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DJ Ray : pionnier et figure oubliée du rap québécois

De la Jamaïque à la Petite Bourgogne, à la rencontre d'un artiste méconnu.

Par
Félix B. Desfossés
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La scène hip-hop montréalaise a été dominée pendant toute la première moitié des années 80 par un rappeur dont le nom a presque été oublié. Plusieurs le considèrent comme le tout premier rappeur à Montréal. Il a aussi été l’un des DJ vedettes de la métropole de l’époque, particulièrement dans le quartier Petite-Bourgogne. Il a également connu une importante carrière dans le dancehall pour laquelle il a récolté des nominations aux Prix Juno. Pourtant, qui se souvient de DJ Ray en 2024? Trop peu de gens.

Pourtant, en 1984, le nom de DJ Ray était synonyme de culture hip-hop. Dans la Petite-Bourgogne, NDG, Lasalle, Côte-des-Neiges, Ray était une vedette locale. On l’a vu dans The Gazette et Nathalie Petrowski l’a interviewé pour Le Devoir. Le samedi soir, il passait régulièrement à la radio pour participer à des sessions de freestyle. Il a même fait la première partie de Run DMC la toute première fois que le trio new-yorkais a visité Montréal. Tous les jeunes rappeurs voulaient faire comme lui, incluant un certain DJ Choice, le futur DJ de Dubmatique.

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Au cours de la deuxième moitié des années 80, son legs hip-hop est toutefois tombé dans l’oubli au moment où il est devenu une référence dans le monde du dancehall. Ses clips ont tourné à MuchMusic et MusiquePlus et il a été nommé deux fois aux prix Juno. Si vous écoutiez la radio à l’été 1998, vous vous souvenez peut-être de sa reprise de Hang On Sloopy qui a été un immense succès. Le DJ Daniel Desnoyers l’a même incluse sur sa toute première compilation Danse Xpress, présentée par MusiquePlus!

Qui aurait cru que ce joyeux troubadour estival avait été, près de 15 ans auparavant, la première vedette rap à Montréal?

De Kingston à la Petite-Bourgogne

Né à Kingston en Jamaïque en 1963, c’est son père qui l’introduit au métier de DJ. « Je viens d’une famille très musicale », confirme-t-il. Lorsque sa famille s’installe dans le quartier de la Petite-Bourgogne alors qu’il est adolescent, son père se charge de mettre de la musique pendant les nombreuses fêtes de quartier. Son père joue du reggae, calypso, soca… bref, des classiques des Caraïbes! Et la foule en redemande : ça bouge, c’est vivant, c’est coloré, ça sent même les grillades.

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En 1978, il n’a que 15 ans quand il s’installe pour la première fois derrière les wheels of steel (slang new-yorkais signifiant « tables tournantes »). C’est donc dire que, dès 1979, soit l’année où le rap devient populaire à l’échelle planétaire avec Rapper’s Delight, Ray est prêt à surfer sur cette nouvelle vague. « J’ai été le premier à la faire jouer à Montréal », affirme-t-il avec assurance. Bien qu’on ne puisse prouver ce fait hors de tout doute, on peut affirmer sans se tromper que le gars était là au moment où ça comptait.

Bien sûr, la fin des années 70 rime avec la domination totale du disco sur les palmarès et Montréal n’est pas en reste. Les clubs du centre-ville, dont le Limelight et le Club 1234, débordent de jeunes danseurs et danseuses de toutes origines et orientations sexuelles. Ray fait jouer de la musique disco dans ses soirées, mais inspiré par les DJ jamaïcains qu’il a vus à Kingston, il prend l’habitude d’animer la foule avec un certain rythme, et ce, par-dessus la face B des disques, toujours instrumentale dans le domaine disco. C’est ainsi que DJ Ray devient organiquement MC, et éventuellement rappeur, c’est-à-dire sans trop y réfléchir.

Tandis que le disco s’essouffle et que le rap gagne en popularité, il en est de même pour la notoriété de Ray. Il fait son chemin vers les clubs du centre-ville, le Nubia notamment, et se retrouve même au mythique 1234.

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Ses tribulations dans le night life le mènent à faire la rencontre d’un autre ressortissant jamaïcain, Butcher T. Ce dernier, un DJ au talent incroyable pour l’époque, est alors l’un des seuls à Montréal qui pouvait se vanter de rivaliser sur le plan technique avec les DJ hip-hop de New York. Ray et Butcher T joignent leurs forces et lancent un duo, avant de bientôt ajouter un rappeur qui vient de débarquer de Staten Island dans l’État de New York : Shanwan. C’est la naissance du premier vrai groupe rap montréalais : le Quality Crew. On est alors en 1983, soit l’année où le trio new-yorkais Run DMC lance ses deux premiers simples.

Vers le sommet

Le Quality Crew fait des ravages sur la scène montréalaise. Leur talent, leur présence, leur technique, leur swag, leur magnétisme… les éléments sont réunis pour faire d’eux des méga vedettes locales. À l’automne 1983, ils font la rencontre de l’animateur radio et DJ Michael Williams. Afro-américain d’origine, il anime l’émission Club 980 les samedis soirs sur les ondes de CKGM à Montréal où il est le premier animateur radio de la région à diffuser du rap, un élément qui retient l’attention de Ray. Une association se crée entre les deux jeunes hommes et le Quality Crew se retrouve régulièrement en ondes pour faire du freestyle et la promotion de leurs spectacles.

L’année 1983 atteint son point culminant pour le rappeur lorsqu’en août, Ray remporte deux catégories sur trois dans le cadre d’une compétition montréalaise de hip-hop.

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Leur réputation prend de plus en plus d’ampleur, et lorsque le légendaire Grandmaster Flash débarque au Spectrum, en février 1984, ce sont eux qui font la première partie. Une semaine plus tard, ils sont en vedettes à l’immensément importante compétition de danse Break Dance ‘84, mise sur pied par leur ami Michael Williams.

Le couronnement ultime survient l’été suivant, en août 1984, alors que le Quality Crew se rebaptise Triple Treach, ajoute des membres à son line up et se retrouve en première partie de Run DMC. C’est d’ailleurs Ray lui-même qui dessine le poster de l’événement et en fait la promotion sur les ondes à l’émission de radio Club 980.

Rassembleur, DJ Ray est aussi un pilier important pour les carrières de Wavy Wanda et Baby Blue, alias le Classy Crew, et de Alain Benabdallah, alias DJ Choice, qui avait lui-même assisté à une prestation du Quality Crew alors qu’il participait à une compétition de breakdance en 1984.

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Bref, en 1984, DJ Ray et sa gang dominent la scène hip-hop montréalaise. Les choses vont cependant changer rapidement. Avec la montée en popularité du dancehall, venu tout droit de la Jamaïque, DJ Ray est interpellé par ce nouveau son. S’il n’avait jamais délaissé ses racines caribéennes, à partir de 1986, celles-ci refont surface dans sa musique.

Les années dancehall

Les années 90 arrivent et DJ Ray décroche un contrat de disques avec la compagnie ISBA, l’étiquette qui se trouve derrière les succès de Mitsou et des B.B. pour ne nommer qu’eux. À l’époque, ISBA tentait aussi de percer dans d’autres marchés, notamment avec les rappeurs torontois HDV et Kish ou encore avec l’incursion rap de Laymen Twaist avec la reprise de Walk on the Wild Side.

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Le premier single de Ray signé ISBA paraît en 1993. Il s’agit de la chanson Secret Admirer (Ooh boy I love you so) et dont le vidéoclip est largement diffusé sur la chaîne MuchMusic. Bien qu’il s’agisse d’une pièce d’inspiration dancehall/ragga, le penchant rap du MC demeure évident. Le succès est au rendez-vous et la chanson lui vaudra une nomination dans la catégorie « Best reggae recording » des Prix Juno.

Pour son second album, intitulé The Original, il collabore avec les vedettes jamaïcaines Sly & Robbie. Dans le vidéoclip de la pièce Love to Love you baby, on peut voir Malik Shaheed, animateur de l’émission Hip-Hop à Musique Plus. Ce dernier est également un ressortissant de Little Burgundy. Pour cet album, Ray obtient une nouvelle nomination aux prix Juno, en 1999.

Sentant qu’il connecte davantage avec l’importante communauté jamaïcaine de Toronto et y trouvant un auditoire plus friand de sa musique, Ray choisit de se relocaliser dans la Ville Reine.

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Si la communauté anglo-montréalaise et jamaïcaine reconnaît DJ Ray comme une référence dans le domaine du hip-hop et du dancehall, ses réussites semblent s’être évaporées du côté francophone de la scène. Il est donc temps de rendre ses lauriers à celui qui a été le tout premier roi de la scène hip-hop montréalaise.

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Pour en savoir plus sur l’origine du rap au Québec et faire la rencontre d’autres artistes méconnus, le podcast Les racines du hip-hop au Québec animé par Félix B. Desfossés et DJ ASMA est disponible sur Spotify et Apple Podcasts pour combler votre soif de savoir (et de musique).