Logo

Des puces, et bien puces encore!

Par
Pierre-Yves Giraud
Publicité

Le marché aux puces de Saint-Ouen est connu dans le monde entier. Urbania est allé y jeter un œil. S’il n’a rien marchandé, il revient avec la plume pleine de souvenirs…

Au nord de la butte Montmartre, porte de Clignancourt, s’étend le marché aux puces de Saint-Ouen. Attirant parisiens bobos et touristes à gogo, le marché est devenu le deuxième lieu de la capitale le plus attractif. Le marché regorge de trésors en tout genre et de toute époque. Dans une ambiance populaire, on vient pour chiner la bonne affaire – ou celle qu’on croît l’être – ou simplement balader le temps d’un week end.

D’un marché à l’autre, un voyage dans le temps et un choc culturel s’opèrent. Seize places, réparties sur sept hectares, accueillent pas moins de 2000 exposants chaque fin de semaine. Meubles anciens, œuvres d’art, fripes, objets insolites… Le long des allées, les siècles défilent et ne se ressemblent pas. Mais ils se rassemblent pour former un patrimoine extraordinaire et unique. Au marché Serpette, les antiquités du 16e siècle côtoient le design du 20e. Le marché Vernaison, installé entre la rue des Rosiers et la rue Voltaire, est considéré comme le lieu de naissance des puces de Saint-Ouen.

Publicité

Pourtant, c’est au-delà du périph, à la porte Montmartre, que les puces prennent leur origine. Installés à même le sol, de vieilles babioles en guise de marchandises : tiens, voilà les biffins ! Finies les antiquités reluisantes du marché Biron, car ce qu’on vend ici, ce sont des objets de récupération trouvés au fond des poubelles parisiennes. Un théâtre de la pauvreté, certes. Mais ce n’est pas un hasard si un bourgeois parisien du 19e siècle lançait : « C’est un véritable marché aux puces ! » pour décrire la zone des Malassis.

Pour Serge Malik, président du marché aux puces, les biffins témoignent de l’histoire du marché et y ont toute leur place. A l’origine, les biffins sont des roms, des personnes issues de l’immigration ou des pauvres citadins qui se réunissent à l’extérieur des fortifications de Paris. « Les plus démunis ont toujours récupéré les restes des plus riches », dit-il, pour expliquer la provenance des marchandises. Si le portrait dressé est peu reluisant comparé aux autres places luxueuses, Serge Malik désire que le marché garde toute son authenticité. En collaboration avec l’association Aurore et la Mairie du 18e arrondissement de la Ville de Paris, il a permis l’octroi de cent places légales au carré des biffins et ainsi « rendre aux biffins ce qui appartient aux biffins ». Bien entendu, qui dit légal dit – fatalement – illégal. Le marché des biffins s’étale au-delà de ces cent petites places.

Publicité

Cette culture populaire est victime d’images peu flatteuses. On associe aux biffins les quelques vols de portefeuilles et marchés de l’ombre. L’amalgame est vite établi et soutenu par les médias. Il suffit de regarder le reportage de l’émission Enquête Exclusive. Musique de fond qui fait peur, voiture de police passant au ralenti, la contrebande de téléphones portables s’organisent sous les manteaux. Les criminels revendent les jouets des empires Nokia ou Samsung à des prix inégalables. Un scandale. Quant aux pickpockets… Si on se promène dans la caverne d’Ali Baba, il n’est pas surprenant de pouvoir tomber nez à nez avec l’un de ses quarante voleurs.

Avec une telle image, il serait étonnant que le marché soit classé pour son ambiance depuis plus de dix ans et mondialement reconnu si ce n’était qu’un repère pour une guilde de racoleurs. Il faut regarder le marché dans sa globalité. Le marché sans les biffins, c’est comme une tarte aux fraises sans les fraises.

Le charme d’antan

Serge Malik et son équipe travaillent à redorer le blason du marché et à entretenir cette ambiance festive et populaire. Le marché est animé durant l’année de plusieurs activités, expositions et festivals. En avril dernier, le « Charivari de chaises » exposait à Serpette l’évolution des assises. En octobre, le cinéma est à l’honneur avec les Puces en Fêtes. L’été est célébré en musique avec le festival jazz-musette des puces. Enfin, le Marché Malassis développe des activités en lien avec les métiers de l’artisanat.

Publicité

Le festival jazz-musette connaît un succès grandissant. Nombreux sont les artistes à venir y gratter les cordes ou à le soutenir. Il naît en 2000 de l’initiative du président Serge Malik et de son ami Didier Lockwood. Les deux musiciens et amis de longues dates se rencontrent au bar le Picolo. Ils se remémorent avec nostalgie l’ambiance du marché d’antan. « Dommage qu’il n’y ait que des pôles de résistance », lance Serge à son compère. Les deux hommes en viennent vite à imaginer des musiciens au milieu des allées fredonnant des airs populaires, les gens dansent ou s’attablent autour de repas à la bonne franquette. Né dans un bistrot, le festival est désormais un attrait de grande envergure du marché avec ses 20 000 spectateurs annuels.

Parmi les pôles de résistance, les deux hommes pensent notamment à la guinguette de Madame Louisette. Créé dans les années 30, le restaurant reste fidèle à l’ambiance festive et propose un menu à la bonne franquette, une bonne cuisine traditionnelle. Georgette Lemaire et Manuela, les deux artistes du cabaret populaire, sont devenues les stars du marché aux puces. Padam Padam de Piaf, La Montagne de Jean Ferrat… le répertoire de la chanson française est revisité chaque week end pour le plaisir de tous. Au loin, la patronne, cigarette au bec, contemple le climat festif, identique à celui de l’époque.

Publicité

Ainsi, à Saint-Ouen, on se balade çà et là. Entre buffets du 17e et radio-réveil abîmé, on marchande avec de bons vieux parisiens et avec l’immigré nouvellement arrivé. On regarde les antiquités et on repart avec un vieux vinyle de jazz, alors qu’on n’a même pas de platine vinyle et qu’on n’y connaît rien au jazz. On est comme un Benjamin Malaussène dans le Belleville décrit par Daniel Pennac, au cœur des quartiers populaires, loin des Champs Elysées et de la tour Eiffel. On vient faire la fête et vivre la France de l’époque. On ne sait plus à quelle époque on est, mais il fait tellement bon y vivre qu’on a envie d’y rester. Avant de retourner aux plaisirs contemporains et quotidiens du métro-boulot-dodo ou des bouchons du périph.