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D’où ça sort, les Furries?

Malgré son omniprésence en ligne, on se trompe encore beaucoup au sujet de cette communauté.

Par
Billy Eff
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« Est-ce qu’il y a un trou pour que vous puissiez aller aux toilettes? Vous portez des couches? »

Sur la terrasse arrière du Palais des congrès de Québec, un tigre s’allume une cigarette. Un cheval flatte un loup, des chiens se montrent des photos de leurs chats.

C’est le ComicCon de Québec, et une cinquantaine de Furries venus des quatre coins de la province (et d’ailleurs) sont réunis. Les enfants et leurs parents s’arrêtent pour prendre des photos avec eux. Souvent, ils passent de longs moments à répondre aux nombreuses questions des gens. « Comment vous respirez, là-dedans? »

C’est une communauté à laquelle je ne connaissais rien. Mais récemment, on a eu la chance de passer quelques jours en compagnie de Furries pour mieux comprendre qui, au juste, forme cette communauté. Mais, pour la plupart de ceux qu’on a rencontrés, être furry est simplement un fait; c’est une communauté qu’ils ont rejoint par intérêts communs, sans forcément se questionner sur les origines du fandom.

Ce qui fait que pour plusieurs d’entre nous, la question se pose encore: WTF, les Furries? Pourquoi sont-ils tant marginalisés, même dans les communautés marginalisées? Dur à dire.

Je simplifie, mais pour la vaste majorité, les Furries sont juste des nerds, au même titre que votre cousin qui est obsédé par Star Wars ou votre collègue qui est admin sur un forum de fan-fictions de 19-2.

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Ils ont leur univers, leur lore, leur communauté. Beaucoup des critiques qui leur sont adressées proviennent de gens de l’extrême-droite, ou qui ont une mauvaise compréhension d’en quoi consiste cette communauté. Mais, au fond, c’est comme faire du GN ou jouer à DnD.

Ça commence avec Bugs

On retrace les origines du furry fandom en partie à Bugs Bunny et sa cohorte d’animaux de basse-cour anthropomorphiques (un terme très utilisé dans la communauté, et qui veut tout simplement dire ‘entre humain et animal’). À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, tous les enfants en Amérique du Nord côtoient de manière presque quotidienne ces personnages d’animaux. Ceux-ci se mettent alors à pulluler, pour nous vendre des céréales et du savon, mais aussi pour rappeler aux enfants quoi faire .

Ceux qui n’ont pas de télé ont toujours les comics, avec des personnages comme Batman et Superman qui gagnent en importance. Distribuées selon le modèle des magazines, ces bandes dessinées sont envoyées par la poste partout en Amérique du Nord et se multiplient à un rythme effréné.

C’est alors que naissent les underground comix. Oui, avec un X, et je vous laisse deviner pourquoi!

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La pornographie est alors carrément taboue aux États-Unis, et l’est aussi presque partout à travers le monde. Toutefois, des artistes questionnent le statut quo: si les scènes ‘érotiques’ impliquent, par exemple, deux chats anthropomorphes, est-ce que c’est vraiment du porno? Apparemment, pas aux yeux de la loi, car Omaha the Cat Dancer, une série de bandes dessinées auto-publiées mettant en vedette un couple de chats à l’apparence humaine, et dans lesquels on peut les voir en plein coït de façon assez explicite, est un franc succès auprès d’un certain public. La mode des cartoons d’animaux anthropomorphiques continue, et les comix deviennent de plus en plus explicite.

C’est par la suite, dans les années 80, que le terme furry fandom se popularise, alors que les conventions d’amateurs de science-fiction se multiplient.

Trouver sa communauté en ligne…

C’est en 1990 que ConFurence, la première convention entièrement dédiée au fandom, est tenue à Costa Mesa en Californie. Des gens qui y participent commencent à créer leurs propres fursonas, des alters egos anthropomorphes, qui sont souvent une version quelque peu idéalisée ou fantasmée de la personne qui se trouve derrière (ou à l’intérieur). En plus, certains créent également des costumes à l’effigie de leurs fursonas, et ça devient tranquillement la norme.

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Avec l’arrivée d’Internet, des forums spécialisés voient le jour, comme Fur.com ou encore FurryMUCK, et c’est là que se développe la communauté des furries telle qu’on la connaît aujourd’hui, sur le web et dans l’imaginaire collectif. MSN, MySpace et al., sans compter les forums de gaming, ne feront que propulser le mouvement.

Au fil des années, la communauté s’est structurée, notamment grâce à l’émergence de ces fameux forums en ligne. Aujourd’hui, on estime à quelques millions le nombre de personnes s’identifiant comme membre de la communauté du furry fandom à travers le monde.

Bien que stéréotypée, cette culture ne revêt pas toujours un caractère sexuel pour la majorité de ses membres et ce, malgré ses origines dans les bds lubriques.

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Les motivations sont multiples : certains apprécient simplement l’esthétique et la personnalité des personnages animaliers, alors que d’autres trouvent dans ces univers un refuge leur permettant de s’exprimer librement. Quoi qu’il en soit, la furry fandom est un espace où l’on célèbre la créativité et l’imagination débridée.

Et se trouver soi-même!

Une étude menée dans les années 2000 démontre entre autres que les œuvres allégoriques, surtout de science fiction ou de nature fantastique, ont une place importante dans le fandom. De plus, lorsqu’on les comparait à un groupe-test de non-furries, on remarque une proportion démesurée de membres du furry fandom pour qui les cartoons avaient une plus grande importance que chez les autres, particulièrement dans leur enfance. Cela explique entre autres qu’un membre de la communauté sur quatre s’identifie comme étant un brony, c’est-à-dire un garçon qui entretient une passion pour My Little Pony.

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Si je vous parle de cette communauté au masculin, c’est surtout parce qu’on trouve relativement peu de femmes chez les Furries. Un sondage mené en 2020 rapporte que seulement 10% de la communauté s’identifie en tant que femme. Leur approche au genre et à la sexualité étant généralement beaucoup plus fluide que dans le reste de la société, on recense un nombre élevé de membres de la communauté LGBTQ2S+. 12% des Furries s’identifient comme étant trans, et plus de membres s’identifient comme étant asexuels que straight.

La plupart des membres avec qui je me suis entretenu me confiaient avoir découvert les furries à travers des forums de jeux vidéo et avoir été tout de suite attiré par l’esthétique des fursonas, et se sont de fil en aiguille retrouvés sur des forums spécialisés. Une forte majorité d’entre eux rapportent avoir eu des enfances assez solitaires; ces communautés en ligne représentaient pour eux un échappatoire, un safe space. Grâce aux amis qu’ils se sont faits en ligne sur ces forums, disent-ils, ils ont pu accepter leur identité queer, avec l’aide dénuée de jugement des gens qui sont déjà passés par là.

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L’acceptation radicale

Pour tous ceux avec qui on s’est entretenus, en tout cas, c’est ce sentiment de communauté qui les a attiré avant tout. Plus que dans plusieurs autres communautés et fandoms, et j’en ai personnellement été témoin, la communauté des Furries met l’emphase sur l’acceptation de soi.

Peu importe qui vous êtes, vous serez acceptés dans la communauté, tant que vous entretenez le même ethos de bienveillance.

En plus de voir la communauté queer surreprésentée, on trouve aussi chez les Furries un nombre élevé de gens neurodivergents, soit près de 15% des répondants. Il faut dire que pour une personne sur le spectre de l’autisme, un environnement aussi doux, acceptant et libéré des contraintes rigides de la société “humaine”, ça peut être beaucoup plus propice aux échanges. De plus, les interactions des furries se passent majoritairement en ligne et derrière un genre d’anonymat, grâce à son fursona. Pour quelqu’un qui trouve difficile de trouver sa place ou son identité en société, il peut être plus simple de puiser dans son énergie animale, et les instincts qui viennent avec.

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Malgré cela, entre des épisodes de CSI les dépeignant comme étant des dépravés sexuels et louches et des médias qui poussent de fausses nouvelles, comme celle voulant que des écoles secondaires aient mis des litières pour accommoder les étudiants furries, la communauté a plutôt mauvaise presse. C’est vrai que de passer son temps libre à faire semblant d’être un animal aux pouvoirs spéciaux, ce n’est pas le comportement auquel on s’attend d’un humain (même si c’est un peu ça, être un humain). Mais, en même temps, il y a des passe-temps pas mal plus weird et beaucoup moins positifs pour la société que les Furries. Genre ça.

De plus, seulement 15% des Furries possèdent un fursuit, ce fameux costume qu’on s’imagine tous quand il est question de ce fandom.

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Évidemment, l’éléphant dans la pièce est aussi un sujet très contentieux dans la communauté: la zoophilie. Pour beaucoup des anti-Furries, c’est tout simplement une paraphilie et les Furries sont tous des zoophiles. C’est pourtant bien loin d’être la vérité, bien qu’il soit vrai que certains furries sont aussi zoophiles. (À noter une différence entre zoophilie et bestialité, l’un décrivant une attirance sexuelle, et l’autre, un acte.) Mais la forte majorité des Furries avec qui j’ai pu m’entretenir aiment beaucoup trop les animaux pour leur faire du mal, et voient la zoophilie pour ce que c’est, une réelle paraphilie.

En tout cas, c’est un sujet qui fascine, à tel point qu’on étudie le phénomène de façon scientifique. Le Projet International de Recherche Anthropomorphique, alias FurScience, est un groupe formé par des chercheurs d’universités canadiennes et américaines, qui a pour but de se pencher sur l’étude sociologique des Furries. Avec un peu de chance, leurs trouvailles pourront remettre les pendules à l’heure et légitimer le fandom auprès de la culture mainstream.

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