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Un délire de potes devenu webdoc sur le DIY à Motor City, voici Détroit je t’aime, signé Nora Mandray et Hélène Bienvenu.
Le printemps dernier, après plusieurs lectures d’articles et de livres savants, on était convaincues que Détroit cachait une utopie entre les crevasses de ses ruines, sur l’envers de ses routes cabossées. Aide à l’écriture du CNC (équivalent français de l’ONF) en poche, on prend derechef la route de la nouvelle Mecque de l’agriculture urbaine. On y pose notre baluchon en août 2011. Des dizaines de rencontres plus tard, on se rend compte que ce qui se passe à Détroit est plus fort qu’un simple retour à la terre. Détroit, c’est le futur, en vert et contre tout.
La ville a certes des allures post-apocalyptiques. Certains quartiers sont plongés dans les ténèbres dès le coucher du soleil: la mairie a laissé tomber l’affaire sur les lampadaires. Et puis, sans voiture il est quasi-impossible (sinon suicidaire) de se déplacer vite et loin, dans une ville grande comme trois fois Paris.
« Détroit, c’est un désert: parfois, tu tombes sur un oasis. Il faut juste marcher longtemps avant d’y parvenir. » C’est par cette énigme que s’amorce notre première soirée à Détroit, à deux pas de l’épave locale, la Michigan Central Station. Dans la ville que les Américains surnomment encore « Murder Capital », ça éclate les « autochtones » de rencontrer des Françaises de passage. Ici, les touristes sont aussi rares que de la neige au printemps ; les Détroiters sont curieux de savoir comment la ville nous plaît et s’empressent de nous donner leur version des faits sur le pourquoi du comment Détroit est tombé en ruine.
Mais lorsqu’il s’agit de sortir la caméra et de faire une interview, nos interlocuteurs se rebiffent. Il faut d’abord retrousser nos manches, sur leur ferme urbaine, dans leur soup kitchen, il faut serrer des boulons dans leurs ateliers vélo. Beaucoup d’équipes TV et de documentaristes sont passés par Détroit, surtout depuis que la ville est en crise. Pour un résultat parfois contre-productif. Sans parler des explorateurs urbains avides de « ruin porn », qui se trimballent de ruine en ruine appareil photo dernier cri à la main. Ici, on ne peut plus les encadrer. Cela dit nous sommes les première à l’admettre: Détroit, capsule de la débandade capitaliste, donne matière à d’excellents scénarios de film noir – au détriment des habitants, fiers du passé glorieux de leur ville et de leur communauté présente. Les Détroiters qui sont restés, parfois par choix et souvent par dépit, travaillent dur pour sauver la ville qui les a vu naître et grandir. La population est aujourd’hui Afro-Américaine à plus de 85%: ce sont les descendants des hommes et femmes venus du Sud des États-Unis dans les années 1920, qui fuyaient les plantations, la ségrégation et les salaires de misère à la poursuite du rêve américain promis par Henry Ford. Ceux-là même ont perpétué la tradition agricole de leurs ancêtres à travers jardins communautaires, puis, plus tard, fermes urbaines… voilà notamment ce qu’on apprend en plantant des oignons à Earthworks dans le Eastside.
On apprend aussi, en réparant un vélo dans un des nombreux ateliers de la ville, que les tensions raciales sont encore très présentes. Nous sommes toutes deux choquées de constater la manière avec laquelle blancs et noirs sont compartimentés dans la région, entre les banlieues et « l’intérieur » des villes. Les émeutes de 1967, lancées dans la mouvance du Black Power (et que les Noirs Américains, encore aujourd’hui, préfèrent d’ailleurs nommer « rébellions »), ont laissé une trace indélébile, entrainant les white flights dans leur sillage…
Pendant qu’on s’initie à l’art de la bidouille avec nos vingt doigts, l’idée de notre webdoc se précise… écouter les Détroiters parler attise notre désir de rendre justice à leurs histoires individuelles. Il y a un an, on démarrait « Détroit je t’aime », blogue et carnet de bord de nos recherches, mais aussi clin d’œil au passé français de la ville. Rappelons au passage que c’est Antoine de la Mothe Cadillac, explorateur français chargé de découvrir la Nouvelle France par Louis XIV, qui fonde “le détroit” le 24 juillet 1701… sans savoir qu’il donnerait plus tard son nom à une fameuse bagnole rutilante.
Notre approche sur le terrain nous vaut de gagner la confiance et le respect de nos interlocuteurs. On réalise, surtout, à quel point l’expérience de Détroit est universelle. En temps de récession, les Détroiters montrent l’exemple en gardant la tête haute et en proposant un nouveau modèle de société fondée sur le partage : c’est l’attitude « DIO » : Do It Ourselves, qui triomphe aujourd’hui. Les efforts micro-locaux rassemblent les Détroiters malgré leurs différences et leurs ressentiments d’un passé encore proche. En faisant le choix d’un mode de vie simple et alternatif, Détroit ouvre une terre des possibles, sur le tombeau de l’industrie automobile. La société DIO fonctionne sur le dialogue, le bouche à oreille, l’échange de trucs et astuces. D’où l’idée d’une application (en sus du webdoc) pour permettre à tout et à chacun de démarrer ses propres initiatives DIY/O sur l’exemple de Détroit. Et vice-versa !
Au bout de notre séjour de recherche, nous décidons de rester un an complet afin de documenter au mieux le tournant que connaît la ville. Fin juin, nous avons lancé une grande campagne de collecte de fonds sur Kickstarter, qui s’est achevée avec succès.
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