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Non, Didier Lucien n’est pas boucher de profession. Installé au Québec depuis l’âge de trois ans, l’acteur d’origine haïtienne mord à pleines dents dans notre univers culturel, passant des planches au petit écran, jouant autant au sérieux qu’au niaiseux (l’inoubliable Bob, Dans une galaxie près de chez vous).
On a pu le voir dans la peau de Dominique, un professeur Haïtien marié à une Québécoise et père d’une petite asiatique dans Pure laine. Pour une première fois dans une télé-série québécoise, un acteur de couleur a tenu le rôle principal.
Pourquoi avoir sauté à pieds joints dans un projet casse-gueule comme celui de Pure laine?
Dès le départ, je savais que c’était un sujet délicat et j’étais pas sûr… Mais j’avais très envie de jouer un père de famille. Je trouvais très gratifiant d’interpréter un personnage dont la fille a le même âge que la mienne. Et puis, ça me prenait un défi, j’aime ce qui est risqué. J’ai étudié en théâtre, donc j’aime qu’il y ait de la viande autour d’un texte, ce qui était le cas avec Pure Laine. Mais je n’avais pas travaillé à la télé depuis cinq ans! Dan Bigras a plus d’expérience devant la caméra que moi! C’est pas comme si je passais des auditions à chaque semaine. C’est pas compliqué, je n’en passe jamais!
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Quelle est la réaction du public et des médias depuis la diffusion de la série?
On m’associe beaucoup au personnage qui a une vision très sociologique des choses et on m’attribue des connaissances que je n’ai pas. Or, je ne suis pas sociologue, mais comédien! Je trouve ça assez troublant. Au niveau des médias, des idiots m’ont jugé parce que je jouais un personnage avec un accent, alors que moi, je n’en ai pas. Mais je m’y attendais… Pour ce qui est des Haïtiens, beaucoup m’arrêtent sur la rue. Ils sont heureux que leurs enfants voient quelqu’un qui leur ressemble à la télé.
L’émission Pure laine était une première au Québec : un personnage de couleur dans le rôle principal. Penses-tu qu’on reverra ça dans un avenir rapproché?
Ça reste à voir… Même si la série est bien reçue, je prédis que je n’aurai pas un autre rôle principal avant un petit bout de temps. Je ne fais pas nécessairement partie de l’imaginaire collectif. Mais comme j’ai des projets à moi, il est tout à fait possible que je sois partout quand même!
Dans la série, ton personnage semble idéaliser le Québec et sa culture. Didier Lucien est-il comme lui?
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Je pense que je ne lui ressemble aucunement! Peu importe la situation, il ne se fâche jamais. Je crois qu’il recevrait une brique sur la tête et il continuerait de sourire! Il est linéaire au niveau de ses émotions : philosophe, branché sur le zen et la sagesse. Mon père est un peu comme ça. C’est un trait que l’on remarque chez les intellectuels haïtiens. C’est un personnage un peu mythique et j’apprends énormément en le jouant.
Tu disais plus tôt qu’on ne t’appelle jamais pour passer des auditions… Penses-tu qu’il y a encore une certaine discrimination envers les comédiens de couleur?
La seule chose que je peux dire c’est que récemment, il y a eu une audition et que les comédiens qui y participaient pesaient entre le poids de Stéphane Crête et 300 livres! Ils étaient totalement différents les uns des autres. Mais moi, on ne voulait pas me voir. Pourquoi? Je ne le sais pas. Quand je passe une audition, il doit être écrit que le personnage est de race noire, sinon je laisse faire. Est-ce que le Québec a changé envers les comédiens de couleur? Bullshit! J’essuie les mêmes refus qu’il y a 15 ans. En fait, je crois que le racisme est plus insidieux qu’avant. Il y a une quinzaine d’années, les racistes s’affichaient alors qu’aujourd’hui, c’est différent.
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Comment as-tu vécu ton intégration à la culture québécoise?
Comme n’importe quel enfant qui vit son intégration à la société. Je crois que beaucoup de gens ont vécu des choses beaucoup plus heavy que moi, alors, dans les circonstances, je me considère pas mal chanceux. Mais quand j’étais petit, je ne me voyais absolument pas à la télé! Je n’y voyais personne qui me ressemblait.
Te considères-tu plus Québécois ou Haïtien?
On me pose toujours la question et je n’ai pas envie de m’obstiner sur mon identité. Je suis Didier. Je vis au Québec et ça s’arrête là!
Trouves-tu les Québécois ouverts d’esprit par rapport à l’immigration ?
La masse réagit un peu toujours de la même façon : elle a peur de ce qu’elle ne connaît pas. Pourtant, tout n’est qu’une question de rapports humains et l’homme a la fâcheuse tendance à oublier. On risque donc de répéter les mêmes conneries jusqu’à la fin des temps…