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Douze heures de bénévolat en CHSLD : témoignage de l’intérieur sur une situation insoutenable
Marie-Michelle Funk est de celles qui ont tenu à aller prêter main-forte en CHSLD comme bénévole. Elle a partagé sur Facebook un témoignage troublant sur son expérience, nous le publions avec son autorisation.
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Je suis allée en CHSLD, je suis allée donner un coup de main pendant les seuls jours que je pouvais, ceux où mon chum est en congé pour s’occuper de mon bébé. J’ai mis ma jaquette, mon masque, ma visière, mes gants, mon sticker de bénévole. Non je suis pas infirmière, mais j’ai des bras, des jambes et je suis débrouillarde. Je suis là, alors qu’il y a personne. Ma mère y travaille en renfort officiel, elle m’emmène avec elle parce qu’elle voit ben que c’est pas croyable.
Je suis pas infirmière, mais j’ai des bras, des jambes et je suis débrouillarde. Je suis là, alors qu’il y a personne. Ma mère y travaille en renfort officiel, elle m’emmène avec elle parce qu’elle voit ben que c’est pas croyable.
Tout est tout croche, y’a pas assez de gestionnaires, tu arrives pour ton “shift” et tu cherches 30-45 min juste à essayer de savoir à quel département tu es affecté. Tu appelles tous les postes que tu entends qu’il y a quelqu’un qui répond des fois, 17? 19? 26? 20? Y’a tu quelqu’un qui sait ce qui se passe? Quelqu’un qui est en charge ici? Ils font de leur mieux, il y a juste trop de feux à éteindre.
On finit par s’affairer, on a 40 patients pour une infirmière auxiliaire, une préposée pis moi, l’éducatrice qui peut pas faire grand-chose, qui sait pas faire grand-chose. J’observe, j ’aide, j’écoute, je discute. J’prends des initiatives, j’essaie d’aider. Woups pu de jaquette, ok j’y vais. Je courraille, je me perds. Je me coince derrière une porte à code, j’ai pas le code.
Woups Mme Unetelle voudrait ses pilules pour l’anxiété, personne sait où y sont. Ok j’y vais, courraille, va voir Josée, elle a aucune idée. Ok, cherche, couraille, trouve pas. Je m’excuse Madame Unetelle, j’ai vraiment essayé.
Pourquoi on a les médicaments de Monsieur Chose? Oh son infirmière doit les chercher partout. Ok j’y vais, cherche, couraille, cherche couraille.
“madaaaammmme…….madammeeeeee???” Je peux pas ignorer cette dame qui a entendu mes pas. “J’ai soif madame, tellement soif”. Ok. Je suis là. C’est une chambre covid, je vérifie dans son dossier si elle a droit de boire de l’eau, je me protège, j’y donne de l’eau. Je sors, déshabille, change de masque, change de gants, lave les mains. Qu’est-ce que je faisais dont?
“Si jamais tu as le temps on a une dame au 673 qui a besoin d’être nourrie.” Oh, ok. Je suis pas dans mon département mais ok, je veux pas qu’elle ait faim. Je suis là, on va prendre le temps.
Je dis bonjour à tout le monde, pas juste avec mon sourire parce qu’on voit pas ma bouche. J’ai chaud, j’ai mal aux pieds, mal à tête. J’ai juste dormi 4 heures la nuit passée…
Faudrait peut-être qu’on soupe? Oh Monsieur Chosebine va vraiment pas bien, faudrait vraiment le dire à quelqu’un. 17? 19? 45? 26? C’est qui la coordo? Y’en a pas… On appelle-tu celle d’hier sur son cell? On sait pu qui appeler. Jean-Pierre, un gars de l’entretien, fait le messager pour l’infirmière des soins, il va aller lui dire. Enfin quelqu’un qui répond. On va se souvenir de son poste.
“Madame? Viens ici?” Elle fixe son téléphone, me demande de le réparer…. Ok je vais regarder ça, check les fils, woups le câble est débranché, c’était juste ça, le tannant de fil gris. “Oh madame vous êtes un amour, c’est quoi votre petit nom? Marie Lissa? Oh merci merci Marie-Lissa” Ok, je vais être Marie-Lissa pour quelques minutes.
Ça sent l’urine, le désinfectant, les gens me crient après dès qu’ils entendent mes pas, ils en entendent pas souvent. Ils écoutent tous les nouvelles toute la journée, le son à 72 parce que leurs oreilles leur font défaut. J ’entends à la télé “La situation dans les CHSLD est sous contrôle” C’est vrai?
Le téléphone de notre station sonne, je réponds. Une fille de patiente en pleurs, elle veut des nouvelles de sa maman. Pourquoi elle me parle à moi, je sais pas. Sûrement que je suis la seule qui a répondu. Je prends son message en note, je cherche l’infirmière de sa maman.
Les préposés sont dépassées, trop peu nombreuses. Les procédures d’hygiène prennent le bord, leur voix s’éteint. Elle a travaillé 4x 16hrs par jour dans la dernière semaine. Elle est brûlée. Quand je vais lui dire que Monsieur dans la 913 voudrait aller à la toilette, elle me roule les yeux.
Elle a travaillé 4x 16hrs par jour dans la dernière semaine. Elle est brûlée. Quand je vais lui dire que Monsieur dans la 913 voudrait aller à la toilette, elle me roule les yeux.
Des fois, la seule personne sur l’étage c’est une Chiro. Elle a jamais changé de culotte de sa vie, elle rentre dans sa première chambre, Monsieur a enlevé sa culotte (sûrement tellement inconfortable depuis des heures) et il y a des excréments partout. Elle y va, fait de son mieux, nettoie le monsieur, nettoie le plancher à la débarbouillette, aucune idée elle est où la moppe. Monsieur est propre, Ok, prochaine chambre a besoin d’insuline, qu’est-ce que je fais avec ça?
J’en suis traumatisée, je peux pas croire que ça arrive ici au Québec. J’ai le cul en dessous du bras, j’ai fait 8 heures samedi, 4 heures dimanche. Je ne peux même pas m’imaginer ceux qui vivent comme ça depuis des semaines. J’ai envie de pleurer, j’ai envie de crier.
Elle est où l’armée dont? Ils sont où les médecins qui s’en venaient? Je sais pas, pas ici entk.
C’est terrible…c’est terrible….. C’est terrible….
EDIT : Je suis mal à l’aise avec vos merci et vos bravo… J’ai bénévolé 12 heures, j’ai fait de mon mieux mais j’ai pas sauvé le monde… Les professionnels qui font des shifts, des doubles, qui aident pour vrai, qui donnent des médicaments, qui changent des culottes, qui rentrent travailler, qui répondent aux questions, ce sont elles les héroïnes. Elles ont pas le temps d’écrire sur Facebook, pas le temps de faire des entrevues aux nouvelles, je sais même pas si elles ont le temps de faire leur épicerie et leur lavage. Si vous en connaissez, des travailleurs de la santé, envoyez-leur vos mercis et vos bravos, c’est elles (et eux) qui les méritent.