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Donzelle, Joël Martel et Jean-François Provençal nous parlent des «années Myspace»

« C’était la plateforme la plus facile à utiliser pour promouvoir ta musique. »

Par
Estelle Grignon
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On a appris cette semaine que toutes les chansons qui avaient été publiées sur Myspace de 2003 à 2015 ont disparu. Kaputt. Finies. Désintégrées. Tout a été perdu dans une migration de serveurs botchée.

Et pourtant, ce qui est le plus triste ce n’est pas juste la perte de tous ces projets de chambre. C’est le fait que celle-ci soit survenue il y a de cela des mois, sans que personne ne s’en rende compte. Selon le magazine Rolling Stone, l’incident serait arrivé il y a de cela un an déjà. Mais comme personne ne s’est connecté sur Myspace depuis 2011, personne ne l’a réalisé avant.

C’est un peu surréaliste parce qu’à une époque pas si lointaine, Myspace était en train de créer rien de moins qu’une révolution dans le monde de la musique. À l’international, des artistes comme Arctic Monkeys, Lily Allen, Tyler, the Creator ou Sean Kingston se sont d’abord fait connaître via la plateforme. L’impact du réseau s’est aussi fait sentir jusqu’au Québec, où il a permis de lancer la carrière de quelques élus en plus d’offrir des opportunités nouvelles pour plusieurs artistes.

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Rendre la musique accessible

Déjà, il faut se remettre en contexte : au milieu des années 2000, on vivait dans une ère pré-Soundcloud, pré-Bandcamp. Pour Joël Martel, qui était alors actif avec son projet Les patates impossibles, l’arrivée d’une plateforme où on pouvait partager ses propres chansons était une bénédiction.

« Je produisais une toune pis la seule façon de la faire entendre par du monde c’était de la graver sur un disque pis de faire le tour de mes amis pour les écœurer à leur faire écouter pour qu’ils me disent qu’ils trouvaient ça moyen, explique-t-il. Là avec Myspace, du jour au lendemain, tu sortais une track pis deux heures plus tard, tu as du monde à qui t’as jamais parlé de ta vie à Montréal ou à Québec qui écoutait ton stock. »

Même son de cloche chez Donzelle, qui connaissait ses premiers succès vers la fin de la décennie 2000. « C’était la plateforme la plus facile à utiliser pour promouvoir ta musique. C’était gratuit, c’était nouveau, tu avais pas besoin de faire un site web. »

Avec Myspace, il était désormais possible de rejoindre des auditeurs potentiels partout où internet se rendait. Pour Jérôme Rocipon, le succès de son ancien group Numéro# est directement lié à sa présence sur la plateforme. « C’est vraiment grâce à ça qu’on a ensuite été contacté par des gens de l’industrie. »

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« Moi j’étais un gestionnaire de communauté avant l’heure sur cette plateforme-là parce que c’était un lien direct avec les gens qui nous écoutaient à l’époque. C’est vraiment la plateforme où on a commencé à partager nos premières maquettes, nos premiers morceaux… »

De toutes les étiquettes de disques au Québec, Dare to Care — avec sa petite sœur Grosse boîte — est probablement celle qui a su profiter le plus du boom de Myspace. C’est grâce à MySpace que la boîte a réussi à dénicher des talents bruts comme Cœur de Pirate.

Ce rapport entre les membres de Myspace était unique.

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« Je la connaissais déjà, mais j’ai vraiment écouté sa musique pour la première fois sur son Myspace, explique le directeur artistique et président Éli Bissonnette. C’est là que je me suis dit “ok, wow!” Je lui ai écrit pour cette raison-là. Si elle avait pas eu un Myspace peut-être qu’elle nous aurait envoyé un démo éventuellement, mais le Myspace a fait en sorte que ça nous a connecté. »

Un réseau (vraiment) social

Ce rapport entre les membres de Myspace était unique. Ainsi, le contact entre le musicien et son auditoire était beaucoup plus intime selon plusieurs. Jean-François Provençal, qui pilotait alors le projet culte Grosse Distorsion, a rencontré Joël Martel de cette façon. « J’aimais tellement Les patates impossibles que je lui ai fait un clip [pour la chanson Grippe], raconte-t-il. Je l’ai rencontré à un de ses shows au Divan Orange. C’était bien avant les Appendices. »

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Pour d’autres artistes, Myspace était l’occasion de briser les barrières du Québec. Pour Roxanne Arsenault, la page Myspace de son projet Donzelle lui a permis de faire des rencontres incroyables. C’est ainsi qu’elle a réussi à tisser des liens avec l’artiste sud-africain Spoek Mathambo. « Je lui avais écrit pis il était full d’accord qu’on fasse une toune ensemble. On a fait une toune avec Djedjotronic qui est un Parisien de musique électronique. Ça, cette connexion-là, aujourd’hui, se produit pas de façon aussi organique sur Facebook. »

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Au bout du fil, elle raconte avoir réussi à amener son projet jusqu’au Brésil grâce à ses connexions Myspace. « Je pense que j’avais juste loué une chambre à Rio et toutes les autres places [où je dormais] c’était via des contacts Myspace. Ça m’a permis de payer genre 5 % de logement en trois semaines pour mon voyage parce que j’avais connecté avec des personnes comme ça. »

Beaucoup de souvenirs, peu de nostalgie

Malgré toutes ses belles histoires et péripéties, les artistes sondés ne s’ennuient pas trop de la plateforme. « C’était un peu comme un bateau qui était sans capitaine dans l’océan », image Jérôme Rocipon.

« L’internet c’est éphémère, répond Jean-François Provençal. Les Grecs de l’an -700 ont écrit plein de livres pis personne les lit. Je vois pas pourquoi les gens du futur écouteraient notre musique »

Benoit Poirier de Jesuslesfilles est lui aussi plutôt indifférent à la perte de contenu de Myspace. « En fait, je catche pas l’fuss de la musique perdue là, à part pour des archives anecdotiques, mettons. Plus personne utilisait ça, pis la musique qui en valait la peine a été movée sur d’autres plateformes. » Même les plus grands comme l’animateur, DJ et critique Claude Rajotte, qui a passé un peu de temps à l’époque à chercher des groupes sur le site, avoue être passé à autre chose. « Une nostalgie, non pas du tout avec tous les autres sites tels Soundcloud, Mixcloud et le fantastique Spotify. »

« Les Grecs de l’an -700 ont écrit plein de livres pis personne les lit. »

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De son côté, Donzelle admet s’ennuyer un peu de la fluidité de Myspace, où la découverte était plus facile qu’aujourd’hui avec Facebook. « Si quelqu’un me dit un nom, là je peux aller chercher ce nom-là, devenir ami avec, s’il m’accepte comme ami, on peut connecter. Mais, il y avait cette flexibilité-là avec Myspace que Facebook a pas du tout. C’est pas organisé de la même manière. » Elle avoue toutefois que Facebook a plusieurs avantages, surtout pour ce qui est de la gestion des événements.

Éli Bissonnette croit aussi que les outils disponibles aujourd’hui sont pertinents, mais admet que Myspace avait quelque chose de spécial. « Moi j’ai jamais trouvé qu’il y avait un autre réseau social ou une autre plateforme d’écoute qui était aussi efficace pour la découverte. Mais à un moment donné Facebook est arrivé et le côté réseau social était bien mieux fait. Je comprends que les gens, d’un point de vue personnel, tout le monde a migré. Pour les bands et les labels ce n’était plus pertinent de rester [sur Myspace]. »

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Même s’il est content de l’évolution d’internet et de l’apparition de Bandcamp, Joël Martel est peut-être le plus nostalgique des personnes sondées. « Ce dont je suis nostalgique, c’est qu’il y avait vraiment une interaction qui allait à double sens. Je trouvais ça super stimulant. On l’a encore un peu avec les réseaux sociaux, mais j’aimerais ça retrouver cette vibe-là pis je pense qu’à un moment donné, elle va se recréer. Y’en a une avec Soundcloud, y’a une communauté, mais ici, dans le genre de musique que je fais, dans le mood que j’ai, je la trouve pas. J’ai pas encore réussi à la trouver. »