neiges.»

Bref, selon madame Gagnon, pour comprendre notre système de taxi montréalais, il faut diviser les qualités des chauffeurs par race?

Ce n’est que du tout petit racisme. Ça ne fait presque pas mal. Mais est-ce nécessaire?

Être chroniqueuse à La Presse, j’essaierais de connaître assez mes faiblesses pour éviter de m’emmêler les pieds dans de telles généralisations. De tout façon, les généralisations, de manière générale, c’est assez faible. Ça fait aussi dire à madame Gagnon que le système de taxi à Paris est fabuleux (selon son expérience personnelle toujours) alors que les chiffres démontrent une pénurie flagrante de taxis dans la métropole française. Mais ça, c’est une autre histoire.

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En ces temps d’intimidation, faites quelque chose de positif pour l’humanité aujourd’hui : admettez que vous avez des préjugés, et luttez contre.

Crédit illustration: Vincent Tourigny