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Du backpacking au staycation: est-ce que le nomadisme disparaît avec l’âge?
Il fut un temps où tout ce que je voulais faire c’était partir. Toutes les raisons étaient bonnes : stage à l’étranger, échange étudiant, visiter de la famille ailleurs, etc. Parfois je voyageais d’une ville à l’autre, parfois je m’installais, mais je voulais toujours tout voir. Je comptais mes cennes pour m’acheter des billets d’avion, je n’avais aucune économie et je l’assumais. Toute ma vie tournait autour de ma prochaine possibilité de fuite et j’étais certaine d’être une vraie nomade dans l’âme. Une de celles qui ne se contenteraient pas de la vie, que je trouvais « ordinaire » du haut de mes 20 ans.
Faux.
J’ai fini par avoir envie de me coller à mes racines au lieu de les éparpiller partout dans le monde.
Le voyage et ses petits deuils
Les voyages sont une série de deuils, de parcelles d’âme perdues qu’on laisse ici et là avec des gens qu’on a aimés très fort pour quelques jours. Ils sont formés de rencontres qui transpercent et qui font voir la vie tellement, mais tellement claire qu’on croit avoir tout compris.
C’est dur de partir, c’est dur de revenir et le temps n’arrange pas les choses.
Ce sont des souvenirs précieux et difficiles à partager avec ceux qui n’étaient pas là. Au retour, ça frappe. On n’est plus sur la même longueur d’onde que les autres. C’est d’ailleurs une grande partie de ce qui rend le voyage aussi spécial, des moments exclusifs, extérieurs à notre propre monde. Des moments magiques, des épiphanies créées par des étoiles qui s’alignent quelque part et qui arrivent sans crier gare.
C’est dur de partir, c’est dur de revenir et le temps n’arrange pas les choses. À 20 ans, on revient et rien n’a changé. L’immobilisme de notre pays d’origine nous fend en deux, on crave le mouvement. À 30, on revient et tout a changé. Des bébés naissent, des gens qu’on aime vieillissent, les deuils deviennent plus gros d’un côté comme de l’autre. C’est comme si on développait une nouvelle conscience du temps qui passe.
L’antidote de la fuite
L’appel du retour définitif, je l’ai eu après un énième voyage en solo au Mexique entre Noël et le jour de l’an 2016. C’était le voyage de trop. Il y avait trop de monde, trop de fêtes, trop d’alcool, trop de gens qui font l’amour sans pudeur dans des dortoirs de huit personnes, trop de discussions insipides entre voyageurs qui se sentent seuls et trop peu de connexions qui transcendent. J’ai étouffé alors que j’étais ailleurs.
J’étais habitée par de nouvelles envies que j’avais de la misère à formuler. Celle d’avoir un « chez-moi » qui me ressemble, d’avoir un peu de « stabilité ». M’avouer ce nouveau besoin a été un long processus parce que je me définissais comme celle qui n’avait jamais peur de partir. La fille qui part vivre en Australie avec un Australien qu’elle a rencontré à Madrid? Ça devait être moi. Mais non, j’ai eu envie de « stabilité » et pour ça, il a fallu que j’arrête de fuir ma propre vie.
Parce que oui, le voyage était ma fuite. Je fuyais une vie que j’avais peur de ne pas vouloir, une routine de laquelle je ne voulais pas être prisonnière. Ça me semble être une peur très commune dans la vingtaine ou du moins une remise en question populaires chez les jeunes occidentaux privilégiés : parfois, quand on a trop de choix, on finit par croire qu’on n’en a pas du tout. Loin de moi l’idée de sonner moralisatrice, bien au contraire : la fascination du « ailleurs » est peut-être un passage obligé quand on en a les moyens.
Sept ans de « pseudo-stabilité » et le monde qui change vite
Je m’apprête à partir vivre en Belgique pour l’année qui suit. Contradictoire? Oui et non. En y réfléchissant, c’est un départ totalement différent. Je le fais à deux, avec mon amoureux, j’amène une partie de mes racines avec moi et ça fait toute la différence du monde.
Si j’étais seule, je partirais écrire mon mémoire en Gaspésie ou en Colombie, pas trop loin de ceux que j’aime. Je partirais pour un mois, pas pour huit. Pas parce que j’ai peur de partir, mais parce que je n’en ai plus besoin. J’ai encore envie de voyager, mais ce n’est plus un désir viscéral.
C’est un méga first world problem de dire que je me sens coupable de prendre l’avion, mais c’est quand même vrai.
En planifiant tous les voyages à venir, on a eu maintes discussions sur l’état du monde. C’est un méga first world problem de dire que je me sens coupable de prendre l’avion, mais c’est quand même vrai. Il y a sept ans, soit la dernière fois que j’habitais dans une ville desservie par des avions moins chers qu’un billet de la STM, l’environnement n’était pas autant une préoccupation. On recyclait, on prenait le transport en commun, mais les efforts pour sauver l’humanité s’arrêtaient souvent là. Aujourd’hui, nous sommes dans un autre paradigme.
Mais ça tombe bien, à 30 ans, il va y en avoir des escapades de week-end, mais pas autant qu’à 23 ans. Ma pseudo-stabilité (je suis quand même une pigiste sans domicile fixe à l’heure où j’écris ces lignes), je vais la vouloir même à l’autre bout du monde parce que j’ai appris à l’aimer, parce que c’est d’elle dont j’ai besoin.
Partir sans partir
On se l’est dit lui et moi : « après ces huit mois, ça va être beaucoup de staycations ». Les staycations sont très tendance à l’heure actuelle étant donné la fin du monde imminente et un rythme de vie qui fait que nos vacances nous épuisent plus qu’autre chose. Ce n’est même pas une question d’argent.
Dans mon cas, c’est un peu la faute de l’environnement, mais surtout la faute de mes racines et de la vie avance vite. Je me surprends à regarder mon « chez-moi » comme je regardais ce qui m’était étranger.
Mettre sa vie sur pause pendant huit mois vient avec son lot d’angoisses et de grandes joies. Je suis fière de pouvoir le faire, d’oser le faire, mais je suis encore plus fière de dire que pour la première fois, je ne suis pas en fuite.
J’ai hâte de partir autant que j’ai hâte de revenir.