Logo

Descente dans l’enfer des logos métal

Une expérience qui laisse échevelé et sans voix.

Par
Olivier Bruel
Publicité

En principe, un logo doit posséder certaines qualités : être unique, engageant et lisible. Il existe pourtant un monde parallèle où les logos sont tous pareils, terrifiants et illisibles. Plongée dans les ténèbres du métal extrême, avec un expert du genre.

Parce que ce domaine opaque constitue une exception dans le domaine de l’image de marque, j’ai voulu en savoir plus. Et comme je n’y connais rien en métal – je suis plus du genre papier –, j’ai fait appel à Benoît Lelièvre, gestionnaire de communauté chez URBANIA, et savant fou autoproclamé des groupes métal obscurs.

★ ★ ★

Salut man [signe de la main malhabile, avec index et auriculaire tendus]! Le métal semble comprendre une foule de sous-genres. Peux-tu d’abord nous situer lesquels adoptent des logos illisibles?

Oui : c’est à la naissance du black metal que les logos ont commencé à délirer. En réaction au métal surproduit et commercial, l’esthétique est lo-fi, la distribution aussi (souvent par cassettes numérotées), et les logos suivent cette approche délibérément rébarbative. Le premier groupe qui m’a posé problème avec la lisibilité de leur logo est Darkthrone. Ça a été le début d’une surenchère d’illisibilité, mais c’estt vraiment à la naissance du slam et celle du goregrind que c’est devenu pire ridicule. C’est là que le côté conceptuel des logos a perdu son sens.

Darkthrone et Mayhem

Quand cette fracture s’est-elle produite?

Publicité

Vers 1985-86. Mayhem a lancé le bal, mais ils étaient encore des ados et leur logo était quand même lisible. Je dirais que la période charnière était peut-être entre 1987 et 1992. Plein de groupes ont emboîté le pas et ont voulu pousser l’enveloppe. La chose magnifique là-dedans, c’est que tout ce beau monde se connaissait personnellement. Le film Lords of Chaos explique bien l’atmosphère de laquelle est née cette esthétique.

Parlant d’esthétique, c’est quoi les influences? J’y vois du gothique médiéval, du satanisme, un look «film d’horreur»… C’est le festival des crânes, des armes blanches, des cheveux sales et du sang qui coule : tout pour faire peur aux mamans!

Oui, et aussi la nature, l’hiver, la noirceur, et l’héritage nordique pour certains. Le logo de Darkthrone est supposé être de la neige, et les premiers logos gribouillés, des branches d’arbres. C’était super DIY dans ce temps-là, donc c’était pas toujours beau!

En effet. Parle-nous des Scandinaves.

Publicité

La Norvège, la Suède et surtout la Finlande : c’est là que tout a commencé et que ça signifiait quelque chose. Aujourd’hui, tout le monde gribouille des logos illisibles, mais c’est juste une esthétique. Ce n’est pas si différent de Justin Bieber qui met des t-shirts de Metallica.

Est-ce que TOUS les groupes de métal ont un logo de ce style?

D’habitude, ça veut dire que le band est très extrême, très médiocre… ou les deux.

On retrouve ces logos dans tous les genres jugés extrêmes (black, death, slam, grind, etc.). D’habitude, ça veut dire que le band est très extrême, très médiocre… ou les deux. Ça camoufle parfois des noms pas possibles comme Prosanctus, Inferi ou Epicardilectomy. Les groupes qui ont le plus de succès ont souvent un nom simple et un logo lisible : Slayer, Motörhead, Mayhem.

Prosanctus, Inferi et Epicardilectomy

Publicité

Justement, revenons aux logos illisibles. Est-ce que c’est parce qu’ils n’assument pas leur nom? Par provocation? Par esprit cryptique?

Bonne question. Je pense que la plupart de ces groupes seraient incapables d’y répondre eux-mêmes. Il y a un certain niveau de conformisme, dans le sens : «Ah, j’vais être encore plus extrême que toi. J’vais faire la même chose, mais pire»! C’est rare, les bons groupes avec des logos illisibles, mais ça arrive. Short Bus Pile Up et Last Days of Humanity en sont des exemples.

Short Bus Pile Up et Last Days Of Humanity

Publicité

D’après toi, dans quelle mesure ces groupes se prennent-ils au sérieux? Parce que ça pourrait être juste une bande de post-ados qui trippent sur des affaires effrayantes et qui pourraient aussi bien faire de la BD ou se taper des films de peur à la place…

Oh, ça se prend très au sérieux. Ces groupes tirent une grande fierté de leur brutalité ou de leur virtuosité…

Qui dessine ces logos? Le plus «doué» du groupe? Des graphistes spécialisés? Un médecin à la retraite? Un chimpanzé dressé?

La réponse varie probablement d’un groupe à l’autre, mais mon idée c’est que celui qui a un chum doué en dessin le paye 50 $ ou des billets de show gratis pour quelques heures de son temps.

Ai-je raison de voir un parallèle entre ces logos torturés et indéchiffrables et les «screamers» de ces groupes, qui hurlent des paroles incompréhensibles?

Ah, c’est pas con. Je ne crois pas que ce soit fait de manière consciente, par contre. À part pour ceux qui déforment leur voix à l’aide de matériel électronique, on se fait l’oreille aux cris et on vient à comprendre les paroles.

Et à lire les logos?

Publicité

Ah, ça non! Je suis capable d’en lire quelques-uns, mais y’a des trucs qui ont aucun bon sens.

Pour finir sur une note légère, peux-tu partager les logos qui te font le plus rire?

1. Ce band-là s’appelle Sorrow Storm. INDÉCHIFFRABLE.

2. Biological Monstruosity. On dirait de la morve.

3. Je suis pas trop sûr c’est qui, mais je trouve ça épouvantable. (ND : vérification faite, il s’agit tout simplement d’Eximperituserqethhzebibšiptugakkathšulweliarzaxułum, voyons!)

Publicité

4. Nuclear War Now… si je connaissais pas le groupe, j’aurais pas pu dire.

5. Horrordelic. C’est un label norvégien.

6. Un défunt band de Québec. Leur musique est bonne, mais pas leur logo. Le nom n’est pas facile non plus : Bakbakwalanooksiwae (un monstre mésopotamien). Quand je te disais que des fois, ça camoufle des noms de merde…

Merci pour ces précieux détails, et surveille tes fréquentations!

Publicité