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Docteur, notre télé se lèche les plaies

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“Pompidou, Baudouin, Trudeau sont corrects. Ils ne veulent rien changer; ils sont contents que nous restions épais comme nous sommes. Ils nous laissent jouer tranquilles dans notre coin pourvu que nous les laissions jouer tranquilles dans le leur. Plus ces gens-là n’ont pas d’idées, plus on les aime.”
– R. Ducharme, L’hiver de force.

En 2014, les coupes en télé ont fait la manchette.

Coupes à Radio-Canada, coupes dans les budgets, coupes dans les productions locales, dans l’actualité régionale, coupures sur le visage des manifestants, coupes réelles et métaphoriques. Avec tous ces couteaux volant aussi bas que possible, les saignements sont forcément abondants et il n’est pas périlleux d’avouer que notre télévision, à l’image de notre panorama culturelle, souffre d’une hémorragie à peine contrôlée.

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Difficile de faire un portrait de ce que l’on voit sur nos écrans sans regretter, avec une lourde amertume, ce que l’on pourrait avoir. Ce qui serait possible avec un peu plus de valorisation de la création artistique. Ce qui pourrait nous surprendre si les jeunes étaient capables de se tailler une place sur nos écrans sans devoir attendre que l’on retire à la dure les vieilles souches indélogeables de notre paysage.

Notre télé, en 2014, ressemble à un petit cochon duquel le bouchon pour retenir les sous est perdu sous la commode. On ajoute des pièces une à une par la fente du haut pendant qu’on perd l’équivalent, sinon plus, par le trou en dessous. Tout ça sous le regard amusé du gouvernement conservateur/libéral qui attend patiemment que le cochon soit vide pour justifier de s’en débarrasser complètement. Après tout, à quoi bon un cochon vide?

C’est la beauté du piège des coupures. Guidé par des ritournelles austéritaires, le thème de la coupe se justifie par le manque d’intérêt de la population. Ce manque d’intérêt, lui, se nourrit à même le manque de diversité présenté. Ce manque, lui, est le résultat des coupes et du manque de ressources. Ces coupes, donc, se justifient par elles-mêmes, car elles entraînent d’autres coupes. Je coupe, tu coupes, nous coupons – et puis plus rien. Le piège des coupures, de l’austérité, c’est le vide valorisé.

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Notre production télévisuelle n’est pas différente qu’ailleurs, même si notre marché est beaucoup plus petit. Pour qu’Éric Salvail puisse faire des farces dans ses habits un peu trop cintrés les soirs de semaine, des dizaines de visages anonymes doivent œuvrer en coulisse. Sans ses artisans sans identité publique, pas de Salvail, pas de télé, rien à couper. Le hic, c’est que les coupes ne visent jamais qu’une seule chose, qu’un seul individu.

Par exemple, prenons le cas SNL Québec. L’émission, forte d’un succès marginal, disparait des ondes de Télé-Québec, prétextant une restructuration budgétaire. La troupe de comédiens de la relève s’est fait un nom en deux ans, elle devrait s’en remettre. Les techniciens derrière et l’équipe de production – elle doit se relocaliser. Disons que dans le lot, une dizaine de techniciens ont plusieurs années de service derrière la cravate. Ces gens, qui méritent pleinement leur salaire et leur emploi, seront relocalisés la plupart du temps en suivant la logique de l’ancienneté très populaire au sein des entreprises. La télé, souvent syndiquée pour les techniciens, n’est pas différente d’une shop de saucisses ou d’un bureau d’assurances : l’ancienneté parle très fort.

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En coupant une émission comme SNL, donc, les techniciens pousseront d’autres techniciens sur une autre émission, amorçant ainsi un effet domino. Quand on fait disparaitre une dizaine d’emplois à Radio-Canada, par exemple, on ne fait pas disparaitre des postes désuets ou des gens incompétents, non, on pousse plutôt “les p’tits derniers” à l’extérieur de la tour. Et ces jeunes, ancienneté oblige, sont souvent ceux qui pourraient insuffler une relance vivifiante à nos productions.

C’est d’ailleurs une chose que l’on entend souvent dans une salle de nouvelles : les jeunes font vivre l’endroit par leur dynamisme, leurs idées, même s’ils n’ont aucune autorité. Cette dichotomie entre l’influence et le pouvoir se transmet à l’écran.

Pour trouver le prochain Podz, il faut laisser les jeunes s’exprimer. Pour que les jeunes s’expriment, il ne faut pas couper les postes au bas de l’échelle qui leur sont accessibles par la force des choses en début de carrière. Il faut laisser l’échelle toucher le sol si on veut que quelqu’un y grimpe.

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Avant d’être “la Bazzo”, madame Marie-France Bazzo était certainement une jeune stagiaire un peu anxieuse qui ramassait les miettes trainant dans une salle de nouvelles quelconque, en radio ou en télé. Tout pour mettre du pain sur la table et vive de sa passion, de ses aspirations.

Vivre de la télé, à l’ère des coupes, est un luxe parce que les gens ne réalisent pas toujours qu’ici, être une vedette n’est pas forcément lucratif. Il faut faire la ronde des médias, des émissions, des magazines, pour que les chèques cumulent vers une somme intéressante. Avant d’être “dans la roue”, il y a les années formatrices, anonymes, ingrates.

Avec les coupes – l’anonymat meurt en silence. La relève n’a non seulement plus le luxe de vivre de la télé, elle se fait enlever le droit d’y rêver, d’y aspirer ne serait-ce qu’un tout petit peu.

Notre télé en 2014 se fait amputer des membres, des organes, sans droit de regard sur la pertinence des opérations.

Ce que je retiens de mon année télé en 2014, c’est la douleur et le fossé qui se creuse entre les générations, les mentalités, les croyances.

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On pellette souvent la xénophobie dans la cour des régions, comme un mal marginal spécifique aux gens loin de la “Planète Montréal”. Mais quand la production télévisuelle, faite en grande majorité à Montréal, se fait couper sa diversité et ses voix divergentes, elle alimente et offre un visage à la xénophobie.

Sans directement financer des messages haineux, l’action d’éteindre la polyphonie de notre télévision en est une de renfermement. Une étroitesse contrôlée par ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Le piège des coupes, comme je disais, c’est la valorisation du vide. Le vide, partout, parce que ça ne coûte pas cher le vide. Pas besoin de faire un effort pour entretenir le vide. Pas besoin de vivre.

Suffit d’être là et d’attendre, ça ne fera presque pas mal.

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