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Dire au revoir pendant la pandémie

Visite guidée d'une coop funèbre déconfinée.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Les visiteurs sont priés de ne pas faire d’accolades ou de poignées de main, veuillez plutôt mettre la main sur le cœur en guise de sympathie », peut-on lire au bas de l’avis de décès d’un octogénaire de la Rive-Sud, au bas duquel on énumère les nouvelles règles à suivre au salon funéraire.

En plus des contacts physiques et effusions habituelles, les proches sont désormais priés – comme partout ailleurs – de maintenir deux mètres de distance, se désinfecter les mains, suivre les pastilles de direction au sol et quitter rapidement les lieux après avoir offert leurs condoléances à la famille. Bref, bienvenue dans l’univers des funérailles pandémiques!

Les activités ont pu reprendre « normalement » depuis deux semaines, soit le moment où le gouvernement a autorisé les réunions de 50 personnes maximum dans des lieux privés.

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Cette nouvelle s’est accompagnée d’un important branle-bas à la Coopérative funéraire du Grand Montréal, qui a accepté de nous faire visiter ses installations pour voir comment l’industrie de la mort s’est adaptée à la situation.

Juste pour accéder à l’entrée principale de la coop située sur le boulevard Curé-Poirier à Longueuil, des pastilles sont visibles dehors pour rappeler l’importance du recueillement à deux mètres de distance.

«Les visiteurs sont priés de ne pas faire d’accolades ou de poignées de main, veuillez plutôt mettre la main sur le cœur en guise de sympathie.»

La directrice marketing et communications de la coopérative, Caroline Cloutier, m’attend à l’intérieur. C’est tranquille (bon OK, ça doit souvent l’être) à mon passage, un seul service est prévu en soirée. La succursale compte deux salles d’exposition, des bureaux, une chapelle, un columbarium et une cafétéria, à l’instar des autres installations de la coop se trouvant à Laval, Montréal-Est et Saint-Hubert. Des points de service existent aussi à Brossard et à Napierville, note Caroline, ajoutant que la coop compte à ce jour environ 20 000 membres.

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Au comptoir à l’entrée, un grand panneau en plexiglas sépare les réceptionnistes et les visiteurs. Le port du masque est déjà obligatoire entre les murs du complexe. De grandes affiches le rappellent un peu partout. Dans les bureaux des conseillers, les lingettes, bouteilles de désinfectants et panneaux de plexiglas s’ajoutent à la traditionnelle boîte de mouchoirs. L’accès au columbarium est rouvert depuis le 29 mai, sur rendez-vous. Mais personne n’est refoulé à la porte, assure-t-on.

« Avant on avait 125 places, mais on en a enlevé beaucoup », souligne Caroline, en me guidant vers une salle d’exposition. Des sections de banquettes sont aussi condamnées avec des X en tape, pour maintenir des distances règlementaires entre les visiteurs. « On dirige ensuite les gens vers la sortie de secours, pour les empêcher de revenir sur leurs pas. Des gens pleurent, se mouchent, l’échange de liquide est en général très présent, nos pratiques ont dû changer très vite », admet Caroline, fière d’avoir pu offrir des alternatives aux familles éplorées durant le confinement. « On a installé une caméra sur le mur pour diffuser des cérémonies live. Le vendredi à 15h, on avait toujours une « cérémonie réconfort » pour souligner tous les décès de la semaine», raconte Caroline Cloutier.

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jusqu’à 60 décès par semaine

Au plus fort de la crise, ces commémorations virtuelles prenaient d’imposantes proportions. « Certaines semaines on avait 60 décès. On faisait une cérémonie laïque avec la musique et on proposait une portion religieuse à la fin pour les intéressés », explique Caroline. En plus des messes 2.0, une intervenante était aussi disponible pour épauler en ligne les familles, en plus d’un guide de soutien distribué en ligne. « Ça comprend une affiche postée à la maison sur laquelle on peut lire : ici, nous sommes en deuil », explique Caroline, soulignant l’importance pour les milliers de Québécois qui ont perdu un être cher durant la crise d’exprimer autre chose que le galvaudé « Ça va bien aller ».

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Cette nouvelle façon d’accompagner les familles à distance force évidemment les employé(e)s à revoir leur manière de travailler. « L’approche au téléphone est différente. Ça demande une sensibilité fine, mais l’empathie est plus difficile à appliquer », reconnait Maya Clermont, la directrice de l’expérience employé, justement en train de former une nouvelle recrue à notre passage.

De son côté, la superviseure de la succursale, Charly Vitalis, admet les limites de l’empathie de confinement. « On est dans un milieu où les gens ont besoin de réconfort au-delà du téléphone. Les gens comprennent, mais j’ai quand même senti une petite réticence sur nos adaptations », souligne-t-elle.

«Là on a des funérailles à tous les jours, mais les décès remontent probablement à mars et avril», observe Caroline

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Pour la plupart, le processus de deuil passe naturellement par de véritables funérailles, organisées depuis deux semaines. « Là on a des funérailles à tous les jours, mais les décès remontent probablement à mars et avril », observe Caroline, qui souligne que les choses reviennent graduellement dans l’ordre.

Comme la forte majorité des familles ont opté pour la crémation pendant la COVID, la chambre froide de l’entreprise en pompes funèbres n’a jamais été surpeuplée en attendant la reprise des activités. La coop n’a toutefois pas chômé, bien au contraire. « Comme service essentiel, on a eu une surcharge de travail. Tous nos conseillers étaient en télétravail dès le début et on avait aussi des employés sur place comme nos techniciens en crémation. On a traité tous nos défunts comme si c’était des cas de COVID, donc avec un soin extrême », explique-t-elle.

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Pour l’heure, Caroline et ses collègues espèrent que la situation sera temporaire, même si elle permet dans l’intervalle de mettre un plaster sur le bobo. « J’espère que c’est pas le nouveau normal, mais on va faire avec pour l’instant. Mais dans notre culture, on est solidaire, on aime se rassembler et manger ensemble. C’est symbolique, pour se dire : on est en vie », résume-t-elle.

Eh oui, les traditionnels buffets de salon sont évidemment sur la glace, mais des boîtes à lunch individuelles sont pour l’instant proposées aux visiteurs. « Les gens n’ont pas accès à la machine à café », mentionne en terminant Caroline.

Adieu donc jusqu’à nouvel ordre les conversations familiales à saveur nostalgique autour d’un café ordinaire dans un verre en styromousse. Comme quoi, on peut tirer du positif de chaque situation.