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Dominique Anglade et le coût de l’authenticité

Rencontre avec une candidate pas plate!

Par
Billy Eff
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À l’occasion de la campagne électorale, URBANIA a tendu la main aux cinq chef.fe.s des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale du Québec. L’ordre de publication des entrevues dépend de leurs disponibilités.

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« Ah non, c’est beaucoup trop dull, tu trouves pas? »

Avec ses sneakers Converse et son tailleur jaune, Dominique Anglade n’a pas l’allure dull, contrairement à la salle de conférence qu’avait réservée son équipe dans un hôtel du centre-ville de Montréal.

Je concède poliment que ce n’est peut-être pas l’endroit le plus palpitant pour rencontrer la cheffe du Parti libéral du Québec. « Allez, on va dans le lobby », clame-t-elle en prenant son sac d’un air déterminé avant de longer le couloir, continuant la conversation sans perdre le rythme, obligeant son équipe et ses gardes du corps à la rattraper du mieux qu’ils peuvent.

Il y a beaucoup de choses qui sautent aux yeux chez Dominique Anglade. Premièrement, c’est clairement elle qui mène. Deuxièmement, elle ne manque pas d’enthousiasme, ou de gouaille.

Depuis quelques semaines, l’équipe Anglade fait campagne avec le vent dans la figure pour essayer de déloger son ancien parti et son chef, François Legault, le 3 octobre prochain. Une mission en apparence impossible.

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Il faut dire que son histoire est tout aussi dynamique. Ses parents, le cofondateur de l’Université du Québec à Montréal, Georges Anglade, et l’activiste féministe et économiste Mireille Neptune, ont immigré d’Haïti à la fin des années 60. La jeune Dominique a fait un baccalauréat en génie industriel à l’École Polytechnique puis une maîtrise en administration des affaires à HEC Montréal, avant de travailler pour la multinationale Procter & Gamble ainsi que la réputée – bien que controversée – firme de consultation McKinsey & Company.

Côté philanthropie, elle a fondé l’organisme Kanpé, qui vient en aide aux familles démunies d’Haïti, avec son amie d’enfance Régine Chassagne, cofondatrice du groupe Arcade Fire. Elle s’est jointe brièvement au tout nouveau parti Coalition avenir Québec en 2012, puis l’a quitté en 2013 pour devenir la présidente de Montréal International, un OBNL dont la mission est d’encourager les investissements et les échanges entre la région montréalaise et l’international.

Depuis quelques semaines, l’équipe Anglade fait campagne avec le vent dans la figure pour essayer de déloger son ancien parti et son chef, François Legault, le 3 octobre prochain. Une mission en apparence impossible. Il faut dire qu’elle hérite d’un parti qui n’est plus l’ombre de ce qu’il était, après les déboires et scandales qui ont fait les manchettes sous les administrations précédentes.

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« Ça fait combien de temps que tu es chez URBANIA? », me demande la cheffe libérale pour faire la conversation dans l’ascenseur. On échange des sourires complices lorsque je lui raconte que je travaillais auparavant pour la compétition, et que j’ai, comme elle, changé de camp. Billy et Dodo : même combat.

On s’installe ensuite dans un coin reculé du lobby, d’où elle observe en retrait le Quartier des spectacles qui s’anime en ce dimanche matin.

Bonjour, Mme Anglade. Comment se passe la campagne jusqu’à maintenant?

Une campagne électorale, c’est super intense, mais je suis une personne intense! C’est vraiment un bon fit avec ma personnalité : j’adore être sur le terrain, rencontrer des gens, échanger avec eux.

Je suis très contente d’avoir mis en place la plateforme électorale avant la campagne, comme ça, ça nous laisse le temps de voir exactement ce qu’on veut mettre de l’avant comme mesures.

Avez-vous eu des doutes par rapport à ça? Est-ce que c’est un couteau à double tranchant de sortir sa plateforme avant tout le monde?

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Oui, mais je suis une personne assumée, et je veux un parti assumé. Il y a une réelle cohérence dans les propositions qu’on fait : tu peux prendre une idée ici et là, mais on a une vision d’avenir pour le Québec, nous. On est capable de parler de lutte aux changements climatiques comme étant l’enjeu du 21e siècle, avec toute la création de richesse [qui doit venir avec]. On est capable de parler des enjeux féministes, d’immigration…

Au-delà même de la plateforme, il y a aussi le style de leadership que tu veux exercer. On est le seul parti qui ne veut pas diviser. Moi, je veux qu’on rassemble, partout. Je veux collaborer avec les villes, avec le fédéral, je veux que ça marche.

Vous parlez d’un « Parti libéral renouvelé »… De quossé?

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J’ai été nommée cheffe sur Twitter. Il n’y a pas eu de gros congrès, c’était durant la pandémie, finalement, l’autre candidat s’est retiré… ce n’est pas les conditions idéales. Cela dit, chaque chef apporte sa propre couleur, sa propre manière de voir les choses, et ce que je constate, c’est qu’on a des libéraux qui ont toujours été libéraux qui sont encore avec nous, d’autres qui n’ont jamais voté libéral et qui se disent : « Maintenant, ça m’intéresse. » Ce que je vois là, je ne le voyais pas avant. Il y a une combinaison d’anciens et de nouveaux, il y a un virage à opérer. C’est un super beau défi.

Politiquement, qu’est-ce que ça coûte, faire un switch de parti comme vous l’avez fait?

(Rire légèrement exaspéré) Bah… Comment est-ce que je pourrais dire ça?

Quand tu es complètement aligné avec tes valeurs, c’est là que tu sens que tu prends la bonne décision. J’étais totalement mal alignée avec mes valeurs. Au début, tu le sais pas. C’était un nouveau parti, c’est le fun, on se dit : « Ah, on va mettre plein de souverainistes ensemble. » Mais plus ça va, plus ça devient identitaire, ça devient des questions de « eux contre nous », où on se demande c’est qui, le « nous ». J’étais de moins en moins – et à la fin plus du tout – à l’aise, j’étais juste pas bien. Donc j’ai quitté et j’ai jamais regretté! Je veux dire, regarde la CAQ aujourd’hui : crois-tu que je regrette trois secondes et quart d’être partie? Jamais, jamais : c’est tout sauf moi, ce leadership-là.

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Quand, en tant que femme racisée, on est la seule personne au débat des chefs qui comprend réellement l’immigration et ses conséquences de manière intrinsèque, est-ce que c’est dur de garder son calme, quand les autres disent n’importe quoi?

Je suis une personne passionnée, donc à la base, je ne suis pas une personne calme. Mais ça me permet de me connecter avec une réalité.

Quand François Legault dit des affaires ridicules, absurdes, quand il fait des comparaisons sous-entendues entre l’immigration et la violence, c’est toujours négatif.

Mais tous les enjeux auxquels on doit faire face – l’inflation, la pénurie de main-d’œuvre, la création de richesse qu’on a besoin d’associer à la lutte aux changements climatiques – ce sont des changements majeurs qui nécessitent que tout le monde embarque. Je veux qu’on soit ouvert à ce que l’autre a à dire et que ça ait une influence dans les décisions qu’on prend. C’est ça, la politique, ultimement.

Avec autant de mécontentement envers le gouvernement de M. Legault, comment expliquez-vous qu’il soit toujours en tête des sondages?

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La campagne, j’espère, va aider à montrer le vrai visage de la CAQ. Tu sais, il y a une certaine forme d’apathie, et tout le monde vit dans sa bulle. Tu vis tes problèmes qui sont plus grands : le coût de la vie a augmenté, tu ne sais pas si tu vas être capable de payer le loyer le mois prochain, peut-être que tes enfants ont des enjeux de santé mentale… Tout le monde est pris avec ses propres réalités et ça crée une forme d’apathie.

Mais les gens commencent à se dire « non, ça, je ne suis pas d’accord », et tu te rends compte que 62 % des Québécois.es ne veulent pas de François Legault. Est-ce qu’on peut se rassembler et s’unir, aller dans la même direction et faire ça ensemble, question qu’il y ait une alternative à François Legault?

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Quelles sont les solutions concrètes pour encourager les nouveaux arrivants à s’installer en région et y rester?

Ce qu’il ne faut pas faire, c’est de les placer à un endroit et dire : « Toi, tu restes là. » Par contre, l’intégration doit se faire avec chacune des régions. Dans notre Charte des régions, qu’on voudrait adopter comme étant une loi à l’Assemblée nationale, chaque région serait chargée d’identifier le nombre de nouveaux arrivants qu’elles souhaitent accueillir. La question du logement, de l’intégration, est dans la main de chacune des régions. Donc elles sont responsables, et il y a un financement qui vient avec.

C’est quand les personnes qui sont directement responsables sont imputables et ont des moyens que tu peux avoir les meilleures conditions. C’est pas le Québec qui doit décider, c’est les gens en Abitibi-Témiscamingue qui savent comment les intégrer là-bas, et c’est pareil en Gaspésie… On veut avoir des partenaires sur le terrain qui vont jouer leurs rôles, et c’est probablement le meilleur vecteur de succès qu’on va avoir.

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Il y a beaucoup de jeunes qui aimeraient que l’on parle moins d’économie comme étant la priorité et qu’on mette d’autres enjeux de l’avant. Comment est-ce qu’on peut s’occuper de l’économie en répondant à d’autres enjeux pressants?

On a tendance à voir ça comme étant en opposition. La vraie question, c’est : « Qu’est-ce que nous faisons pour bâtir ensemble? » Je l’ai dit, la lutte aux changements climatiques, je veux en être responsable. Pourquoi? Parce que ça touche la santé, l’éducation, l’environnement, les ressources naturelles, le transport. Tout!

Alors il faut une vision d’ensemble pour dire qu’on comprend que l’enjeu du 21e siècle, c’est exactement ça. Mais aujourd’hui, il faut que les gens se nourrissent, qu’ils paient leur loyer : tout ça, c’est de l’économie, fondamentalement, et c’est pour ça que je dis qu’on est le seul parti capable de rallier les deux et de s’attaquer aux deux en même temps.

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On a brièvement soulevé la santé mentale et la précarité alimentaire; l’agriculture est une des industries avec le plus haut taux de suicide au Québec. Qu’est-ce qu’on a comme solutions pour une meilleure souveraineté alimentaire, et pour garder les gens qui nous nourrissent en vie?

Déjà, ne pas les taxer, parce qu’ils n’ont pas besoin de ça en plus! Au-delà de ça, on a parlé de la psychothérapie universelle, mais tu as raison de mentionner que les premiers touchés en termes d’accès à la santé mentale, ce sont les agriculteurs.

Quand tu travailles sur ta ferme sept jours par semaine, t’as pas de break, ça devient lourd et impossible à tenir. On a déposé un projet de loi à l’Assemblée spécifiquement sur la santé mentale et les agriculteurs. Il nous faut davantage de travailleurs de rang, et les agriculteurs ont besoin de s’adapter à la nouvelle réalité. Ils vivent les changements climatiques au premier chef. C’est eux qui nous nourrissent. Il faut revoir les programmes de la Financière agricole qui n’ont pas été revus depuis un certain temps. C’est essentiel, et ça va leur donner les moyens de penser à leur propre avenir.

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Le Québec a longtemps été un endroit prisé par les artistes pour ses loyers modiques, qui permettent aux gens de créer. Maintenant que les loyers explosent, que va-t-on faire pour encourager les jeunes à continuer de créer?

Les artisans se plaignent depuis longtemps qu’ils n’ont même plus d’espace pour créer, ça fait partie des choses qu’on veut mettre de l’avant. Il y a aussi, pour moi, tout le volet culturel.

Je regarde comment mes enfants consomment de la culture, ce qu’ils écoutent et regardent, les Netflix et tout ça. Oui, il y a TOU.TV et on s’efforce de regarder des séries d’ici ensemble, et c’est bien. Mais la réalité, c’est qu’il faut qu’on se dote d’un mécanisme qui nous permet d’investir les plateformes, de partager les créations culturelles d’ici.

Donc on veut davantage taxer les GAFAM, prendre cet argent-là et le réinvestir dans des fonds et du contenu québécois. Il faut aussi se rappeler qu’on est environ 8,5 millions de personnes au Québec, mais on est 200 ou 300 millions de francophones et francophiles dans le monde. Qu’est-ce qu’on attend? Il y a un potentiel : la francophonie se développe ailleurs dans le monde, on est capable d’aller rejoindre les gens et bâtir un réseau encore plus solide. Je pense qu’il y a un beau potentiel là aussi, d’un point de vue culturel.

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Qu’est-ce que vous croyez que les gens devraient savoir à propos de Dominique Anglade?

Que je suis pas plate! Mon chum, il me dit souvent ça : « En tout cas, t’es pas plate! »

J’ai une grande capacité d’écoute, mais surtout, j’agis. Je ne suis pas une personne compliquée, j’aime les relations simples, qui sont vraies. J’aime le vrai, j’aime l’authenticité qui se dégage dans les rapports humains. Je suis ingénieure industrielle. Quand je travaillais en usine là, c’était des vrais produits avec du vrai monde, alors des vrais problèmes techniques à régler, j’adore ça!

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Est-ce que c’est difficile en politique, de demeurer authentique?

Quand j’ai publié ma biographie, il y a beaucoup de personnes qui m’ont dit : « Je peux pas croire que t’as écrit tout ça, c’est tellement personnel. » Et j’étais comme : « Hey, sais-tu quoi? C’est ça que je suis. »

Ce qui est plus difficile en politique, c’est de briser la barrière du décorum : c’est très masculin comme approche, d’ailleurs. Être vraie et dire ce que tu penses, c’est ce qui devrait être la partie amusante. Mais il y a la convention qui met une barrière entre toi et le public auquel tu veux parler, et briser ça, ce n’est pas si facile. Mais moi, j’essaie de la briser tous les jours!

***

L’entrevue se conclut et l’on a à peine le temps de poursuivre notre small talk qu’un membre de la garde rapprochée de Mme Anglade surgit de nulle part et déclare d’un air grave et pressé qu’il est temps de quitter, avant de disparaître avec elle dans un autre couloir.

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Le soir même, Dominique Anglade et ses rivaux étaient à Tout le monde en parle. Deux jours plus tard, les intentions de vote du Parti libéral remontaient à 16 %, une hausse de 2 % par rapport à la semaine précédente. Le résultat s’annonce tout de même comme l’un des pires bilans électoraux de l’histoire du Parti.

Évidemment, je ne peux conclure cet article sans mentionner l’un des points les plus forts de la campagne électorale de Dominique Anglade, soit son déhanchement sur I Gotta Feeling avant le dernier débat des chefs de la campagne. Et je suis heureux de vous confirmer que oui, si la cheffe libérale l’emporte le 3 octobre prochain, on aura droit à une autre danse.

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