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Voitures japonaises

Du Japon au Québec : les JDM prennent la route

Expliquer l’essor local des petites voitures japonaises.

Par
Jean Bourbeau
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« En 2017, je venais d’avoir des enfants. Je cherchais une minivan, mais je ne voulais rien savoir d’une Dodge Caravan. J’ai fait une recherche et je suis tombé sur une Mitsubishi Delica 4×4. Et ç’a été le déclic », lance Sylvain, le regard pétillant.

Vous les avez sans doute croisées sur la route : ces voitures compactes au look décalé, aux lignes parfois carrées, qui tranchent avec l’esthétique lisse des VUS modernes et des berlines interchangeables. Elles attirent le regard, soulèvent les sourcils. Ce sont les JDM (Japanese Domestic Market), des véhicules conçus à l’origine pour ne jamais quitter le Japon, mais qui égayent aujourd’hui les routes du Québec.

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Loin des standards nord-américains, l’automobile japonaise suit ses propres codes : petites vans 4×4, mini-camions utilitaires à transmission manuelle, volants à droite, gadgets technos inattendus. Une proposition singulière qui séduit un public en pleine croissance, une communauté en quête d’originalité, de mécanique simple, ou peut-être simplement du plaisir discret qu’on ressent à tenir un volant… pas tout à fait comme les autres.

Mais comment ces voitures se retrouvent-elles chez nous? Pourquoi, malgré le temps, semblent-elles presque neuves? Et qui sont ces Québécois qui ont choisi de rouler autrement?

Pour le découvrir, j’ai rencontré deux importateurs et un propriétaire, trois passionnés qui, chacun à leur façon, tracent une nouvelle voie sur nos routes.

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De l’underground à la fin du fun

Pour comprendre la situation actuelle des JDM au Québec, il faut remonter au début des années 2000. À l’époque, ce ne sont pas les voitures complètes qui traversent l’océan, mais leurs entrailles : moteurs, suspensions, mags. Les JDM Shops se multiplient, spécialisés dans les pièces détachées venues du Japon.

« C’était pas rare de voir un Civic ben ordinaire avec un moteur Type R flambant neuf sous le capot », raconte Stéphane Laframboise, fondateur d’Unik Auto Import.

Puis, arrivent les véhicules complets : Skyline, Silvia, Supra. Des bolides exotiques, à conduite à droite, vendus à prix d’ami pour leur puissance. Dans les sous-cultures automobiles, l’engouement est fulgurant… jusqu’au 16 avril 2009, quand un arrêté ministériel vient freiner net l’importation.

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« Au début, les JDM, c’étaient les chars sport », se souvient Sylvain Genest, de Manga Auto Import. « La SAAQ a tiré la sonnette d’alarme à cause des accidents impliquant des volants à droite, sans tenir compte que les conducteurs étaient souvent des gars entre 18 et 25 ans. »

Autrement dit, le problème, ce n’était pas la position du volant, mais l’usager derrière.

Une fenêtre légale bien précise

Depuis 2000, la loi canadienne permet uniquement d’importer un véhicule étranger non conforme aux normes locales s’il a 15 ans ou plus, calculé à partir de sa date de fabrication. Une mesure pensée, entre autres, pour protéger l’industrie automobile nord-américaine.

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Mais au Québec, une nuance importante s’ajoute en 2009 : pour qu’un véhicule à conduite à droite puisse être immatriculé, il doit avoir 25 ans ou plus. Une exigence qui restreint les modèles accessibles, tout en offrant un certain recul historique.

Conséquence : les JDM qui circulent aujourd’hui chez nous sont tous nés au plus tard en 2000. Et ça tombe bien, puisque les années 1995 à 2000 sont considérées par plusieurs comme l’âge d’or de l’automobile japonaise. « On est dedans, là », sourit Stéphane. « On vit les belles années pour des affaires le fun. »

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Retour à la source

Après la mise à l’index des JDM, les plateformes en ligne ont pris le relais des boutiques spécialisées. À partir de 2015, les grands encans japonais, qui centralisent le marché de l’occasion, s’ouvrent davantage au monde. L’accès se démocratise, mais les débuts sont chaotiques : essais, erreurs… et quelques arnaques.

Stéphane se souvient de son premier pari : un mini pick-up Honda Acty. Le véhicule arrive tout croche, avec une bonne couche de rouille en prime. « C’était pas populaire pantoute de se faire venir ce genre de modèle là. » Mais après une première vente en vient une seconde, puis une autre. « On me demandait ma carte d’affaires, je donnais mon numéro griffonné sur un bout de papier. » Très vite, les commandes s’enchaînent. « En 2017, j’en rentrais 10, j’en vendais 12. » Depuis 2019, il carbure à temps plein.

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Il m’explique que le cœur du métier, ce n’est pas tant le flair que la logistique : une montagne de paperasse, de dépôts, de taxes douanières, d’inspections mécaniques, de certificats et de règles à maîtriser. Le tout ponctué d’imprévus : vols, tempêtes, feux de forêt, grèves… sans parler des risques de bris durant le transport, du port japonais à Vancouver, puis en train jusqu’à Montréal. « Tu surfes sur la vague du processus en espérant que tout se passe bien. »

Des perles bien conservées

Au Québec, ce sont les kei trucks, ces mini-camions utilitaires venus du Japon, qui dominent la demande. Agriculteurs, entrepreneurs, trippeux : tous y voient un véhicule compact, fiable, doté d’une boîte arrière et capable de se faufiler à peu près partout. Mais la clientèle s’élargit aussi vers les minivans et les voitures plus singulières, souvent choisies pour leur look ou leur rareté.

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Stéphane importe selon ses coups de cœur. « J’essaie d’avoir des véhicules uniques, avec de la personnalité dans les 20 000 $ et moins. » Son inventaire est restreint, mais soigneusement choisi : des modèles qui sortent du lot, visuellement et mécaniquement. On y trouve des voitures à trois portes, des intérieurs tapissés de cuirette ou de dentelle, des pièces impeccables sous le capot.

L’ambiance à bord? Typique des années 2000 : moins de coussins moelleux, plus de plastique rigide et d’esthétique rétro assumée. Le tout baigné dans ce parfum légèrement plastique qu’on associe aux voitures neuves.

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Ce qui surprend par-dessus tout, c’est l’état exceptionnel de ces véhicules âgés de près de trois décennies. Comment expliquer une telle conservation? La réponse se trouve dans une série de facteurs bien particuliers à la culture et à la géographie japonaises.

Un écosystème automobile unique

D’abord, il y a l’aura de confiance qui entoure les grandes marques japonaises — des constructeurs renommés et appréciés en Amérique du Nord pour leur fiabilité. Ensuite, entre en jeu le shaken, une inspection mécanique obligatoire à effectuer chez le concessionnaire tous les deux ou trois ans. Or, plus un véhicule prend de l’âge, plus cette inspection devient coûteuse. Résultat : de nombreux propriétaires préfèrent se départir d’un véhicule encore en excellent état plutôt que d’en assumer les frais de remise en conformité.

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À cela s’ajoute le climat japonais, généralement plus clément que celui du Québec. Mis à part le Nord, comme à Sapporo (souvent évité par les importateurs), le pays connaît peu de neige. Et surtout, les routes ne sont pas traitées au sel ou au calcium, ce qui protège les carrosseries de la corrosion. Dans les zones côtières, l’air salin peut poser problème, mais la majorité des véhicules proviennent de milieux urbains très denses où ils roulent peu.

« De plus, beaucoup de ces voitures dorment dans des stationnements souterrains », explique Stéphane. Et pour les longs trajets, les Japonais privilégient le TGV. Même si les routes ont la réputation d’être impeccables, la culture de la vitesse n’est pas très ancrée dans les mœurs de conduite et les péages sont souvent dissuasifs : un Tokyo–Osaka ( 500km) peut coûter entre 10 000 et 13 000 yens (90 à 115 $ CAD). Le tout limite considérablement l’usure des véhicules.

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Autre particularité : le relief montagneux du pays a poussé les constructeurs à équiper une grande partie de leurs modèles de traction intégrale. Un avantage non négligeable pour affronter les conditions québécoises.

Il y a aussi cette culture japonaise de l’entretien et du soin. « Là-bas, les gens aiment leurs voitures. Ce sont de vrais chouchouneux : certains gardent même les plastiques de protection sur les sièges pendant des années », dit Stéphane, dont l’entreprise, Unik Auto Import, est établie à Vaudreuil-Dorion.

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Sylvain Genest souligne que, comme partout ailleurs, les Japonais préfèrent rouler dans des véhicules récents. Résultat : les voitures âgées de 25 ans et plus, même en excellent état, ne suscitent plus vraiment d’intérêt au Japon, ce qui en fait des candidates parfaites pour l’exportation.

Un marché d’exportation très bien rodé

Le Japon est aujourd’hui l’un des plus grands exportateurs mondiaux de voitures d’occasion, sinon le principal. Chaque année, plus d’un million de véhicules quittent l’archipel pour l’Afrique, la Russie, l’Océanie, les États-Unis… ou le Québec. Ce commerce est facilité par un vaste réseau d’enchères comme USS, qui fédère la vente de milliers de véhicules chaque semaine.

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Pour les importateurs québécois, cela signifie un accès à une grande variété de modèles dans un état remarquable, inspecté puis noté, souvent à prix compétitif, même après les frais d’importation, de transport et d’homologation. Ajoutez à cela une esthétique vintage assumée, des motorisations qu’on ne trouve pas ici, et vous obtenez un mélange irrésistible pour les amateurs de conduite à contre-courant.

Le Japon compte près de 150 maisons d’enchères spécialisées, qui opèrent principalement entre 8h et 17h, heure locale. Avec le décalage horaire de 13 heures, pour espérer remporter une mise, il vous faudra être réveillé au beau milieu de la nuit. « C’est de la grosse adrénaline à vivre à 4h du matin », glisse Stéphane en riant.

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Entre le moment où un véhicule est acheté et celui où il pose ses roues sur l’asphalte québécois, il faut généralement compter de trois à quatre mois.

Un défi, la conduite à droite?

Pour le vérifier, Stéphane me tend les clés d’une minivan japonaise. Volant à droite, levier de vitesse à gauche, mais les pédales — embrayage, frein, accélérateur — restent dans le même ordre. Très vite, la prise en main devient étonnamment fluide. Seuls les clignotants et les essuie-glaces, inversés, m’ont fait hésiter au début. Mais après quelques virages, tout devient instinctif.

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Puis vient le clou du spectacle : un tour à bord de la Toyota Century de Stéphane, une limousine d’apparat réservée aux empereurs, chefs d’État et autres PDG nippons. Sur la banquette arrière, c’est un autre monde. On enfile des pantoufles, on s’enfonce dans un siège chauffant et vibrant, un rideau électrique nous isole du monde extérieur. Écran, cendrier, silence complet sous le capot : le V12 glisse sur une suspension pneumatique comme une gondole sur l’eau.

Le luxe à la japonaise. Feutré, millimétré. Jusqu’à mes pieds, parfaitement couchés dans l’ouverture du siège avant.

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Du rêve personnel à l’inventaire professionnel

Pour Sylvain Genest, fondateur de Manga Auto Import à Saint-Cyrille-de-Wendover, l’aventure a débuté un peu par hasard, mais surtout par passion. « Après mon premier achat, j’ai eu la piqûre. Je voulais tout acheter, alors j’ai commencé à en importer pour les autres, sans jamais croire que ça deviendrait un jour mon métier. »

Fort d’un bagage en vente, Sylvain commence comme courtier, dénichant des véhicules pour des clients. Puis, en 2023, il franchit un cap : il achète un garage, bâtit une flotte et installe sa propre cour. « Avoir un inventaire, c’est pouvoir voir les voitures de ses yeux. C’est une question de confiance. » À ce jour, il estime avoir importé près de 1000 véhicules japonais.

Sur son terrain, c’est un véritable inventaire de curiosités roulantes : kei trucks, minivans, petits pick-ups, voitures à siège unique, coupés aux portes papillons. Si, au départ, la clientèle était composée presque exclusivement de passionnés, Sylvain observe aujourd’hui une véritable diversification. « Ça va de 86 à 15 ans, même avant le permis! Hier, j’ai livré une petite van Honda à un monsieur de 80 ans qui veut faire du van life. D’autres, c’est pour aller faire du vélo, du jardinage. »

Le branding en mode japonais

Pierre-Édouard Perron et sa copine sont derrière Intrus, un cidre artisanal bien établi au Québec. En quête d’un pick-up pour leurs opérations, il tombe par hasard sur un petit camion de pompier japonais, rouge vif.

« Il faut être un peu débrouillard pour l’entretien et c’est pas le gros luxe à l’intérieur, mais ça va super bien, même avec nos hivers. Et côté notoriété de marque, c’est imbattable », lance-t-il, le véhicule désormais étiqueté au nom de sa cidrerie.

Résultat? Le camion fait tourner les têtes partout où il passe. « Au final, je suis vraiment content. »

Une seconde vie bien méritée

Une question demeure en suspens : les voitures d’aujourd’hui connaîtront-elles un jour la même seconde vie que ces JDM? Rien n’est moins sûr. Dans un marché de plus en plus dicté par les tendances nord-américaines, les manufacturiers semblent s’éloigner des petites voitures pourtant longtemps appréciées au Québec.

Rouler dans une JDM, c’est aussi un petit geste écologique : c’est donner 15 ou 20 ans de plus à une voiture encore fonctionnelle, plutôt que de suivre le cycle infernal de l’obsolescence programmée.

Oui, il faut de la maintenance. Mais ce n’est pas de la mécanique opaque et électronique comme celle d’aujourd’hui. « C’est du simple, un ratchet, des tournevis. Pas besoin d’un ordinateur de bord ou d’un technicien de chez le constructeur pour réparer un clignotant », explique Sylvain.

Le phénomène reste marginal, mais il grandit. Le vrai défi? Faire savoir que ça existe. Parce qu’une fois qu’on essaie, qu’on s’assoie dans une minivan japonaise ou un kei truck bien conservé, c’est souvent le coup de foudre. Et ça, des clients de partout au Québec peuvent en témoigner.