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Devenir canadienne : mode d’emploi

Entre peines de cœurs et dédale administratif, une néo-canadienne raconte son parcours jusqu'à l'obtention de la citoyenneté.

Par
Antonine Salina
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Chaque année, environ 150 000 personnes vivent au pays une expérience qu’aucun Canadien ne connaîtra : l’obtention de leur citoyenneté. Comme nous autres, notre passeport était fourni avec nos premières couches, on a demandé à une Néo-Canadienne de nous raconter son parcours – entre son coup de foudre pour le pays et ses peines d’amour, entre les dédales administratifs et le sacre final. C’est l’histoire d’une fille qui débarque, aime et vit. Un peu comme dans Eat, Pray, Love. Mais pas tout à fait pareil.

4 DÉCEMBRE 2004. LE PREMIER JOUR DU RESTE DE MA VIE…

Mon « rêve canadien » aurait dû commencer en duo : après une relation longue distance, je devais m’installer ici avec mon mec. Mais comme le destin tient à peu de choses, j’ai finalement débarqué célibataire à Montréal plutôt qu’en couple à Québec.

Pas le choix : j’oublie le gars et je plonge dans ma nouvelle culture – que j’apprivoise sur les ondes de la radio CIBL, où je m’implique à fond. Ces années de bénévolat renforcent grandement mon intégration. Le jour où tu connais Doc et les chirurgiens, que tu as vu Michèle Richard en brune et que tu utilises l’expression « être sur les hautes » dans le bon contexte, tu sais que tu es faite pour vivre ici.

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Au fil du temps, je découvre aussi que le projet de société qu’est la souveraineté me tient à cœur, mais que, paradoxalement, si je veux un jour devenir québécoise, je dois d’abord devenir canadienne. Sans nationalité, pas de droit de vote. Et sans droit de vote, pas de possibilité de glisser un « oui » dans l’urne. Après une quête de sept ans, je réunis finalement les conditions requises (NDLR : voir plus bas) pour l’ultime étape : devenir canadienne.

25 MARS 2012. VÉRITÉ ET CONSÉQUENCE

Autre mec, autre séparation. Alors que je l’attendais depuis plus d’un an pour qu’on envoie ensemble notre demande, il me quitte après trois ans de relation. Ça me rend dingue. Je lance donc la procédure en me jurant : « Ce point-là, je vais le marquer avant lui ! » On se venge comme on peut.

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Le temps de traitement de mon dossier durera près de deux ans. Où serai-je d’ici là ? Encore à Montréal ? Avec un nouveau mec ? Un nouveau taf ? Un gamin ? Aurai-je toujours la même envie d’une nouvelle citoyenneté ? Le jour où je serai canadienne, je pourrai me retourner et constater le chemin parcouru depuis ce 25 mars.

Trois petites semaines après l’envoi de ma demande, je reçois le fascicule de préparation à l’examen, Découvrir le Canada, les droits et responsabilités liés à la citoyenneté. Je le range sur une étagère et me jure de bûcher dessus régulièrement. Mais oui, bien sûr !

20 NOVEMBRE 2013. LE TICKET D’OR

Une nuit, en rentrant pompette – mais seule – je découvre LA convocation à l’examen de citoyenneté. Date de l’événement tant espéré : le 4 décembre. Neuf années jour pour jour après mon arrivée – ça doit être un signe ! Hystérique, j’ai envie d’appeler tout le monde pour les mettre au courant. Mais il est 3 h du mat. Je vais devoir célébrer seule.

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Changement de plan : je passe de l’exultation aux larmes en 0,10 seconde en réalisant soudainement que j’ai eu vingt mois pour me préparer à l’examen et que j’ai plutôt préféré regarder pour la 6e fois l’intégrale de Sex and the City, augmenter ma dose quotidienne de shooters et repeindre mon appart (tu sais, quand le ménage devient une défaite…). Je vais donc devoir tout apprendre très vite (et probablement tout oublier dès l’épreuve finie). Un classique d’étudiant. Je déchante. Je me trouve nulle. Je me déçois. J’ai l’impression de trahir le Canada. Je voulais tellement faire ça dans les règles et mériter cette nouvelle identité.

Finalement, je vais me coucher…

Le lendemain, je dédramatise. Si je peux dénicher des solutions contre le zona et la gueule de bois sur Internet, je dois bien pouvoir y trouver une solution pour contrer les effets de ma procrastination. Je zappe la lecture du manuel et apprends directement les réponses aux questionnaires qu’on trouve en ligne. Ça ne règle pas mon problème de « trahison », mais je peux espérer un 20/20 !

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Plus ma « révision » avance, plus je me dis que le Canada n’y va pas de main morte en terme d’accueil et d’amour pour ses nouveaux arrivants. Liberté d’expression, liberté de religions, égalité entre les hommes et les femmes, toutes des bonnes valeurs mises en avant dans les questionnaires. Le Canada frime. On veut s’assurer que le nouvel arrivant soit reconnaissant pour ce nouveau départ. Je déduis aussi que les tests sont rédigés par des hommes, car à la question « Donnez des exemples de prise de responsabilités pour vous-même et pour votre famille », on propose, entre autres, « faire la lessive et tenir la maison propre ». Bref.

La note de passage est de 15 sur 20, je devrais m’en sortir.

4 DÉCEMBRE 2013. L’ÉPREUVE

Jour de l’examen. Nous sommes une soixantaine de personnes réunies dans une étroite pièce beige sans fenêtres et éclairée aux néons. Les cinq continents sont représentés. Nous disposons de 30 minutes pour venir à bout du questionnaire qui déterminera notre futur.

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Dès qu’on nous donne le go, je démarre inconsciemment une course contre la montre. Je lis les questions un peu en diagonale, tout en me disant que ce serait bête de me tromper parce que j’ai mal lu une négation. Je termine avec un chrono de 3 minutes 15. Je rends mon questionnaire, garde le crayon en souvenir et me dirige vers la pièce adjacente pour rencontrer un agent d’immigration.

La fonctionnaire qui me reçoit fait mentir les clichés administratifs : jeune, coupe courte et ultra moderne, veston super ajusté, une ancre tatouée sur l’avant-bras. Elle tourne les pages que j’ai remplies vingt mois plus tôt à la fois triste et pleine d’espoir pour l’avenir. Bon, rien n’a vraiment changé : pas d’enfant, que des histoires d’amour étonnantes (!), et toujours le même job… Mais passons, ce n’est pas un article sur « la vie d’Anto ».

Examen réussi ! Score parfait ! Je n’ai plus qu’à attendre un autre golden ticket, pour la cérémonie de citoyenneté cette fois. Sur le chemin du boulot, je poste sur Facebook : « Journée d’examen canadien. 20/20. #citoyenneté. » J’obtiens 69 likes. Le statut de mes dix ans passés au Québec aura lui beaucoup plus de succès avec 227 likes. Le Québec tiendrait-il plus à moi que le Canada ?

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22 JANVIER 2014. LE SACRE

Centre hellénique de Montréal. Le choix du lieu n’est pas très « canadien » à première vue pour une telle cérémonie, mais je souris à la vue des bâtons de hockey servant de tuteurs aux plantes.

Des membres de quarante-six autres nationalités obtiendront également leur citoyenneté, ce matin-là. On se croirait presque à Ellis Island au début du 19e siècle. Les parents sur leur 31 surveillent leurs enfants énervés ; il faut faire bonne impression, bien se tenir. Moi, j’ai chaud dans mes Sorel et personne ne m’accompagne. Quitte à m’être jetée dans l’aventure en solo, autant franchir la ligne d’arrivée seule.

On me remet mon « kit d’arrivée » (soit un pin’s du drapeau canadien en forme de feuille d’érable, un petit drapeau canadien, le serment d’allégeance — alors que j’essaie de l’apprendre par cœur depuis trois jours —, un pass pour accéder gratis à tous les musées pendant un an et 50 % de réduction sur un billet Via Rail pour découvrir le pays) et je gagne la place qu’on m’a attribuée : la 304. Comme Montréal est un village, je connais le gars assis au numéro 306. Finalement, ça fait du bien de pouvoir échanger avec quelqu’un de familier.

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Les futurs Canadiens s’installent progressivement tandis que les membres de leur famille prennent place dans la partie qui leur est réservée, au fond de la salle. On peut sentir la fébrilité de toutes ces personnes qui célébreront sûrement en grande pompe leur nouvelle vie. C’est là que ça me frappe : je ressens le syndrome de l’imposteur. Ma démarche part d’un caprice. First world problem. Je ne suis pas réfugiée politique, il n’y a pas de guerre dans mon pays, je ne fuis rien. Cette nationalité, je ne la mérite pas moins, mais elle n’est pas une question de vie ou de mort.

La cérémonie débute. Comme j’adore les rites de passage – baptême, bar-mitsva, mariage -, j’apprécie évidemment le moment, d’autant plus que celui-là n’aura lieu qu’une fois dans ma vie. Première étape : prêter allégeance à la reine (avec possibilité de le faire sur son livre saint). L’acte est très officiel : des agents de l’immigration sont postés sur les côtés pour s’assurer que nous prononçons bien le serment. Si quelqu’un est surpris à croiser les doigts ou ne rien dire, l’aventure peut encore s’arrêter ici. S’ils ne peuvent pas vraiment nous entendre, les agents vérifient au moins le mouvement des lèvres. J’exagère mon articulation : pas question d’échouer.

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Deuxième étape, plus symphonique : chanter le Ô Canada, version « hockey-bilingue ». Avec plus de 500 personnes réunies, c’est la cacophonie. Tout le monde sourit et fait de son mieux. J’ai une pensée pour les collègues qui m’ont endurée pendant que je répétais le serment et chantais l’hymne à tue-tête, non-stop, la veille.

La cérémonie en elle-même est plutôt brève : une trentaine de minutes. À la toute fin, nous allons chercher un par un notre certificat de citoyenneté. Comme à la remise des diplômes, je me fais prendre en photo avec le juge. Cliché, mais incontournable.

J’aimerais que le pays entier reconnaisse mon nouveau statut et me fasse des high five dans la rue pour me féliciter d’être arrivée au bout de ce périple. Mais je ne suis pas marathonienne, il n’y a pas d’exploit à célébrer. Je réalise que cette deuxième nationalité ne me complète pas. Au contraire, elle me divise. Je ne suis plus uniquement citoyenne de mon pays et je ne serai jamais totalement canadienne. Les « vrais » Canadiens finissent toujours par me le rappeler pour clore le débat. Je resterai toujours une « minorité audible » qui, dans certaines situations, préférera ne pas parler, plutôt que d’être jugée sur son accent pseudo-pédant.

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Quand j’appelle mes parents pour leur faire part de ma nationalité nouvellement acquise, mon père me dit avec une petite boule d’émotion dans la voix : « Tu possèdes maintenant quelque chose d’important que je ne t’ai pas transmis. »

Je viens peut-être d’accomplir quelque chose de grand après tout.

MES ÉTAPES VERS LA CITOYENNETÉ

1- Devenir résidente permanente. Le visa le plus chiant à avoir, mais le plus important. Il permet d’obtenir son NAS donc de s’installer et de travailler n’importe où au Canada. Un résident permanent peut le rester à vie – il suffit de renouveler sa carte tous les 4 ans -, mais il n’aura ni droit de vote, ni passeport canadien. En cas de faute (très très très) grave, il peut être expulsé du pays. C’est aussi l’étape la plus onéreuse : 2000 $ (l’équivalent d’environ 22 ans de permis de conduire).

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2 – Vivre au moins 1095 jours (3 ans) au Canada, le minimum exigé pour entamer sa demande de citoyenneté. Étape la plus périlleuse : calculer ses jours de présence sur le territoire. Tu ferais bien de noter toutes tes dates de vacances à l’étranger ! Question piège : quand tu rentres au pays à 16 h, est-ce que tu dois compter un tiers de jour de présence seulement ? Ah et il y a des exceptions : si tu as fait un séjour en prison, une journée ne vaut qu’une demi-journée (même si tes heures carcérales t’ont paru sans fin). Si tu étais déjà au Canada avant d’être résident, ces jours-là compteront aussi pour des demi-journées. Mais seule l’année précédant l’obtention de ta résidence compte, tu me suis ? Ça a l’air complexe comme ça, et ça l’est vraiment. Depuis juin 2015, ce sont 1460 jours (4 ans) de présence qu’il faut cumuler. Le Canada serait-il en manque de preuve d’amour ?

3 – Réussir son examen de citoyenneté : 20 questions de culture générale sur le Canada. De la plus facile (« Quel est le symbole du Canada ? ») à la question pour un champion (« Qui était le général Sir Arthur Currie ? » – non pas le frère de Marie, mais le plus grand soldat canadien de la Première Guerre mondiale). Si tu ne fais pas comme moi, tu révises régulièrement et ça se fait les doigts dans le nez, sinon tu cours le risque de faire six erreurs et de retourner à l’étape 2 (sans frais pour le second essai).

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4- Obtenir la nationalité canadienne. Et péter les plombs.

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