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Du jour au lendemain, t’es coupé de ta vie: renaître après un accident de la route

En plus de son grave accident de vélo, Laïma A. Gérald a dû surmonter une toute autre épreuve: la réhabilitation.

Par
Mali Navia
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À l’occasion de la première de l’émission Clash, présentée à Vrak dès le 5 novembre, URBANIA et Vrak s’unissent pour vous faire découvrir la résilience inouïe de Laïma.

Le 9 octobre 2013, Laïma embarque sur son vélo pour se rendre au travail. L’été indien se termine, le temps est clair, les oiseaux chantent. C’est un matin comme tous les autres. Alors qu’elle roule sur la rue Fullum, elle remarque un gros camion derrière elle. Il tente de la dépasser juste avant d’arriver au coin de Mont-Royal. C’est alors que le camion débute un virage à droite alors qu’elle continue tout droit. Il ne la voit pas. Laïma tourne son guidon et s’écrase au sol, le camion lui roule sur la jambe gauche.

Malgré la douleur atroce, elle reste lucide pour la suite des évènements. « Il y avait beaucoup de gens. Les souvenirs sont brouillés. J’étais sur le coin de la rue. Deux hommes sont venus me porter secours. J’espérais perdre connaissance parce que la douleur était très très grande. Ils m’ont aidé. Les ambulanciers sont arrivés et j’ai été transportée à l’hôpital », raconte Laïma. Elle précise qu’elle était prudente et très consciente du camion derrière elle. Ni lui ni elle n’étaient réellement « fautifs ». C’est une histoire d’angle mort.

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Une fois à l’hôpital, elle se fait opérer rapidement pour ses trois fractures ouvertes au tibia et au péroné. « J’ai eu des barres de métal. Ils m’ont réparé comme si j’étais un char dans le fond », dit-elle avec un brin d’humour.

C’est au réveil que la vraie adaptation commence. Le changement de mode de vie s’opère de mille façons différentes en même temps. D’une part, elle est en arrêt de travail, elle ne peut plus marcher jusqu’à ce que sa jambe gauche guérisse. Elle déménage chez sa mère dans le Mile-End. Ensuite, c’est l’immobilité pendant deux mois. Elle dépend d’autrui pour presque tout. Finalement, le plus difficile : elle doit réapprendre à marcher.

Simultanément à sa réadaptation physique, elle consulte une psychologue pour l’aider à surmonter le traumatisme qui peut découler d’un accident comme celui-là. Laïma est une fille de mots, elle intellectualise le processus automatiquement.. Elle travaille fort pour ne pas se laisser emporter par les « mais si…» et pour mettre en mot les changements qui s’opèrent dans son intérieur. Elle est consciente de sa chance, le coup de guidon qui l’a fait tomber lui a sauvé la vie. « J’avais une incompréhension tellement grande du fait que j’étais là, raconte-t-elle, je ne comprenais pas comment je n’étais pas morte. J’étais très consciente, je me suis dit qu’il allait me rentrer dedans et que j’allais mourir ». Ce n’est pas rien de pouvoir mettre un mot sur le geste qui fait que vous êtes encore là.

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La cohérence de soi-même

Les hauts et les bas de la réhabilitation ont eu un impact sur un paquet de trucs au quotidien à commencer par sa relation avec elle-même. C’est d’ailleurs ce qu’elle dirait à quelqu’un sur le point d’affronter un processus de réadaptation physique : « Je dirais vraiment que ça ne sera pas constant. Que si ça va moins bien ce n’est pas nécessairement mauvais signe. Il faut apprivoiser. C’est reculer pour mieux avancer. J’aurais aimé qu’on me dise ça. C’est un bel apprentissage de vie parce que ça s’applique partout. C’est d’être indulgent avec soi-même. J’étais dur avec moi, je ne me pardonnais pas les angoisses, je me fâchais contre moi. Je crois qu’il faut être indulgent par rapport à son rythme. Ce n’est pas linéaire.»

Une expérience comme celle-là, ça dépasse le cliché du moment présent. Ce n’est pas une question d’apprendre à vivre dans le « maintenant » mais plutôt de réaliser qu’on a la perspective nécessaire pour faire continuellement des choix qui sont en cohérence avec la personne qu’on est. «Le moment présent, je sais pas, dit-elle. Je l’étais déjà. Il y a vraiment quelque chose par rapport à l’égo. Du jour au lendemain t’es coupé de ta vie. Mes amies venaient me rendre visite, j’avais une certaine vie sociale. Mais tu réalises que le monde continue de tourner sans toi. T’es remplacée au bureau, tu vois sur Facebook que les évènements se font quand même. Et tu te demandes si tout va être encore là quand tu reviens?»

«Le moment présent, je sais pas, dit-elle. Je l’étais déjà. Il y a vraiment quelque chose par rapport à l’égo. Du jour au lendemain t’es coupé de ta vie. Mes amies venaient me rendre visite, j’avais une certaine vie sociale. Mais tu réalises que le monde continue de tourner sans toi.»

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«Mais ça veut aussi dire que quand j’allais revenir dans le monde, j’allais mieux savoir où aller. Ça revient à plus s’écouter. C’est comme une table rase de ta vie. Je n’ai pas été dans le coma, mais j’étais en retrait. Tu deviens spectatrice. Et du moment où j’ai recommencé à travailler, à voir mes amies, j’avais un rapport au choix qui était vraiment plus sain. Ma perspective avait changé. L’année suivante je suis retournée à l’école, j’ai changé de voie professionnelle. C’était une grande période d’introspection et de réflexion. Le recul donne cette perspective-là sur ton univers et ta place dans ton propre univers. »

Un dialogue entre le corps et l’esprit

Puis il y a le rapport à l’image et au corps. Comment est-ce qu’on se considère en tant que femme quand on marche avec des béquilles pendant huit mois? Laïma raconte qu’une des premières choses qu’elle a dit à ses médecins était «si j’avais su je me serais rasé les jambes», comme quoi on est socialisée jusqu’au bout. « Ça ne m’a pas transformé, dit-elle, ce n’est pas parce que j’ai la chance de pouvoir remarcher que je n’ai plus aucun complexe. Mais j’avoue que ça a changé mon rapport à mes limites physiques plus qu’à mon rapport à l’image. » Elle poursuit, « ce que je trouve fascinant dans un processus de réhabilitation, c’est que c’est vraiment pas quelque chose qui est en progression constante.

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Il y a beaucoup de régression avant de remonter. Quand t’as pas marché pendant tout ce temps-là, tu as développé des atrophies musculaires, ton corps est fucké au complet. Quand tu reprends la marche, d’autres problèmes apparaissent. Tu subis les contrecoups de ton corps qui se remet en marche. Tu focus beaucoup sur la guérison, mais tu te poses des questions qui te ramènes en arrière. Par exemple, est-ce qu’un homme peut me désirer quand même si je marche avec une canne toute ma vie? »

«Quand t’as pas marché pendant tout ce temps-là, tu as développé des atrophies musculaires, ton corps est fucké au complet. Quand tu reprends la marche, d’autres problèmes apparaissent.»

À travers l’histoire qu’elle nous partage, on constate la force des liens entre le psychologique et le physique. Que ce soit le souci d’avoir des jambes fraîchement rasées, le regard d’autrui qui change, le rapport au désir de l’autre, ou la capacité à se lire avec plus d’exactitude, le corps et l’esprit s’adaptent tranquillement à une nouvelle réalité. Heureusement, Laïma ne conserve que des séquelles mineures de son accident, mais elle a dû faire le deuil d’une version d’elle-même, s’adapter à de nouvelles limites et apprendre à voir à travers un nouvel angle pour analyser la vie.

Faire de la limonade avec des citrons, vous dites?

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Personne ne peut prédire comment on réagit lorsqu’on doit réapprendre à fonctionner avec un corps qui nous est soudainement étranger. C’est d’ailleurs sur ce sujet que portera la nouvelle émission Clash, qui sera présentée à Vrak dès le 5 novembre. Cliquez ici pour en savoir plus!