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Des nouvelles de Clova, le fameux village qui était censé brûler
« Y’a la petite municipalité de Clova que, malheureusement, on n’a pas pu sauver. »
Ça n’a pas pris de temps avant que ces mots prononcés lundi après-midi par le premier ministre du Québec, François Legault, se retrouvent sur tous les sites de nouvelles de la province.
(Source : Noovo Info)
Le réflexe, en premier : aller sur Google Maps pour savoir où est Clova. C’est un hameau d’une trentaine d’habitants situé à 8h de Montréal et à 10h de Québec et qui fait partie du très grand territoire de La Tuque, en Haute-Mauricie.
Ensuite, naturellement, on se demande comment la petite population locale prend la nouvelle et se résigne à accepter ce sort, à perdre son toit et à devoir s’enfuir.
Eh bien, la réalité était toute autre.
Le vrai fil des événements
Depuis lundi, je me suis tenu au courant des derniers développements concernant Clova, notamment grâce au groupe Facebook local, et j’ai réalisé que, finalement, le pire avait été évité.
Dominic Vincent, propriétaire de Restaurant & Auberge Clova, un établissement installé juste à côté de la station de train (Via Rail dessert Clova et plusieurs autres peuplements de ces régions reculées), a donné des entrevues sur plusieurs chaînes pour expliquer que le village avait été épargné par les flammes. Je l’ai appelé pour comprendre ce qui s’est passé.
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Des éclairs ont déclenché plusieurs feux, la semaine dernière, forçant les autorités à demander l’évacuation des habitant.e.s le 2 juin. Dominic Vincent faisait partie de celles et ceux qui sont resté.e.s; son commerce étant central dans la ville, il servait de courroie de transmission entre la sécurité publique, la SOPFEU et le reste de la population.
« On a sécurisé les lieux, on s’assurait que plus personne n’était là, résume-t-il. Et on travaillait comme on pouvait sur le feu. »
Plusieurs personnes qui travaillent à la Pourvoirie du lac Tessier, à 7 km à l’est du hameau, sont aussi restées pour aider. Daniel Lanthier faisait aussi partie du groupe. « On a plusieurs réservoirs de 1 000 litres. La SOPFEU nous a prêté des hoses, en plus de l’équipement de base qu’on a en tout temps. »
« J’étais sur le lac jeudi et vendredi, on voyait cinq feux dans la région, au loin. »
Après avoir sécurisé la pourvoirie, Daniel et compagnie (il me parle de Zach, de Marie-Lou, de Yan et de Ti-Loup comme si c’étaient des ami.e.s commun.e.s, mais je ne peux me faire qu’une image mentale de ce joyeux groupe) sont allé.e.s prêter main forte au reste de la municipalité.
Ça impliquait des shifts qui se finissaient vers 2h du matin et qui recommençaient quelques heures plus tard. Et tout le travail était anéanti par la météo, chaude et sèche, qui reprenait le dessus après des nuits plus fraîches.
(Source : Daniel Lanthier)
Dimanche matin, ça commençait à être critique. « Si le premier ministre avait fait sa déclaration [de lundi] ce matin-là, ça aurait été dur à avaler », dit Dominic Vincent. Mais ça aurait aussi été compréhensible, assure-t-il, car avec tous les feux qui avaient cours dans la province, des choix auraient pu s’imposer. « T’as le choix de sauver un village de 7 500 personnes comme Chibougamau ou de 30 personnes comme ici… c’est pas dur de choisir. » Il semble que son pragmatisme n’ait d’égal que sa débrouillardise.
(Source : Daniel Lanthier)
Pendant les journées de dimanche et lundi, le travail des pompiers forestiers combiné à des vents favorables et à un mercure moins élevé a fait en sorte que le cœur de Clova n’a pas été touché du tout. « Dans un rayon de 5 km, tout est correct », assure Dominic au bout du fil. « En dehors de ça, il y a peut-être une dizaine de chalets qui ont été touchés. »
Ainsi, quand le téléphone a commencé à sonner après que François Legault ait dit que Clova était en cendres, Dominic Vincent s’est trouvé rempli d’incompréhension.
« C’était la situation qui prévalait le matin d’avant, mais à ce moment-là, c’était déjà contenu à 80 ou 90 %. On était déjà sécurisés. »
Les gens de la SOPFEU sur place ont assuré qu’ils n’étaient pas sur le point de partir. Quelques minutes après la déclaration venant de Québec, l’organisation a d’ailleurs rectifié le tir. Mais trop tard, la rumeur était lancée.
Incompréhension et inquiétudes
« On a des Américains qui font de la motoneige dans le coin qui ont appelé pour savoir si c’était vrai. J’ai un oncle en Colombie-Britannique qui a vu ça sur CBC et qui voulait savoir si j’étais correct », raconte Dominic Vincent.
Sur le groupe Facebook, on peut suivre l’évolution de la fausse rumeur. Un journaliste de Radio-Canada publie un message pour confirmer les dires du chef de la CAQ. « Pas vrai », répond simplement un utilisateur.
Une capture d’écran avec le visage du P.M. et le bandeau « On n’a pas pu sauver Clova » provoque une réaction plus acerbe de quelqu’un d’autre. « Pu capable de ce criss de clown… »
Carole Richard, qui loge dans sa résidence secondaire du centre du village depuis jeudi dernier, a adressé un message directement au premier ministre.
Je l’ai contactée. « Lorsque M. Legault a fait son annonce, laissez-moi vous dire que les gens qui avaient quitté vendredi ne cessaient de me contacter pour savoir ce qui en était réellement. Imaginez les inquiétudes de mes proches, également… »
Oui, elle était soulagée que le pire soit passé, mais elle déplore que M. Legault ait dit, devant les caméras de toutes les grandes chaînes de la province, qu’on avait abandonné le hameau.
« On savait que ce n’était pas vraiment la réalité, raconte Daniel Lanthier. C’était rendu trop dangereux pour les avions, donc les avions ont arrêté, mais pas l’équipe sur le terrain. Ça a peut-être été mal dit ou mal interprété [par le premier ministre], c’est peut-être un peu le jeu du téléphone arabe. Mais on savait que [les pompiers] n’avaient pas abandonné. »
Daniel assure qu’il n’est pas « fâché » contre François Legault.
« Il a reçu un paquet de briefings : Sept-Îles, l’Abitibi, Lebel-sur-Quévillon… Il y avait beaucoup de feux très importants en même temps. »
Cette « petite désinformation », dixit Dominic Vincent, était bien involontaire, mais elle a quand même causé de l’émoi. Maintenant que le feu est contenu, ses pensées vont vers les autres municipalités où des incendies menacent les propriétés pour leur rappeler aussi de ne pas perdre espoir trop vite. « C’est pas parce qu’on est évacués qu’on va nécessairement passer au feu… »
Les choses vont tranquillement reprendre leur cours normal dans la paisible Clova. Déjà, sur Facebook, des gens débattent des effets qu’auront les feux de forêt sur la saison de chasse. « Pour les orignaux, ça devrait revenir assez vite. Dans les zones brûlées, il va y avoir plein de pousses fraîches et ils adorent ça », estime un habitué. Chassez le naturel, il revient au galop.