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Des nuances de vert – Petit guide à l’attention des daltoniens politiques

Par
François Parenteau
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Le vert est une des couleurs les plus problématiques pour les daltoniens. Elle est souvent confondue avec d’autres couleurs. Il en va de même du vert politique pour le regard du citoyen.

Ce petit guide se veut une sorte de décodeur de l’arc-en-ciel des verts-pas-clairs qui colorent notre paysage politique et médiatique. Car les faux verts pullulent, se croisent et donnent naissance à d’étranges hybrides. Portrait sans lunettes roses…

Les crinqués

Il y en a chez qui la colère et la volonté d’affrontement précèdent la cause qu’ils défendent. À une autre époque et en d’autres lieux, on en aurait fait des révolutionnaires. Certains, pas cons, s’accrochent à la cause environnementale. Mais pour eux, il y a avant tout des bons et des méchants. Et on dirait qu’ils mettent beaucoup plus d’énergie à dénoncer les coupables qu’à proposer des solutions. En revanche, s’ils peuvent parfois paraître dogmatiques et être un peu épeurants, ils peuvent être nécessaires pour faire avancer le dossier. Ils sont cependant condamnés à faire partie du camp des éternels déçus et leur croisade n’aura jamais –jamais– de fin…

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Les honteux de l’espèce humaine

Quand on laisse certains défenseurs de l’environne­ment s’étendre trop longtemps, leur tartinade finit par trahir autre chose. Plusieurs tiennent en fait un discours nihiliste. Ils sont tellement convaincus que la fin du monde approche, qu’on a l’impression qu’ils seraient déçus qu’elle n’arrive pas. Pour ces découragés de l’espèce humaine, le moindre hamster de laboratoire mériterait plus d’être protégé qu’un être humain irresponsable et polluant. Il y a souvent un vieux fond catholique recyclé dans cette pensée moraliste qui carbure à la culpabilité. L’homme serait en train de se chasser lui-même par son inconscience du paradis terrestre. On ne mérite pas notre planète. Navrant.

Les consommateurs verts

Pour ce faux-vert, tout est affaire de mode. Il vote avec son argent. Et le plus souvent possible. Il aura une voiture hybride, un poêle à combustion lente et des vêtements de fibres naturelles griffés d’une marque qui s’affiche ostensiblement comme étant organique et équitable. Il fera des kilomètres en auto pour acheter un produit bio. Ce qui est important, c’est que ça paraisse. C’est mieux qu’un cave qui veut flasher en Hummer ou une princesse de centre d’achats qui s’achète un Cherokee parce qu’elle s’y sent plus en sécurité, mais c’est tout de même à côté de la track…

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Les lyriques opportunistes

Ils sont attirés par les nobles causes et les beaux mots comme des maringouins par un spot. Leur engagement semble d’abord un choix esthétique. Une posture. Ils se drapent dans le vert et attendent les applaudissements. De ce lot, les artistes jouissent de circonstances atténuantes puisque c’est un peu leur job. Et puis, ça a le mérite de populariser la cause. Mais dans le cas de politiciens de carrière, la tendance peut être particulièrement détestable.

Les nationalistes verdoyants

Les choix relativement verts du Québec en matière de production d’énergie sont pour eux une source de fierté, renouvelable à l’infini. L’environnement sert surtout ici à gonfler d’un noble orgueil la voile du nationalisme. C’est ainsi que l’appui à Kyoto est presque devenu au Québec un enjeu identitaire avant d’être environnemental. Et bien sûr, chaque fois, c’est que la protection de l’environnement coïncide avec les intérêts économiques et politiques du Québec. Or, des emplois en région, c’est aussi des votes… Si on trouvait du pétrole en Gaspésie, il y en a dans l’essaim qui seraient pas mal fourrés…

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Les déguisements ratés

C’est l’espèce qui se reproduit le plus rapidement, et principalement en campagne électorale. Il n’y a pas si longtemps, ces nouveaux verts s’affichaient fièrement dans le camp des écosceptiques. Pour eux, se soucier de l’environnement était au mieux une sorte d’immaturité romantique. Une naïveté pleine de bonnes intentions, mais nuisible économiquement. Mais ça pouvait aussi trahir un «?agenda caché?» communiste avançant sous de fallacieux prétextes environnementalistes. Avec le temps, les débats publics et les sondages aidant, ils se sont bien rendus compte qu’ils avaient perdu la bataille de l’opinion publique et qu’ils ne pouvaient plus dire ouvertement ce qu’ils pensaient sans risquer de se peinturer dans le coin. Ils ont donc fleuri leur discours, mais pas leurs priorités. Ils ne feront jamais rien qui nuirait à une industrie polluante déjà en place, ils ne feront que traficoter les concepts et les statistiques. Ils sèment du vent. On attend la tempête pour bientôt…

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Les déguisements réussis

À la différence du déguisement raté, ce vert-là est plus profond. C’est malgré tout un déguisement. Il y aura des résultats et des mesures concrètes, mais l’environnement leur est apparu non pas comme une obligation morale et scientifiquement logique, mais bien comme un outil stratégique. Le plus drôle, c’est que ce sont peut-être les plus efficaces.

Les nostalgiques du terroir

Ceux-là sont contre ce qui pollue et détruit l’envi­ronnement, mais leurs motivations sont plus roman­tiques qu’écologistes. Ils veulent juste que ça ne change pas. Mieux?: ils veulent que ça revienne comme avant. Un feu de foyer a beau être une aberration qui pollue et gaspille, ça sent bon et ça rappelle de beaux souvenirs. Une éolienne qui démolit la belle vue par contre, c’est une horreur. Ils peuvent être utiles, mais ils s’en tiendront souvent au discours du «?pas dans ma cour?».

Les moutons verts

Ils n’ont que quelques notions confuses à propos de l’écologie et sont incapables de reconnaître une preuve scientifique quand ils en voient une. Ils n’iront pas changer grand-chose à leurs habitudes de vie. Pas trop vite, en tout cas. Mais ils ont bien senti qu’il fallait se dire écologiste. Instinctivement, ils savent que c’est «?le bon bord?». Ils n’ont l’air de rien, mais il suffit qu’ils se mettent tous à acheter des ampoules fluocompactes pour faire une différence.

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Les pas mûrs

Mention honorable, ici, à ceux qui affichent ouverte­ment leur écoécoeurement. Ils donnent du lip service à la cause environnementale, c’est maintenant obligé, mais ils ont l’insulte facile pour décrire ceux qui militent dans ce domaine. Ils seraient un troupeau de brebis égarées et menées à leur perte par les bons sentiments, des gosseux de poils de grenouilles, des pelleteux de nuages, des antiprogrès… Dans leur logique passéiste, le développement s’est toujours fait en triomphant de la nature. Il n’y a pas d’autre chemin possible. Ils ont envie de faire un bon gros barrage comme en d’autres pays, on se souhaite une bonne guerre pour remettre les jeunes au travail et repartir le fourneau de l’économie. Au moins, en ne cachant pas leur pensée profonde, ils permettent d’alimenter le débat.

Les vrais de vrais verts

Contrairement à ce qu’on pourrait croire en suivant l’actualité, ce n’est pas une espèce si répandue. Souvent, le vrai vert possède une formation scien­tifique, mais on connaît des espèces autochtones et plusieurs variétés locales. Le vrai écologiste n’agit ni par nostalgie ni par souci de bien paraître. Il est profondément convaincu, en fait, que c’est plus rentable pour l’homme, à tous les points de vue, de se soucier de la qualité de son environnement. L’idée-clé, pour lui, c’est le développement sout­enable. Il sait, par exemple, qu’un développement non soutenable entraînera à la longue plus de coûts qu’il ne générera de bénéfices, mais surtout que ces coûts deviendront le lot de toute la société alors que les bénéfices ne rapporteront surtout qu’à ceux qui exploiteront la richesse. En fait, le vrai écologiste est un économiste avec une vision plus large.
Et plus juste…

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Ce texte est issu du numéro Vert | Printemps 2007