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Des nouvelles de l’arc-en-ciel

Et puis, ça a bien allé?

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Ça va bien aller. L’expression consacrée de 2020.

Le slogan pandémique porteur d’espoir par excellence, presque élevé au rang d’hymne national par les jumeaux Tadros.

Rappelez-vous en mars dernier, cette époque lointaine où on avait de la misère à épeler le mot «Arruda» et où Lucie Laurier était théoriquement encore comédienne, lorsque les dessins d’arc-en-ciel sont massivement apparus à nos fenêtres.

«Ça va bien aller!», scandait-on alors d’une seule voix et avec des crayons multicolores, à l’heure où personne ne savait trop s’il fallait «aplatir» ou « aplanir» la foutue courbe.

Aujourd’hui, un semblant de normalité est revenu, mais ces dessins d’arc-en-ciel tapissent toujours les fenêtres des résidences et commerces, témoins privilégiés d’une année de bouette.

La crise n’est pas finie, la menace d’une deuxième vague plane, la rentrée scolaire s’annonce bordélique, on est pas encore 100% habitués au port du masque même si on est en sa faveur, mais ces vestiges rouge/orange/jaune/vert/bleu/indigo/violet nous rappellent chaque jour que ça va bien aller.

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Un peu plus de cinq mois après leur apparition dans le paysage résidentiel, LA question se pose: pis, ça a bien allé? Une question grammaticalement douteuse, mais que nous avions néanmoins envie d’explorer.

J’ai donc profité de mon trajet matinal vers le bureau pour sonder au hasard ces gens qui étalent toujours ce réconfortant mantra sur leur devanture de maison.

Je brise la glace en frappant à la porte d’un logement situé sur Dandurand, dans le quartier Rosemont, proche de l’église Adventiste du 7e jour de Beer-scheba.

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Un sympathique garçon en chest prénommé David ouvre la porte.

«Salut, j’ai vu ton affiche “ça va bien aller” pis je me demandais si ÇA avait finalement bien été?»

«Oui ça a bien été. Ça m’a permis de passer du temps en famille.»

David sourcille un peu, mais comme j’ai l’air aussi attachant que Patrice L’Écuyer, il se prête au jeu. «Oui ça a bien été. Ça m’a permis de passer du temps en famille», raconte cet enseignant au secondaire et papa d’un magnifique bébé frisé d’un an, qui se prépare à quitter ce cocon familial de plusieurs mois pour retourner à l’école dans quelques jours.

«Pis toi, ça a été été», me demande gentiment la conjointe de David, lorsque je m’apprête à partir.

«Bah nous les journalistes, ça ne va jamais vraiment bien puisqu’on PORTE LE SORT DU MONDE SUR NOS ÉPAULES!»

La porte s’est refermée.

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À une dizaine de rues de là, j’aperçois un gros arc-en-ciel dans la vitrine de l’épicerie Gariépy, à l’angle du boulevard Saint-Michel. Après tous, les commerces aussi l’ont pas eu facile. «On a toujours été très occupés, puisque les clients du quartier venaient ici au début au lieu d’aller dans les gros supermarchés», raconte Sophie, une employée qui n’a pas travaillé durant trois semaines au début de la crise. «J’avais peur et j’ai des gens vulnérables dans ma famille», précise la jeune femme, qui s’habitue à porter le masque, malgré la buée permanente dans ses lunettes lorsqu’elle parle. «J’ai formé beaucoup de nouveaux, donc je parle beaucoup. Mais dans l’ensemble, ça a quand même bien été», résume Sophie.

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Une heure après une grosse averse, le ciel est encore gris, mais les coureurs commencent à apparaître sur les trottoirs. Dans un escalier, un écureuil me regarde en grignotant une sorte de champignon bizarre.

Pis toi l’écureuil? Ça a bien été?

«Tkic tski tchip tchip tsic tik*», répond du tac au tac l’animal fétiche des Français de Montréal.

* Traduction: Bien sûr, ça n’a pas été facile tous les jours cher Hugo, mais par chance, j’avais le support de ma famille et la PCU n’a pas fait de tort, mettons.

Un peu plus loin, près de Laurier, je cogne à la porte d’une résidence où un dessin d’arc-en-ciel traîne au milieu de la fenêtre. Un homme habillé en mou se trouve dans le salon, derrière un bureau. Je lui explique ma patente à travers le moustiquaire. «On a mis l’affiche pour se donner de la motivation. J’ai l’impression que ça m’aide, mais on ne pensait jamais que ça serait aussi gros», admet candidement Jacques au sujet de sa pancarte et de la pandémie.

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Il raconte que la crise se déroule somme toute bien jusqu’ici, notamment grâce à sa découverte du télétravail. «J’ai vraiment apprécié. On est même porté à plus travailler même et on peut rester en pyjama», lance Jacques, un fonctionnaire, content d’avoir pu profiter du travail à domicile avec sa conjointe, qui avait installé son bureau dans la salle à manger. «Elle retournait au travail aujourd’hui, un peu à reculons», mentionne Jacques.

«J’observe les consignes depuis le début, je sors simplement pour aller faire les courses et je n’ai même pas été voir mes enfants et mes petits-enfants.»

Ma quête m’amène ensuite devant une résidence près de Fullum et Saint-Joseph, sur le Plateau. En plus de l’affiche arc-en-ciel, je remarque surtout le terrain avec un magnifique jardin. La propriétaire me fait signe de reculer dès que j’approche de son balcon. «J’observe les consignes depuis le début, je sors simplement pour aller faire les courses et je n’ai même pas été voir mes enfants et mes petits-enfants», m’informe la dame, pour justifier la distance d’environ quatre mètres entre nous. «Qu’est-ce qui me dit que vous êtes journaliste? Vous avez un badge?», ajoute-t-elle, suspicieuse.

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«Je veux juste voir comment vous allez», que je baragouine enfin, reprenant mon courage à deux mains.

-«Oui ça a été jusqu’ici, j’observe les consignes», répète la dame, prudente mais charmante.

«Non! », tranche sans détour Katia, lorsque je lui parle de la phrase sur le dessin sur sa porte un peu plus loin, rue Brébeuf.

«On est en vie, on sait qu’on est chanceux, mais ça ne va pas bien dans le monde du tout», insiste la mère de famille, qui admet néanmoins avoir apprécié passer du temps avec sa famille. «Là l’école recommence. Un de mes enfants a hâte, l’autre non», résume Katia, qui a aussi inscrit Black Lives Matter dans sa vitre, près de l’arc-en-ciel. «J’ai vécu longtemps aux États-Unis et je me sens préoccupée par cette situation», souligne-t-elle.

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Sur la rue Saint-André, Carlos n’a pas honte de l’avouer: la pandémie s’est avérée à ses yeux une expérience plus positive que négative. «Je pense qu’on a appris à passer du temps avec les enfants et profiter du moment présent», confie ce père de deux jeunes enfants, qui enseigne à l’université. Carlos a même pu profiter de ses enfants de deux et cinq ans à satiété, puisque sa conjointe infirmière a travaillé durant tout le confinement.

C’est sa fille aînée qui a dessiné les arcs-en-ciel au début de la pandémie. «Je pensais que ça allait être pire en fait», avoue Carlos, un optimiste de niveau olympique.

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Au coin Rachel et Saint-André, la Maison des pâtes aussi arbore son arc-en-ciel, se permettant de pimper un brin le slogan «ça va bien aller» en y ajoutant un «Ça va bien manger».

À un jet de pierre du bureau d’URBANIA, je frappe à une dernière porte, celle de Michel, qui habite au rez-de-chaussée d’un immeuble d’appartements. «Je l’ai dessiné moi-même en avril!», lance fièrement l’homme, prenant la pose à côté de sa création.

Si les choses se sont plutôt bien déroulées pour lui, Michel déplore les comportements de plusieurs, qui risquent selon lui de ralentir le retour à la vie normale. «Les gens ne se rendent pas compte qu’il y a des règles à suivre. Je trouve ça stupide et égoïste de leur part», peste Michel, qui dit avoir affiché son arc-en-ciel par solidarité.

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J’arrive à destination, avec une pensée vers celles et ceux pour qui la pandémie a été une épreuve pénible.

Pis vous, ça a bien allé?

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