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Des organisations queer tournent le dos à Fierté Montréal
Non-respect d’engagements contractuels, manque de transparence, liens présumés avec des groupes et institutions soutenant Israël : plusieurs collectifs artistiques et organismes communautaires queer ont récemment annoncé qu’ils se dissociaient de Fierté Montréal pour ces raisons. Pour sa part, l’organisation rejette ces allégations, tout en assurant qu’elle est ouverte au dialogue et prête à rectifier le tir.
Dans la foulée de ces tensions, un nouveau festival voit le jour : la Wild Pride Montreal, ayant pour but de « reprendre possession de la Fierté » en proposant une alternative « engagée » et non corporative.
Ces événements surviennent moins d’un an après l’interruption momentanée du dernier défilé officiel de Fierté Montréal par des manifestant.e.s propalestinien.ne.s.
Huit mois plus tard, les dissensions demeurent vives.
DES COLLABORATIONS QUI TOURNENT MAL
Le 4 avril dernier, les collectifs artistiques Sweet Like Honey, Blush, ElleLui et Discoño – qui organisent des événements festifs pour la communauté queer, particulièrement lesboqueer – ont publié une déclaration commune sur Instagram. Ils y ont accusé Fierté Montréal de comportements « abusifs » : non-respect d’ententes, travail sous-payé ou non rémunéré, et manque de transparence sur le plan financier. Ils y ont également annoncé leur dissociation de l’organisation.
URBANIA s’est entretenu avec les quatre collectifs, qui affirment avoir eu des expériences négatives avec Fierté Montréal.
Selon leurs dires, l’organisation leur aurait notamment refilé des frais qu’elle s’était pourtant engagée à couvrir, et aurait tenté de dissuader un collectif de réclamer une rémunération après avoir travaillé à l’organisation d’un événement.
En plus des présumées ruptures de contrats, les collectifs plaident que leurs besoins n’ont pas été entendus. « On a partagé des besoins particuliers de nos communautés, comme le fait qu’un billet à 35, 40 piastres, ce n’est pas abordable pour des personnes à l’intersection des identités avec lesquelles on travaille », explique Eloise Haliburton, fondatrice du collectif ElleLui, qui a collaboré avec Fierté Montréal pour l’événement HEATED en août 2023. Les billets en admission générale s’étaient finalement vendus à 30 $, plus frais.
Avery Burrow, fondatrice de Blush, estime également que l’événement FANTASME, que son collectif a organisé en 2024 avec Sweet Like Honey et Lust Cove en collaboration avec Fierté Montréal, était « beaucoup trop cher pour notre public ». Elle explique que la communauté lesboqueer est particulièrement vulnérable sur le plan économique, comparativement à d’autres groupes de la communauté LGBTQ+.
Dans les commentaires défilant sous la publication des collectifs, la solidarité abonde. De nombreux.ses membres de la communauté LGBTQ+ y partagent leur appui, ainsi que leurs mauvaises expériences avec Fierté Montréal.
FIERTÉ MONTRÉAL SE DÉFEND, MAIS TEND LA MAIN
Le 9 avril, Fierté Montréal a réagi via un communiqué publié sur son site Internet. « Nous dénonçons que ces collectifs contribuent intentionnellement à des efforts de désinformation à notre sujet », peut-on y lire.
« Nos contrats sont transparents et partagés avec les artistes et les collectifs avec qui nous collaborons. Toute clause peut être négociée, révisée et modifiée. Nous respectons nos responsabilités contractuelles et mettons en place des mesures d’atténuation en cas d’imprévus », assure l’organisation.
Le directeur général, Simon Gamache, admet toutefois que certaines erreurs ont pu être commises. « Il se peut qu’il y ait des choses qui ne se soient pas nécessairement bien passées, mais on est à l’écoute, puis on veut absolument rectifier le tir », a-t-il déclaré en entrevue.
Il explique que ces allégations ont un impact direct sur son organisation. « On a eu beaucoup de discussions à l’interne par rapport à ça. Comment peut-on mieux faire les choses, comment peut-on s’assurer que ces personnes, ces groupes-là, soient représentés? Des groupes qui sont davantage marginalisés », explique le directeur général, réitérant sa volonté de tendre la main aux collectifs dissidents. « Mais les attaques ont été quand même très virulentes. Surtout que nous, on est toujours ouverts à discuter puis à régler ça directement avec les groupes », se désole-t-il.
DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES SUIVENT LE PAS
Le 14 avril, Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de l’Ouest-de-l’Île a également annoncé qu’il rompait ses liens avec Fierté Montréal, se joignant du même coup aux organismes Helem Montréal, Jeunesse Lambda, la Coalition des groupes jeunesse LGBTQ+ et AlterHéros.
La raison principale : l’association présumée de Fierté Montréal avec des « groupes sionistes ».
Une accusation dont se défend sans détour Simon Gamache. « On ne se positionne pas dans des conflits géopolitiques. On est tout à fait empathique avec ce que les communautés peuvent vivre ici et ailleurs, ça, c’est sûr et certain. Mais d’aller dire qu’on travaille avec des organisations sionistes, non, ça, ce n’est pas vrai. »
« L’année passée, il y a eu des groupes juifs queer qui ont voulu prendre leur place – puis qui ont eu une place dans le défilé –, comme plein d’autres groupes, dont des groupes propalestiniens qui avaient aussi leur place dans le défilé », explique-t-il. « Nous, ce sont les voix queer qu’on veut amplifier, peu importe leur origine, leur religion. »
Le 19 février, avant que tout n’éclate, Gamache avait publié une lettre ouverte dans Fugues, dans laquelle il dénonçait la division au sein de la communauté queer au sujet de son organisation, et tentait de corriger des informations qui circulaient à son sujet. « Fierté Montréal ne finance aucune organisation israélienne ni aucune organisation internationale », peut-on y lire.
Mais sur le terrain, plusieurs organisations affirment ne plus se sentir représentées par Fierté Montréal. « Depuis l’existence de Helem, on travaille avec Fierté, mais ces dernières années, on ressent vraiment une déconnexion face à nos besoins et face à leur engagement envers la communauté. Et on n’est pas les seul.e.s à ressentir ça », avance Yara Coussa, membre du CA de Helem Montréal, un organisme dédié aux communautés queer arabophones, et membre fondatrice de la Wild Pride.
WILD PRIDE : UNE FIERTÉ ALTERNATIVE VOIT LE JOUR
C’est dans ce contexte de division qu’émerge Wild Pride Montreal, proposant de « reprendre possession de la Fierté ».
Le collectif prévoit organiser de nombreux événements pour la communauté, en plus d’un défilé.
Composé de plusieurs organisations et personnes queer, le collectif « est né d’un besoin urgent de nous recentrer sur nos valeurs fondamentales qui sont la résistance, la solidarité, la célébration authentique de nos identités, et non pas la corporisation de notre parade », affirme Yara Coussa.
Dans un communiqué qu’il a fait parvenir à URBANIA, le collectif accuse par la bande Fierté Montréal de « pinkwashing », soit une stratégie de communication qui consiste à mettre de l’avant le soutien d’une entreprise ou organisation aux communautés LGBTQ+ à des fins d’image, sans engagement concret envers celles-ci.
« Nous exigeons le remplacement immédiat du directeur général, Simon Gamache, la rupture de tout lien avec les corporations exploitantes et complices de génocide, et une réponse aux demandes des organisations communautaires, affirmant sa solidarité avec les peuples colonisés et victimes de violence gouvernementale, de l’Île de la Tortue à la Palestine », peut-on y lire.
Dans une publication Instagram datée du 14 avril, le collectif annonçait la création de la Wild Pride et appelait les organisations et artistes queer à s’impliquer. Yara Coussa affirme qu’en deux jours, le collectif avait déjà reçu 328 applications.
« La Wild Pride, c’est positif », avance de son côté Simon Gamache. « Dans la communauté LGBTQ+, il y a une diversité de personnes et de perspectives. C’est tout à fait sain qu’il y ait ça. »
« La Wild Pride, je suis super content que ça ait lieu, parce que c’est une plateforme supplémentaire pour les artistes queer. Puis on en a besoin de plus en plus », ajoute-t-il.
Le directeur général se désole toutefois que la situation se soit autant « enflammée ».
Malgré la rupture, la multiplication d’espaces où les communautés queer peuvent perdurer semble porteuse. Il ne reste plus qu’à voir si celles-ci parviennent à coexister au sein d’une même métropole.