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Dessine-moi la haine, l’amour, l’anarchie et la paix
Un défi graphique qui se relève en dix secondes.
L’histoire humaine est pleine de symboles graphiques. Des peintures des cavernes aux logos modernes, en passant par les hiéroglyphes égyptiens, les blasons du Moyen-Âge et les maudits tags sur les murs des écoles, tout ou presque se barbouille ou se dessine. Une sorte de méta-écriture bien vivante qui transcende souvent les langues et tend vers l’universel.
Mais qu’est-ce qui transforme un gribouillage en symbole, au juste? Quel chemin doit prendre un graffiti pour être universellement reconnu?
Mais qu’est-ce qui transforme un gribouillage en symbole, au juste? Quel chemin doit prendre un graffiti pour être universellement reconnu?
Vous vous en doutez : il n’y a pas de recette, mais une longue suite de hasards.
Prenons quatre symboles parmi les plus connus. Et, puisque j’écris ces lignes un 14 février, commençons par l’amour…
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Si le CŒUR, organe éminemment vital, est devenu le symbole de l’amour, est-ce parce que l’amygdale, le vrai siège des émotions, est trop difficile à dessiner? Mais non, c’est juste que le cœur est le moteur de la vie, et sans vie, pas d’amour!
En deux courbes, le cœur-symbole rappelle très vaguement la forme de l’organe cardiaque, avec les deux ventricules en haut, et une base plus étroite.
Les Grecs anciens employaient déjà cette stylisation, mais il semble qu’elle soit en fait inspiré d’une feuille de lierre. Ce qui est cocasse, c’est que certains historiens pensent qu’il représente plutôt la graine d’une plante disparue, et qui servait alors de contraceptif. Amour, graine, contraceptif, tout y est.
À la Renaissance, ce bon vieux Leonard de Vinci traçait parfois ce symbole à la place du cœur, pour en indiquer la place. Et bien sûr, le cœur (rouge) est aussi l’une des quatre «couleurs» du jeu de cartes.
Chose rare pour un symbole, le cœur reconnaît quelques variantes officielles : percé d’une flèche, il devient la cible d’Éros ou de Cupidon; brisé, il exprime une rupture; et il se personnalise facilement par l’ajout des initiales des tourtereaux. Aaaah.
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Pour n’importe quel être humain né en Occident dans les 80 dernières années, la croix gammée, ou SVASTIKA, représente le Mal. La dictature, le nazisme, la haine, la mort. C’est le Voldemort des logos.
Pourtant, ce «symbole universel» est présent dès le néolithique. De l’Europe de l’Est à l’Asie en passant par l’Afrique, l’Océanie et les deux Amériques, il charrie toutes sortes de significations, généralement positives! Amis voyageurs, ne vous surprenez pas de le voir représenter le dieu Ganesh en Inde ou l’éternité en Chine.
C’est évidemment quand Hitler récupère le symbole au début des années 1930 pour désigner la «race aryenne» que les choses prennent une sale tangente. Techniquement, la croix gammée nazie est un svastika dextrogyre incliné à 45 degrés, noir sur un disque blanc centré sur un drapeau rouge.
Pour des raisons évidentes, l’utilisation de cette croix gammée est aujourd’hui interdite dans plusieurs pays.
Le nom svastika vient d’un mot sanskrit – donc du sous-continent indien – qui signifie «ce qui porte chance». Quant à l’expression «croix gammée», elle se réfère simplement au dessin qui se compose de quatre lettres capitales grecques gamma (Γ).
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La PAIX est un concept tellement indispensable qu’il s’incarne de plusieurs façons, en plus de celle dont on parle ici : «la colombe, la flamme, le rameau d’olivier (allô!), la grue en origami (hein?) et le calumet ont été utilisés selon les cultures et contextes». Source : Wikipédia.
L’emblème qui nous intéresse ne représente ni un avion, ni la tour Eiffel, ni une perspective isométrique. Il a été dessiné en 1958 par Gerald Holtom, pour la campagne britannique pour le désarmement nucléaire, car cette paix-là s’oppose d’abord à la guerre totale. C’est une combinaison des lettres N et D (pour Nuclear Disarmament) en code sémaphore. N : On tient les petits drapeaux à 45 degrés. D : on les brandit en haut et en bas.
La force d’un symbole est d’être une représentation abstraite de quelque chose qui ne se dessine pas vraiment.
Peu importe que tout le monde ignore cette signification première : la force d’un symbole est d’être une représentation abstraite de quelque chose qui ne se dessine pas vraiment.
Ce signe rond – qu’on ne doit pas confondre avec le logo de Mercedes – connaîtra bien sûr une immense popularité dans les années 60 et 70 en cristallisant les aspirations peace and love des baby-boomers.
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Selon l’époque et le lieu, l’ANARCHIE est représentée sous plusieurs formes : drapeau rouge, drapeau noir, drapeau bicolore ou chat noir (eh oui, mon minou). Mais c’est le plus universel et le plus graphique des symboles que j’analyserai ici : le «A cerclé».
C’est le seul de nos quatre symboles qui contient une lettre de l’alphabet. Rien de cryptique, le mot ANARCHIE commence par un A dans la plupart des langues latines et anglo-saxonnes.
Ce dessin est né en France en 1964, œuvre de Tomás Ibáñez et de René Darras – oui, ils s’y sont mis à deux –, dans une volonté de proposer un signe de ralliement au mouvement anarchiste. Le premier objectif? «Trouver un moyen plus pratique et rapide de minimiser le temps et la longueur de signature sous les textes et slogans.» On vise donc la concision et l’impact, un peu comme le S de Superman. Il faudra attendre les événements de mai 68 pour que le A cerclé se répande dans le monde entier et devienne la star des palissades.
J’en profite pour rappeler que l’anarchie n’est pas le synonyme du chaos, du bordel ou de l’apocalypse, mais plutôt un système politique dans lequel il existerait une organisation, un ordre, un pouvoir politique, mais pas de domination unique ayant une vocation coercitive. De rien.
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Les trois principales raisons pour lesquelles ces quatre symboles sont ancrés dans notre imaginaire sont leur utilité (ils répondent à un besoin), leur simplicité (ils se dessinent en trois secondes) et… la chance, qui les a fait émerger au bon endroit et au bon moment.
Plusieurs autres signes peuvent être vus comme des prétendants au titre de symboles universels. Les symboles des genres (joyeusement modulables), l’infini (mathématique et philosophique), le yin/yang (pour les amateurs d’équilibre), l’Œil de la Providence (et son pendant complotiste Illuminati), l’étoile (qui veut dire BEAUCOUP de choses), le pénis (parfois ailé), Lovesymbol (a.k.a. Prince), l’extinction (et Extinction Rebellion), Peace for Paris (pour les attentats de Paris, en 2015), le pouce en l’air (merci Facebook), le logo du recyclage (pas facile à dessiner), les émojis…
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Nous vivons une époque charnière où le besoin de nouveaux symboles s’accélère chaque jour, alors à vos crayons!