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Du Coke en bouteille
Je suis né en 1991. Dans les années 90, on était moins au courant ou à l’écoute de ce qui était bon ou pas pour la santé qu’on l’est aujourd’hui. À l’époque, le gluten, c’était comme Donald Trump, on ne savait pas que ça allait devenir aussi populaire et ruiner nos conversations.
J’avais 7 ou 8 ans. Jeune garçon frêle à la coiffure dite « Longueuil ». Je portais des longs bas blancs tirés très haut, des souliers de course attachés bien serrés, des shorts un peu courts, un chandail trop grand, une casquette de l’Avalanche du Colorado « par en arrière », les coudes et les genoux constamment éraflés. Si je devais résumer mon enfance en un mot, ce serait « peroxyde ». Sur les photos, je souriais largement pour montrer mes dents manquantes. Ma vie se résumait au hockey. Sur glace, bottine, roller, mini, air, au Nintendo64, les cartes. Encore à ce jour, après des milliers de lavages, mes mains sentent un peu le gant de hockey tant j’ai joué. Je vais être franc avec toi : c’est une de mes odeurs favorites.
J’aimais plus le hockey que le film Space Jam et les Roul-O-Fruits. Ce n’est pas peu dire.
Je suis Benjamin Button, mais de la personnalité : plus je vieillis, moins je suis un adulte dans mes actions.
J’étais un enfant respectueux et tranquille. Voire plate. Je n’aimais pas me salir et portais une montre alors que je ne savais pas lire l’heure. Je me levais, faisais mon lit, mettais ma robe de chambre et mes pantoufles à semelles dures et j’allais me faire à déjeuner. Ça fait quatre ans que j’habite en appartement, je n’ai fait mon lit que lorsque ma mère est venue chez moi et j’ai la même pinte de lait vide dans le frigo que j’ai bu lors de mon déménagement. Mon pyjama est mon corps nu et mes pantoufles, la corne sous mes pieds. Je suis Benjamin Button, mais de la personnalité : plus je vieillis, moins je suis un adulte dans mes actions.
J’étais attiré par toutes les choses interdites : jouer dans la rue, écouter les Simpson, me coucher tard (par tard, je veux dire 21 h) et, l’ultime chose proscrite : boire du Coke. Le Coca-Cola était mon Saint-Graal. Je le désirais sans même savoir ce qu’il goûtait. Il me semblait à la fois inaccessible puisqu’interdit par mes parents, et toujours à portée de main dans le frigidaire du garage. Quelle agace cette canette rouge.
Mes parents, mes sœurs, ma grand-mère Mémé et moi passions nos étés au chalet à Saint-Gabriel-de-Brandon autour du lac Lamarre, petit lac sympathique où le roi était le pédalo et la rumeur disait qu’il y avait un seul et unique brochet dans le lac. C’était notre monstre du Loch Ness à nous.
Les canettes de Coke étaient beaucoup plus populaires à l’époque. YouTube n’existait pas encore. On n’avait pas vu les clous rouillés sortir du verre de Cola comme neuf, les drains de douche se débouchés sous son sort, les carrés de sucre qu’il contenait. Nous avions seulement vu les pubs nous le vanter, dont celle avec Nabi dedans. Nabi qu’on aimait autant que Space Jam et les Roul-O-Fruits. Les pubs de Pepsi étaient assurées par Claude Meunier. Sorry Pôpa. Nabi recevait Sum41 et Avril Lavigne à Plus sur commande, t’avais aucune chance.
Il faisait extrêmement beau dehors. Ma grand-mère et moi étions toujours les deux premiers debout au chalet. On se rejoignait au réveil sur la chaise berçante sur le patio derrière le chalet. Mémé faisait ses mots fléchés. Je lisais Harry Potter. Nous pouvions rester côte à côte en silence pendant des heures.
J’adorais ces moments avec ma grand-mère. C’est ça l’amour : être bien ensemble même en silence.
Arrive l’heure du souper et ma mère sort la seule chose que je trouvais aussi belle qu’un bâton de hockey one piece Synergie : du Coke en bouteille. COMME DANS LES ANNONCES! En bouteille, c’est tellement plus beau. On dirait que le coke est en tuxedo et s’en va à son bal.
Ma grand-mère me voit fondre à la vue de la bouteille que ma mère a déposée sous mes yeux, ouverte avec une paille qui se déplie au bout, qui fait un son vraiment plaisant quand on le fait et me dit : « Prends-le » le glissant devant moi.
Je n’y croyais pas. Il était réellement accessible, juste là, sous mes papilles gustatives vierges et naïves. En bon enfant que j’étais, j’ai dit à Mémé : « Je ne peux pas, Maman ne veut pas » en repoussant la bouteille vers ma grand-mère, déçu, mais fier de ne pas avoir succombé. Mémé de repousser la bouteille vers moi en disant : « C’est moi la mère de Maman. Tu peux boire le Coke. »
Je me rappellerai toujours de la première gorgée. J’étais soudainement dans l’annonce. Le doux nectar sucré à souhait glissant dans mon corps comme du Félix Félicis. Tout me semblait possible. Je ne croyais pas que c’était possible, mais il me semblait faire encore plus beau.
J’aimais déjà Mémé beaucoup plus que Space Jam et les Roul-O-Fruits, mais à ce moment-là, je l’ai aimée encore plus que j’aimais le Coke.